Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Robert Herbin, toujours vert

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Par kitl
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Durant près de trente ans, il fut un personnage central du football français. Ayant participé à neuf des dix titres de champion glanés par l’ASSE, Robert Herbin prit également place, de façon bien plus éphémère, sur le banc du RCS.

Reconnaissable entre mille par son casque de cheveux roux, Robert Herbin permit à l’AS Saint-Etienne de franchir un palier et, surtout, au football français dans son ensemble de sortir d’années de traversée du désert qui, d’ailleurs, empêchèrent à sa carrière de joueur de prendre l’ampleur qu’elle aurait méritée.
Il débarque dans le Forez à 18 ans, au lendemain du premier titre décroché par ceux que l’on n’appelle pas encore « les Verts ». D’emblée, le jeune Herbin se distingue, outre sa chevelure rousse, par un tempérament dur au mal apprécié du public stéphanois, qui n’a besoin que de quelques minutes pour passer de l’usine au stade.

Débutant sa carrière en défense centrale, poste crucial dans le vieux schéma de WM, Herbin est rapidement repositionné au milieu de terrain par Jean Snella, où il peut davantage participer au jeu offensif. Il évoluera comme un poisson dans l’eau au poste d’inter, allant jusqu’à inscrire 26 buts en championnat en 1965-66. Par la suite, l’âge et ses problèmes de genou aidant, le capitaine stéphanois redescendra en défense aux côtés de Bernard Bosquier.

Un Bleu contrarié


Cette polyvalence, de même qu’un caractère bien trempé, lui jouera des tours en sélection. A 21 ans, il est bombardé chef de l’arrière-garde française à la veille de la demi-finale du championnat d’Europe face à la Yougoslavie, succédant au mythique mais vieillissant Robert Jonquet. Ce match traumatisera pour longtemps le football français, les hommes de Batteux menant encore 4 à 2 à un quart d’heure de la fin, qui plus est à domicile. Le jeune Herbin ne sortit pas indemne du désastre, même si les critiques furent le plus souvent destinées, de façon féroce, au gardien Georges Lamia.

S’en suivit une relative éclipse en sélection, compréhensible au vu de la relégation de l’ASSE en 1962. Ainsi Robert Herbin ne participe pas aux affrontements musclés avec la Bulgarie, qualificatifs pour la Coupe du monde chilienne. Il réintègre une équipe de France en reconstruction, dépourvue des derniers héros de Suède et que Raymond Kopa abandonnera avec fracas, à la veille d’un nouvel affrontement franco-bulgare. Herbin saute sur l’occasion, marque un but, règne sur la partie et se voit porté en triomphe à la fin du match !

Le rouquin à la coiffure encore conformiste fait ensuite figure de cadre de l’équipe qualifiée pour la World Cup 1966. Hélas, dans une sélection tirant à hue et à dia, le cérébral Stéphanois ne s’illustre pas. Il est même sorti de l’équipe pour le deuxième match contre l’Uruguay, avant de la réintégrer face à l’Angleterre. Touché au genou dès la cinquième minute, il traînera sa misère mais restera sur le terrain, alors que le onze français était déjà privé de Jacky Simon, découpé par l’édenté mais non moins bestial Nobby Stiles.

Les sélectionneurs l’ignorèrent jusqu’à ce que Louis Dugauguez n’en fasse un de ses relais. Pourtant, Herbin disparaît de l’équipe juste avant le fameux France-Norvège (0-1) qualificatif pour la Coupe du monde 1970 et disputé à Strasbourg. Son compteur restera bloqué à 23 sélections (3 buts), étalées sur neuf saisons ! Robert Herbin restera comme un symbole de ces années creuses alors qu’il aurait pu servir de guide à une équipe sans boussole. Il se refugia avec bonheur dans son cocon stéphanois.

Arrive 1972. Usé après cinq ans de mandat et surtout deux dernières saisons ayant vu Marseille damer le pion à l’ASSE, Albert Batteux quitte le club. Le technicien ne se satisfait pas des oukases du président Rocher, tandis que de nombreux cadres quittent le club (Bosquier et Carnus dans des circonstances fameuses, rejoints plus tard à l’OM par Salif Keita) sans être remplacés. Roger Rocher, « l’homme à la pipe » propose alors le banc à Robert Herbin, âgé de seulement 33 ans mais tout frais major du stage des entraîneurs.
Celui-ci finit par accepter, ne rechignant pas à s’appuyer sur les jeunes, et notamment la génération vainqueur de la Gambardella 1970 : Lopez, Repellini, Merchadier, Santini, Synaeghel, P. Revelli, Sarramagna… Parmi ses anciens partenaires, seuls Farison, Larqué et Bereta font figure d’anciens. Herbin ne demande à son président qu’un investissement sur deux postes, assurant qu’un gardien solide et qu’un libéro de classe étaient indispensables à cette jeune équipe. Ils auront pour nom Ivan Curkovic et Osvaldo Piazza, successeurs avec quelques mois de retard de Carnus et Bosquier…

