Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

RPSM, Partie II : Stahl, le triomphe de l'amateur

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Par filipe
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Emile Stahl, le triomphe de l'amateur

La fusion devait créer une grande équipe. Mais les différences étaient bien trop importantes : d'un côté le Racing et son inconstance, de l'autre les Pierrots et sa ligne de conduite invariable, fixée pendant 40 ans par un homme : Emile Stahl

Une carrière brisée par la guerre
Emile Stahl, c'est d'abord un joueur de foot talentueux : professionnel dès l'âge de 17 ans, sa carrière s'annonçait fructueuse (déjà champion d'Alsace en 1937 avec le Racing). Mais comme la plupart des sportifs de sa génération, la seconde guerre mondiale brise son élan : évacué en Dordogne avec beaucoup de ses camarades alsaciens, il joue un temps dans l'équipe formée par l'Entente Périgueux-Strasbourg (le Racing champion de Dordogne en 1940), avant de rejoindre l'OGC Nice puis l'AS Monaco. Mais le mal du pays le ramène finalement à Strasbourg très rapidement.

L'Alsace étant annexée à l'Allemagne, on y avait donc en théorie les mêmes droits et devoirs que les autres allemands. Mais dans les faits, les nazis n'ont pas assez confiance pour accorder des libertés aux Alsaciens. Ne restait donc que les devoirs, dont le principal en temps de guerre est évidemment d'aller sur le front... Stahl est donc incorporé de force dans la Wehrmacht, comme 100 000 autres jeunes alsaciens (ceux qu'on appelle aujourd'hui les « Malgré-Nous »).

Dans les premiers temps - les nazis n'ayant pas encore besoin de chair fraîche - Stahl peut rester à Strasbourg, ce qui lui permet de disputer les matchs du Racing. Et c'est peu après un de ces matchs que l'enfer commence...

L'hiver blanc et l'Armée Rouge
Dans l'enthousiasme d'une victoire à Mulhouse, Stahl et ses coéquipiers entonnent La Marseillaise et Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine, ces quelques petits airs qui résonnent aux mauvaises oreilles : les Allemands ne goûtent en effet que très modérément.
Dans la foulée, Stahl est envoyé sur le front de l'Est (comme d'ailleurs la majorité des Alsaciens que les Allemands préféraient éloigner de leur terre natale et de leurs proches pour les envoyer sur les premières lignes face à l'Armée Rouge).
Là, c'est la débandade allemande devant la force russe et surtout les conditions climatiques insupportables : « L'hiver était épouvantable, il y avait plus de deux mètres de neige. Chaque jour nous creusions nos abris dans cette masse blanche sans fin afin d'échapper aux morsures du froid. Sur le sol, quelques branches coupées pour éviter le contact avec la terre gelée. En face de nous un adversaire redoutable».

Pire encore, Stahl est ensuite fait prisonnier par les Russes dans le camp de la mort de Tambow où le quotidien n'est fait que de faim et de froid : « beaucoup mouraient. Au petit matin, il fallait enlever les cadavres pour les entasser dans une baraque dite des morts. Puis les corps étaient transportés dans la proche forêt et enterrés dans la fosse commune».

Survivant à cet enfer, il est libéré en 1945 et rentre en France. Mais brisé physiquement, et bien qu'il ne soit âgé que de 24 ans, Stahl n'a plus la condition nécessaire pour reprendre sa carrière de footballeur au Racing. Il se contente alors d'évoluer au FC Koenigshoffen d'abord, puis à partir de 1950 au... Club Sportif des Pierrots.

Enfin cette famille tant recherchée
L'ambiance chaleureuse et familiale des Pierrots le réconforte, lui qui a connu une enfance sans parents. Joueur clé et capitaine de l'équipe, il met finalement un terme à sa vie de sportif en 1958. Il fonde alors une grande société de gestion immobilière (la place des Halles, c'est lui) et prend des responsabilités comme dirigeant des Pierrots (mais pas toujours comme président du club, car il a « toujours préféré être vice-président : on décide de tout et l'on est moins exposé »). C'est donc lui qui décide d'expédier l'équipe à des mises au vert de trois jours afin de préparer les matchs de Coupe de France, lui qui engage le génial Paco Mateo, lui toujours qui parvient à convaincre et à débaucher du Racing un joueur talentueux comme Hubert Hausser pour renforcer l'équipe.
Ces décisions mènent le club jusqu'au double titre de champion de France Amateur de 69 et 70, titres conquis dans une ambiance remarquable. « Notre premier titre de champion de France amateurs, c'était face à Fontainebleau. Grâce à Paco Mateo, nous avions gagné 3-2 alors que nous perdions 2-0 et que tous les observateurs nous plaignaient. L'équipe a réalisé une seconde période irréelle pour remporter le trophée. C'était une véritable équipe de copains comme il n'en subsiste plus beaucoup, avec une foi capable de soulever des montagnes ».
Et il paraît qu'encore aujourd'hui le Lido, lieu où Stahl convia toute l'équipe à fêter ce titre, résonne encore de leurs éclats de rire et des farces de Paco Mateo...

