Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

« Je n'avais encore rien dit »

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Par jakouiller
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Au cours d'entretiens avec le journaliste Eric Genetet, Gilbert Gress revient sur presque six décennies de football, relatées dans le livre « Je n'avais encore rien dit ».

Adulé par les uns, haï par les autres, Gilbert Gress, qui a suscité toutes les passions, se dévoile. Visionnaire du foot moderne pour les uns, dictateur mégalomane pour les autres, il ne laisse personne indifférent.
La vérité est peut-être entre les deux... A vous de vous faire une opinion.

Dans son livre, il parle des clubs où il a évolué comme joueur ou comme entraîneur. Nous nous intéresserons plus particulièrement à ses quatre passages au Racing : comme joueur de 1960 à 1966 puis de 1973 à 1975, comme entraîneur de 1977 à 1980 puis de 1991 à 1994. Les passages entre guillemets sont extraits du livre.

Le petit Gilbert a grandi à Neudorf, à deux pas de la Meinau, et dès son jeune âge il ne vit que pour le foot. Sans ballon, il est malheureux. Son joueur préféré était l'Autrichien Ernst Stojaspal de la Wunderteam qui évolua au Racing dans les années 50, et dont les anciens se souviennent : « J'ai découvert la beauté du geste et surtout l'intelligence du jeu... Il marquait, il faisait marquer, pour moi c'était un émerveillement ! »

Jeune il était déjà têtu et intransigeant, et il le restera durant toute sa vie. Il savait ce qu'il voulait : le jeu avec une bonne circulation de balle. Sélectionné en équipe du Bas-Rhin cadet, contre le Haut-Rhin, à un dirigeant qui, à la mi-temps leur criait « qu'est-ce que c'est que ce football ? Il faut mettre le ballon devant ! », le jeune Gilbert lui répondit qu'il « n'y connaissait rien, qu'il faut rester maître du ballon afin que l'adversaire court après ». Résultat : il ne fut pas sélectionné en équipe cadet d'Alsace, par Paul Frantz, son futur entraîneur au Racing ! Il lui en voudra d'ailleurs longtemps...


1960-1966 L'Ange de la Meinau

En 1960, à 17 ans, Gilbert signe son premier contrat pro au Racing, qui venait d'être rétrogradé en D2. Le journaliste Max Urbini le surnomme l'« Ange de la Meinau »! Il ne finit pas la saison, appelé en Algérie : il fera 21 mois de service militaire au bataillon de Joinville dont 9 en Algérie.
Oublié, il jouait avec la réserve, jusqu'au retour du président Heintz qui l'imposa à l'entraîneur de l'époque Robert Jonquet. Lors de son match de reprise avec les pros, à Marseille, il marque et fait une passe décisive, le Racing gagnant 3-1. Un mois plus tard, après un match contre le grand Stade de Reims, les DNA titrent : « On attendait Raymond Kopa et l'on vit Gilbert Gress ».

En 1964-1965 il retrouve comme entraîneur Paul Frantz, celui qui l'avait sorti de l'équipe d'Alsace cadet, et un grand président, Joseph Heintz. Pour Gilbert, « il n'y a pas de grand club sans grand président...C'est le président qui fait le club et pas l'inverse ». Et de citer Roger Rocher, Claude Bez, et Jean-Michel Aulas (les deux premiers ont eu de gros ennuis judiciaires pour leur gestion du club !). Il trouve cette année là « un vrai système de jeu, une très belle organisation tactique. »
S'en suit l'épopée de la Coupe des Villes de Foires, future coupe de l'UEFA, avec les éliminations du grand Milan AC de Trapattoni, Rivera, Maldini père, Schnellinger et Amarildo, de Bâle, et du FC Barcelone de Tibor Kocsis, « Tête d'Or », membre de la mythique équipe de Hongrie avec Ferenc Puskas. En quart de finale, le Racing se fait éliminer par le Manchester United de Bobby Charlton, George Best (récemment décédé) et Denis Law qui venait d'obtenir le Ballon d'Or.

En 1966, nouvel exploit du Racing qui remporte la Coupe de France au Parc des Princes en battant Nantes 1-0 ! Le groupe était bon avec Schuth dans les buts, Hauss qui avait déjà remporté la Coupe avec le Racing en 1951, 15 ans avant, Devaux (pas le même...), Sbaïz qui marqua le coup-franc victorieux, Stieber, Merschel, Kaelbel, Farias le buteur argentin, Gérard Hausser, Szepaniak, Piat, actuel président de l'UNFP et Heiné. La même année, le sélectionneur Henri Guérin, au cours de la préparation de la Coupe du Monde en Angleterre, lui demande de se faire couper les cheveux : « On n'emmène pas de Beatles en Angleterre ! ». Notre « tête d'Alsaco » n'en fait rien et n'est pas sélectionné ! C'est du moins la version de Gilbert. Il ne comptera d'ailleurs finalement que trois sélections en équipe de France. Il signe alors pour le VFB Stuttgart jusqu'en 1971, puis à l'OM de 1971 à 1973.