L’architecte redouté des triomphes stéphanois


Après une saison de mise en route – quatrième place en 1972-73 –, l’ASSE version Herbin rafle tout sur son passage : Championnats 1974, 1975, 1976 et Coupe de France 1974 et 1975. Surtout, Saint-Etienne réussit ce qu’aucune autre équipe hexagonale ne parvenait à faire depuis des années : passer des tours de Coupe d’Europe. Certes, Herbin joueur participa à l’élimination du Bayern Munich en 1969-70, mais il s’agissait d’un succès sans lendemain.
Ces soirées européennes enfiévrées, les retournements de situation contre Split, le Dynamo Kiev (Christian Lopez surgissant du diable vauvert derrière Blokhine !) contribueront à placer ceux qu’on appelle désormais communément « les Verts » au centre de l’échiquier footballistique français. Et puis, il y aura Glasgow, la légende des poteaux carrés, la descente des Champs-Elysées…

Arborant désormais son imposante crinière rousse, « Robby » Herbin continue à cultiver sa préférence pour les jeunes joueurs, repérés en cadets et minimes sur les terrains de France par Pierre Garonnaire, qui rêvent d’une ascension express à la Bathenay ou Rocheteau. Il lancera de façon très (trop ?) précoce Laurent Paganelli et Laurent Roussey, mais aussi les inséparables Félix Lacuesta et Jean-François Larios, envoyés s’aguerrir en Corse en 1977-78.

Mais le président Rocher veut aller plus vite et convoite ardemment la Coupe d’Europe. Il lance une politique de vedettariat consistant à attirer dans le Forez les éléments les plus en vue chez les clubs moyens. Le ferry Bastia-Saint-Etienne marchera à plein régime (Zimako, Johnny Rep). En 1978, désireux de mettre fin à la « question » de l’avant-centre, ouverte depuis le départ d’Hervé Revelli, Rocher « sauve » l’ennemi lyonnais exsangue en recrutant Bernard Lacombe, qui ne s’adaptera pas. Ensuite, c’est évidemment Michel Platini, recruté à prix d’or afin de procéder à la réunion des deux pôles du foot français : les Verts d’un côté, cheveux au vent et maillot Manufrance bien moulant, de l’autre le jeune Lorrain tenant déjà les clés d’une équipe de France conquérante.

Cette valse des stars contraindra Saint-Etienne à lâcher les deux Dominique, Bathenay puis Rocheteau, montés à la capitale. Elle ne fut guère couronnée de succès sur le terrain, l’hégémonie stéphanoise étant concurrencée par Nantes, Monaco puis Strasbourg. Surtout, cette politique onéreuse ne put être alimentée autrement que par un tour de passe-passe financier, la célèbre « caisse noire ».
L’ASSE retrouve un semblant de domination sur les ailes du duo de choc Platini-Larios – titre en 1981, finale de Coupe de France 1982 –, quand surgit l’affaire. Le départ de Platini après la Coupe du monde pour Turin est déjà entériné, de même que son remplacement par Bernard Genghini.

Reste que le début de saison stéphanois est particulièrement scruté. Se drapant dans une position vertueuse par rapport à l’affaire, bien que soupçonné d’avoir bénéficié de sommes d’argent, Herbin est chahuté par une frange du public que l’ambition a sans doute rendu amnésique. Les relations se tendent avec Roger Rocher, virant même à la guerre froide. L’homme à la pipe a démissionné mais continue à tirer les ficelles. On parle de la convocation d’une assemblée générale extraordinaire censée trancher entre les fidèles du président déchu et les partisans du coup de balai. Surtout, l’équipe ne tourne plus du tout : Genghini peine à entrer dans le costume de Platini, les autres arrivants Moizan et Mahut déçoivent, Larios est empêtré dans ses soucis personnels et physiques, les autres internationaux sont rentrés d’Espagne choqués et rincés, plus aucun jeune ne perce si ce n’est Zanon… Finalement cette conjonction d’éléments aboutit au limogeage de Robert Herbin le 20 décembre 1982 alors que l’AS Saint-Etienne occupe une peu reluisante quinzième place au classement. L’intersaison 1983 sera marquée par une nouvelle vague de départs (Battiston, Genghini, Janvion, Roussey, Rep…) aboutissant à une relégation presque inéluctable.