Racing/Pierrots : un monde les sépare
Et dans la foulée de ces succès, la fusion entre le Racing et le club des Pierrots, dans laquelle Stahl est évidemment un des dirigeants qui compte et qu'on écoute. Ainsi en 1973, quand les finances du club sont à nouveau catastrophiques, c'est lui qui fonde et dirige le comité de soutien qui contribue à régler la note (en plus de l'argent des subventions municipales).
Et quand en avril 75 le Racing se trouve sans Président (après la mort soudaine de Roland Vigny), c'est lui qui assure l'intérim jusqu'en novembre 76, en attendant l'éclosion de la nouvelle génération de dirigeants (Léopold, Maechler).

Mais irrémédiablement son coeur le mène vers les Pierrots, un club (« mon club ») auquel il s'identifie complètement. A tel point qu'il décrète officiellement que la date de création du club est 1921, soit l'année de sa propre naissance. Or le club a été fondé le 6 janvier 1922 !
Cependant personne n'ose lui reprocher cette pointe d'orgueil, d'autant que les Pierrots reprennent leur remarquable parcours en championnat amateur : ainsi Vauban se retrouve à 5 reprises en droit d'accéder à la D2 (80, 81, 82, 84, 86)... accession que Stahl refuse à chaque fois, preuve que le succès ne l'a finalement pas totalement grisé...
Pour justifier ces refus, il met en avant sa conviction que la ville de Strasbourg n'a pas les structures suffisantes pour faire coexister deux clubs professionnels. Pour lui, « monter en 2ème division, c'est une aventure suicidaire menant tôt ou tard le club à la faillite ». Car pour Stahl, l'essentiel est ailleurs : rien ne doit jamais mettre en danger la capacité des Pierrots à fournir les équipements des 16 équipes de jeunes du club...

Sa devise : « Tous pour un, un pour tous »
La philosophie et les objectifs qu'il fixe à son club sont donc à des années-lumière de ceux affichés traditionnellement par les dirigeants strasbourgeois successifs... ce qui a rendu cette fusion si délicate (voir RPSM, Partie I : quand la mariée est trop belle...). D'autant que Stahl ne se contente pas de diriger le club. Mettant la main à la poche, il aide également les joueurs à trouver du travail (surtout ceux qui ont échoué dans leur centre de formation et qui arrive sur le marché du travail sans bagage : « les footballeurs ne sont pas formés pour quitter le football. Or il est primordial de les insérer dans la vie sociale, de leur trouver une reconversion acceptable. Heureusement, j'ai l'avantage de connaître du monde, d'avoir des relations, et dans ce cas, cela peut aider»).
Et c'est à nouveau Hubert Hausser qui sert de meilleur exemple : en quittant le Racing, certes il renonçait à sa carrière professionnelle mais il trouvait en échange un emploi dans la société de gestion immobilière de Stahl... dont il devient l'associé en 1983.

Au Racing, juste un homme de l'ombre
On a souvent demandé à Emile Stahl pourquoi il ne prit jamais vraiment en mains les destinées du Racing. Ce n'est sans doute pas par désintérêt puisqu'il fut toujours dans la coulisse du club (c'est lui qui est à l'origine direct du retour de Gress en 1991). Mais finalement pourquoi aurait-il quitté un club comme les Pierrots où il « connu (ses) plus belles joies », où il a tout construit avec tant de réussite ?

Alors la question reste posée, appelant beaucoup de suppositions mais aucune certitude : qu'aurait pu faire Stahl, ce professionnel du monde amateur, dans un club comme le Racing, si souvent gangrené par des amateurs du monde professionnel ?


Sources :
Il était une fois le Racing : toute l'histoire du club Omnisport strasbourgeois ; coll. (Berger Levrault - 1991) ;
Pierrots Vauban, 1921-1996 : 75 ans (1996) ;
Emile Stahl, le dernier Mécène ; Remy Zaka (Réalités Alsaciennes - 1988) ;
Emile Stahl : le juste équilibre ; (Pass'Sport - 1993)
Site de l'ASP Vauban

Retrouvez ici la première partie : RPSM, Partie I : la mariée était trop belle.

filipe

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