Une anecdote marseillaise pour illustrer le caractère de notre héros : il se brouillera pour longtemps avec son ami d'enfance, Robert Wurtz, le « Nijinski du sifflet », pour une histoire de hors-jeu non sifflé lors d'un OM-Saint-Etienne !


1973-1975 Retour au racines, retour au Racing

A Marseille, il trouve l'entraîneur Casimir Novotarski, et un directeur sportif, Robert Domergue, adepte du « droit au but », système que Gilbert détestait. L'ambiance était déplorable. Il y avait même un vestiaire réservé aux « bannis », où se trouvaient André Rey, futur gardien de l'équipe et France, et René Deutschmann, futur champion de France ! Après deux ans de galère, Gilbert quitte le Racing, le président Fass ne respectant pas sa parole pour une durée de contrat. Il part en Suisse, à Neuchâtel, comme joueur, puis très vite entraîneur.


1977-1980 La vague bleue déferle sur l'Alsace

En 1977, le Racing évoluait en D2 devant 5 000 personnes et remonte en D1. Le président Léopold fait venir Gilbert Gress malgré les avis des autres dirigeants. Celui-ci commence à construire une équipe pour la saison suivante. Jacky Novi, joueur connu à Marseille, est la première recrue. Le grand Ivica Osim ayant des problèmes de genou, Francis Piasecki est recruté. Il avait une réputation de caractériel, mais Gress savait qu'il n'aurait « pas de problème avec lui ». Jacky Vergne, un avant-centre, arrive lui aussi. L'équipe est très motivée dès la préparation de la saison 77/78. Gilbert applique ses idées et une « tactique d'avant-garde » selon ses propres mots. Au début de saison, le Racing marque beaucoup mais prend aussi trop de buts. Raymond Domenech rejoint alors le club comme joker et le problème défensif est réglé. Le Racing finit troisième avec plus de 20 000 spectateurs de moyenne !

La saison 78/79 sera celle où Gilbert écrira la plus belle page du foot alsacien. Le Racing est le seul club à débuter la saison sans étranger. Contre Metz, le record d'affluence est battu avec 33 000 spectateurs venus assister à la défaite du club lorrain 3-0. Contre le grand Saint-Etienne, avec ses vedettes, il y a près de 36 000 spectateurs et le Racing l'emporte 2-1. A la trêve, le club est leader, mais la lutte sera serrée jusqu'au bout, et le 1er juin 1979 le Racing l'emporte 3-0 à Gerland et devient champion de France ! Le retour à Strasbourg est un moment de folie, et des dizaines de milliers de personnes sont massées place de la Gare. Milo Spruch, le médecin du club glisse à Gilbert : « Tu vois, pour revoir cela, il faudra attendre 50 ans. » Avait-il tort ? Pour l'instant, 26 ans après, non.

A l'époque, la règle dans le foot français était : « les attaquants attaquent et les défenseurs défendent ». Pour Gilbert Gress, « on avait le ballon, on attaquait ; on le perdait, on défendait », « pas une vedette dans l'équipe, mais onze vedettes sur le terrain ».

La saison 79/80, le Racing termine 5e et dispute les quarts de finale de la Ligue des Champions. Gilbert fait alors une erreur qu'il reconnaît : pensant que, pour passer à la vitesse supérieure, le Racing avait besoin d'un grand président à l'image de Santiago Bernabeu au Real, il insiste pour que son ami Andé Bord (ils sont brouillés depuis) prenne cette fonction. Après le transfert avorté de Neeskens, il accepte la venue d'un Carlos Bianchi vieillissant, pour remplacer Albert Gemmrich parti à Bordeaux, et c'est le fiasco ! Commencent alors à circuler des rumeurs selon lesquelles Gilbert est un dictateur. Il reconnaît que, quand un joueur sortait, il en était informé le lendemain au « Renard Prêchant » par ses amis les chauffeurs de taxis... Domenech avait dit qu' « il avait soudé tous les joueurs contre lui, que le jour où ça irait mal, c'est Gress qui prendrait »! Selon Gress, Domenech « voulait dire qu'il protégeait le groupe » (mais a-t-il bien compris ?). Un soir de nul 2-2 contre Reims, il rentre aux vestiaire et, devant l'équipe, dit à Domenech et Dropsy, responsables selon lui de ce mauvais résultat : « Vous avez volé la prime de match dans la poche de vos copains ! » Dominique Dropsy deviendra un ennemi.