Dans l’intervalle, Robert Herbin a opté pour une stratégie du coup d’éclat et du contre-pied en rejoignant le rival ancestral lyonnais, lui aussi englué dans un profond marasme. Il rejoint l’OL en février 1983 mais ne parvient à empêcher la descente des Gones. Quelques mois passés en seconde partie de tableau, à Saint-Etienne puis Lyon semblent avoir jeté le discrédit sur les méthodes d’Herbin, confronté pour la première fois à des contextes défavorables. Son échec à faire remonter l’Olympique lyonnais contribuera encore à fragiliser le statut de l’ancien meilleur entraîneur de France (titre attribué par France Football) 1973 et 1976. Un derby (1-5 à Gerland en février 1985) restera fameux dans les deux camps et les Lyonnais n’auront pas de mots assez durs pour l’ère Herbin, marquée par les recrutements décevants des anciens espoirs d’en face Lacuesta et Larios.

Quel style de management prônait Robert Herbin ? On imagine qu’il lui fut relativement aisé de diriger des joueurs avec qui il avait évolué. Cela n’allait pas sans éclats de voix, la rigidité et l’intransigeance du personnage étant considérées comme le socle de ses succès. L’entraîneur chercha à conserver l’ascendant sur son effectif comme l’indique sa gestion des capitaines : il ne retint pas Georges Bereta, transféré contre son gré à Marseille, en cours de saison 1975-76, avant de se brouiller avec Jean-Michel Larqué. Ensuite, Ivan Curkovic fut supplanté par Jean Castaneda, avant que Jean-François Larios, porteur du brassard en début de saison 1982-83, ne fasse les frais de tout le grabuge autour du club.
Enfin, tactiquement, Herbin fit sien un système immuable depuis le milieu des années 1970, le 4-3-3 lui-même issu du 4-2-4.

Le retour à Strasbourg


Après une expérience exotique mais qu’on imagine lucrative en Arabie Saoudite en 1986, Robert Herbin éprouve l’envie de revenir entraîner en France. Après tout il n’a que 47 ans. Il active ses réseaux, parmi lesquels le Variétés Club de France, présidé par l’inénarrable Jacques Vendroux, supporter des Verts devant l’Eternel. La légende raconte que c’est en marge du mariage du journaliste de Radio France qu’Herbin entra en relation avec son futur employeur…

Il s’agit de Daniel Hechter, repreneur du Racing Club de Strasbourg en septembre 1986. Sept ans seulement après son titre de champion de France, le RCS atteint son plus bas historique en ce début de saison, englué dans la zone rouge en deuxième division. En l’espace d’une semaine, Francis Piasecki est débarqué, une solution transitoire Six-Dogliani est trouvée, avant qu’Hechter n’abatte une première carte. Le couturier s’offre un coup de projecteur en appelant « le Sphinx » pour redresser d’abord la situation, voire à plus moyen terme piloter le Racing vers la première division.

Que retenir du passage strasbourgeois de Robert Herbin ?
Il fut bref, à peine neuf mois. Herbin s’attacha à remodeler un effectif mal construit, une fois la situation comptable redressée. Il apparut très vite clair que les barrages étaient inaccessibles, aussi était-il nécessaire de préparer la saison suivante. Juan Ernesto Simon arrive, Walter Kelsch et Didier Six sont écartés. Herbin continue à faire confiance aux jeunes lancés par Jean-Noël Huck en 1985 (Vincent Cobos, Marc Andrieux, Christophe Niesser, Philippe Schuth finalement supplanté par Flucklinger). Une mise à niveau physique fut nécessaire, un surplus de rigueur insufflé.
Appréhendé comme une bête curieuse par la presse alsacienne, Robert Herbin resta fidèle à son image de personnage flegmatique et peu expansif façonné depuis l’époque stéphanoise. Les échanges avec les journalistes, très peu pour lui, il réserve ses impressions à ses joueurs, qui confirmeront aisément la double personnalité du mystérieux Sphinx : aux abords distants, mais proche de son groupe. Il vouvoie ses joueurs mais n’hésite pas à les inviter dans son bureau afin de discuter individuellement. La méthode Herbin se fait plus souple, le technicien s’efforçant surtout de transmettre de la confiance à son effectif.

Après la frénésie stéphanoise et l’échec lyonnais, cette parenthèse alsacienne vient à point nommé pour Herbin. Le Racing étant largué en championnat, il jeta toutes ses forces en Coupe de France, parvenant à sortir le Paris-SG et Toulouse, devant buter contre Alès en quarts de finale.
Le « Récing » remis sur les rails, Robert Herbin put s’en aller l’esprit tranquille, ne pouvant décliner l’offre d’André Laurent, président de l’AS Saint-Etienne.

A la recherche du second souffle


Tel le fils prodigue, Herbin revient à Geoffroy-Guichard avec les pleins pouvoirs. Kasperczak, qui lui succèdera d’ailleurs à Strasbourg, a permis à Sainté de retrouver l’élite, Herbin est attendu pour réinstaller le club en haut de l’affiche. Le recrutement de l’été 1987 un succès : Garande, Tibeuf et El Haddaoui inscriront chacun plus de dix réalisations, les deux premiers finissant même par revêtir le maillot bleu frappé du coq, comme un lointain souvenir de l’époque Rocher lorsqu’il suffisait qu’un Stéphanois brille quelques semaines pour qu’il devienne international.
Comme à la grande époque, Saint-Etienne mise sur les jeunes mais peu d’entre eux perceront : il faudra trouver un hypermnésique des Verts pour se souvenir des Mermet-Maréchal, Roumazeilles et autres Giuliano. Seul un certain Jean-Pierre François passera à la postérité, dans un autre domaine.

Les résultats de l’ère Herbin II ne seront guère à la hauteur. Quatrième en 1988, l’AS Saint-Etienne doit se battre pour le maintien en début de saison suivante, avant de se redresser. La troisième saison sera franchement quelconque. C’en est trop pour le président Laurent, qui choisit l’impensable à l’été 1990 en congédiant un entraîneur redevenu populaire. Christian Sarramagna lui succède sur le banc, mais la rupture n’est pas franche puisqu’il s’agit d’un ancien joueur et adjoint d’Herbin.

Attentif au destin des clubs mythiques, Robert Herbin rejoint ensuite le Red Star, club qu’il suivait du temps de sa jeunesse de titi parisien. Pour la poignée de fidèles du stade Bauer, son arrivée représente une occasion inespérée de retrouver l’élite. Mais là aussi, le résultat sera loin des attentes. Après deux saisons, Herbin devient manager et installe sur le banc un autre de ses disciples, Pierre Repellini.

Le tandem est finalement rappelé dans le Forez en 1997. L’ASSE reste sur une saison désastreuse achevée à la 17ème place de deuxième division. Le duo Herbin-Repellini ne fera pas mieux, Saint-Etienne ne sauvant sa place en D2 que pour deux points. Un ancien Sochalien vainqueur de la Coupe d’Europe avec l’OM venu terminer sa carrière à l’ASSE évoquera des années plus tard l’archaïsme de la méthode Herbin, basée sur des séances d’entraînement répétitives et une psychologie datée. On pourrait se hasarder à dresser une comparaison avec un autre entraîneur des années 1970, partageant le goût pour les excentricités capillaires, incapable de remettre en question son dogme un temps triomphant.

L’AS Saint-Etienne décide pour de bon de couper le cordon avec Robert Herbin, retiré dans son Aventin ligérien pour se placer dans une position d’observateur privilégié du club. Il livre tous les mardis une chronique pour Le Progrès, parfois vachard, toujours exigeant et passionné. Il y a une dizaine d’années, il fut ainsi interdit d’accès au centre d’entrainement de l’Etrat, où il se rendait en voisin.
Robert Herbin vit aujourd’hui tel un retraité de son âge, entre musique classique et promenade des chiens. Dans la lignée de ses maîtres Snella et Batteux, l’homme à la crinière rousse appartient pour l’éternité à la légende du football français.



Sources :

Hors-série L’Equipe « Paroles d’ex » : interview de Robert Herbin
Une saison de football 1982 et 1983, Eugène Saccomano.
Les Bleus, Denis Chaumier.
L’Equipe de France de Football, La belle histoire, L’Equipe.

kitl

Commentaires (4)

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  • Emerveillé et désespéré par cet article. Emerveillé à la lecture de ces noms prestigieux, ces rappels de rencontres légendaires d'un temps où la diffusion télévisuelle des matchs était rare. Rocher se battait pour éviter la diffusion qui aurait vidé son stade...... Autre temps, autres moeurs.

    Désepéré de ne pas trouver la liaison maritime Bastia - St-Etienne qui je suppose oblige à au moins un changement à St-Nazaire. De St-Nazaire à Sainté, quel périple sur la Loire!!
  • Super article, comme dab. Merci beaucoup pour ce boulot...
  • Article exceptionnel, grouillant d'informations et se lisant comme un roman.
    Et quel plaisir d'y découvrir cette pique adressée à Gilbert Gress (sans le nommer) qui dépeint exactement le fond de ma pensée.
    Bravo !!!
  • Superbe bio !

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