Malgré des propositions alléchantes, entre autres du Bordeaux de Claude Bez et du PSG, dont le président Francis Borelli est son ami, il prolonge au Racing. Pourtant, le 23 septembre 1980, victime « d'attaques permanentes, d'articles mensongers, de coups bas », il est licencié après le match perdu contre Nantes. La foule scande : « Bord démission, Gilbert avec nous ! ». Robert Félix lui dit : « Va saluer le public. Ton public... ». Lequel public met « le feu à la Meinau! Comme pour brûler notre destin », le feu au sens propre.

S'en suit un passage au FC Bruges, puis le retour au Xamax suivi d'un intermède au Servette de Genève.


1991-1994 Retour à la Meinau

Suite au forcing du président Jacky Kientz Gilbert s'« engage moralement » avec Strasbourg, et malgré les avances du Borussia Dortmund, retourne au Racing alors en D2, contre l'avis de sa femme et de ses amis. « La Meinau n'a jamais vu autant de monde cette année là. Il y avait souvent presque 40 000 spectateurs » (Gilbert reconnaît qu'il avait un intéressement sur le nombre de spectateurs). L'affinité avec Kientz est grande, bien qu'Emile Stahl et Jean Wendling restreignent sa liberté. La saison se termine en apothéose en match de barrage contre Rennes. Au match retour à la Meinau, « c'est de la folie ! » José Cobos, Stephen Keshi (actuel sélectionneur du Togo) et Jacky Paillard par 2 fois, permettent au Racing de l'emporter 4-1 et de retourner en D1.

Mais les relations entre Kientz, Stahl et Wendling ne sont pas claires. Gilbert reconnaît une grande naïveté : « Je fais confiance, je ne me méfie pas assez... ». Il voulait prouver que les Alsaciens ne sont « pas plus cons que les autres ». Avec Jacky Kientz, « ils auraient pu réussir », mais il n'est pas resté suite à quelques problèmes personnels.

S'en suit le transfert de José Cobos au PSG, que Gilbert apprend... dans la presse. L'arrivée de Laurent Blanc, espérée, ne se fait pas. On dit à Gilbert que « pour le faire signer, il aurait fallu vendre la Cathédrale ». Quelque mois plus tard, Blanc réalise le doublé avec Auxerre. « Le Racing ne peut-il pas soutenir la comparaison avec Auxerre ? » L'affaire Cobos est vécue comme une trahison ! Les gens qui dirigent le Racing « sont souvent frileux, en manque d'imagination et incompétents. Il y a trente mille supporters qui veulent voir leur équipe gagner, qui veulent rêver... Comment peut-on leur donner ce qu'ils espèrent en vendant toujours les meilleurs joueurs sans assurer ses arrières ? ... Pourquoi ce club manque-t-il d'ambition à ce point ?... Le Racing mérite mieux que des dirigeants qui manquent d'ambition, arrivent avec des déclarations fracassantes, ou racontent tout et n'importe quoi... ».

Avec Roland Weller il aurait pu s'entendre. Comme président, « quand il a pris de la bouteille, il est devenu plutôt bon ». Mais depuis l'affaire Cobos, le ressort est cassé, et en 1994 Gilbert démissionne et retourne au Xamax, puis six mois à la tête de la sélection suisse, passe à Zürich où il remporte la Coupe de Suisse, à Metz, Sturm Graz et au FC Sion.

Gilbert est un homme intransigeant, exigeant, fidèle à ses principes, en amitié comme en inimitié. Il aime certainement les joueurs, particulièrement ceux qui obéissent sans discuter, ceux qu'il a construits, comme les sans-grade Roland Wagner et Joël Tanter, champions de France en 1979, qu'il cite souvent. De Frank Leboeuf, une grande gueule, ne disait-il pas « je n'aime pas ceux qui portent des lunettes de soleil même quand le temps est couvert » en lui promettant l'échec sur le plan international ? On connaît la suite... A ceux qui lui reprochent de ne pas avoir fait évoluer son système de jeu depuis 1978, il répond : « lorsque j'entends José Mourinho, je trouve que sa méthode n'est pas très éloignée de celle qui m'a permis de devenir champion de France et de Suisse ». Schilles ne changera pas d'un iota !

Sans club aujourd'hui, à 64 ans, à la question « le Racing et vous c'est de l'histoire ancienne ? », Gilbert répond : « Peut-être pas. Je resterai fidèle à ce que je suis. Si un jour je retrouve un Léopold, un Kientz ou un Fachinetti, tout sera possible. »


Je n'avais encore rien dit
de Gilbert Gress, Conversations avec Eric Genetet
Editions du Boulevard (nov, 2005)

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jakouiller

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