Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

De Kristiansand au troisième titre de champion…ou presque

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Souvenir/anecdote
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Par jmr
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La Coupe d'Europe, la vraie... © jmr

A l’occasion du quarantenaire du match retour de quart de finale de Coupe d’Europe des Clubs champions 1980, nous vous proposons le témoignage d’un stubiste présent au premier match de cette campagne européenne, en Norvège.

De Kristiansand à l’Ajax, en passant par le Dukla Prague, le Racing a disputé six matchs de C1, trois tours aller-retour. Si l’aventura s’arrêta de manière abrupte à Amsterdam (défaite 4-0), elle n’en aura pas moins laissé de souvenirs marquants à de nombreux supporters, parmi lesquels @jmr.

Ce dernier nous propose également deux ressentis de supporter, l’un émanant directement de cette saison 1979-1980, l’autre plus proche de nous.



En toute modestie, je voudrais vous confier les événements un peu rares, disons singuliers, que j'ai eu la chance de vivre en tant que supporter du Racing.
Vous y découvrirez des faits, dont certains peu connus, mais aussi quelques convictions issues de l'analyse de ces faits.
Au final, sachez bien que je ne détiens aucune vérité, si ce n'est, comme vous, d'aimer notre Racing.

19 septembre 1979. J'accompagnais nos Bleus pour leur premier match de Coupe d'Europe des Clubs champions. Nom originel de la Champion's League.
En ces temps reculés, un certain bon sens faisait florès, si bien que ce trophée majuscule n'était disputé que par les vainqueurs des divers championnats européens. On estimait à l'époque que seul le premier était champion. Oh les ringards !

Si bien qu'en tant que premier de D1, nom originel de la L1, l'équipe fanion de tout le peuple d'Alsace allait défendre ses couleurs par monts, par vaux, par amour.
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Petite histoire d'un moment historique.

A l'époque, j'avais 15 ans et venais de découvrir le football depuis un an à peine. Issu d'une famille méprisant le sport et plus particulièrement le football, c'est à des vacances passées chez un cousin que je dois le fruit de ma passion.
Eté 78, j'entendais les copains s'extasier ou pester autour des résultats de la Coupe du Monde en Argentine. A mes yeux, je ne voyais pas trop pourquoi on voulait couper le monde et, à mes oreilles, Platini évoquait un type de vis qu'on trouve dans les moteurs. J'étais à mille lieues d'imaginer que la vis symboliserait rapidement mon vice, moteur de ma passion.

Le virus me contamina quelques semaines plus tard, lorsque mon cousin susévoqué, chez qui je passais deux semaines en août, écoutait le vendredi soir le championnat de D1 à la radio. Il habitait Dijon et supportait St-Etienne.
Il respirait foot, transpirait foot et, par contagion, eu l'heur de me transmettre le mal. Etant totalement novice, je l'interrogeais sur l'existence possible d'une équipe de football à Strasbourg… Il évoqua alors un certain Racing Club de Strasbourg dont, je le jure, je n'avais jamais entendu parler.
Et ce club serait plutôt bon ! Ah bon ?

De retour de vacances, à l'instar de mon cousin je suivais avidement toutes les soirées de championnat et, au bout de quelques semaines à peine, me rendais régulièrement à la Meinau. Un nouveau monde venait de s'ouvrir à moi.
Sincèrement, quelle chance inouïe de découvrir le football l'année même où le Racing allait devenir Champion de France.

Premier titre de champion de D1

La suite, vous la connaissez tous. Un inoubliable 2 juin 1979 le Racing rentre de Lyon avec son premier titre de champion en poche. Poche dans laquelle j'aurai la chance infinie de m'introduire quelques semaines plus tard.

En attendant, les moins jeunes s'en souviennent, la ville se noircissait de monde avec pour dessein de fêter ses héros. De hurler son bonheur face à ce sacre remporté la veille au soir dans la cité des Gones sur un score sans appel de 3-0. Notons au passage un fait unique dans l'histoire du football, des milliers de Stéphanois remplissaient les tribunes pour encourager leur ennemi héréditaire. En effet, en cas de défaite du Racing, le titre pouvait tomber dans l'escarcelle stéphanoise.

A Strasbourg, donc, un bus à impériale – ou quelque chose de ressemblant – fut orné pour l'occasion. Au-dessus, à découvert, les idoles de tout un peuple serraient des mains, signaient des autographes, regardaient la foule. Médusés qu'ils semblaient, du haut de leur radeau de gloire.

Ah ma famille ! Après mon cousin, il me faut vous parler d'une de mes tantes. Germaine de son prénom. Germanou pour les intimes. Elle pouvait s'honorer d'être le bras droit d'Adolf Dassler… Adi de son surnom, car Adolf, comment dire..?
Adi Dassler, donc, n'est autre que le fondateur d'Adidas "Adi Das".

Située à Landersheim, cette première marque mondiale du sport à l'époque, s'honorait bien évidement d'être sponsor du Racing Club de Strasbourg. C'est ainsi que, grâce à ma tante, je reçus un ballon dédicacé par toute l'équipe, mais connus surtout l'insigne privilège d'accompagner les idoles à Kristiansand pour leur tout premier match en Coupe d'Europe des Clubs Champions.

Vous pouvez vérifier sur Internet ou auprès de votre agence de voyage préférée, aucun vol régulier n'existe entre Strasbourg et la ville hôte.
Le club affréta donc un avion pour le seul et unique Entzheim - Kristiansand sans escale de l'histoire de l'aviation. Pas mal pour mon baptême de l'air.
Dans l'habitacle nous devions être une quarantaine entre l'équipe, le staff, des journalistes et une quinzaine de supporters.
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Au vol aller, j'étais assis à côté du prêtre du Racing. Si, si ! J'ignorais que cette vocation existât, mais j'appris qu'à l'époque toutes les équipes « possédaient » leur prélat attitré. Le nôtre devait davantage être en odeur de sainteté que ses concurrents.

Deux ou trois heures plus tard (quand on aime on ne compte pas) je me retrouvais dans un luxueux hôtel de l'adorable petite ville norvégienne. Puis, Adidas craignant sûrement que l'on s'ennuie, avait prévu un féerique tour des
fjords en bateau pour les supporters. Enfin, quand je dis supporters, il ne faut pas
imaginer les UB90 avec fumigènes, cornes de brume et tifo. Plutôt des cadres ou des sponsors. Pour tout dire, je devais être le seul à porter une écharpe aux couleurs du RCS. Ce faisant, force est de reconnaître qu'ils aimaient réellement le Racing. Au passage, cette balade représentait pour moi un second baptême. L'eau après l'air. Pour la première fois je vis la mer.

Le lendemain. Jour de match.
Sauf erreur de jugement ou illusion d'optique, le lieu des hostilités ressemblait davantage à un stade de National qu'au Maracana. Ce n'est d'ailleurs qu'en 2007 que ce club se dota d'une véritable enceinte de 14000 places.
Nous étions donc une dizaine de furieux Strasbourgeois prêts à en découdre, mélangés à une horde de 5500 Norvégiens le couteau entre les dents. Pour être honnête, nous ne craignions pas réellement pour nos vies. Rarement je n'ai vu ambiance si paisible. De mon siège, outre le match, je voyais la mer. Un œil sur nos grands bleus, un autre sur le grand bleu.

Pour ce qui est du match, j'avais noté un premier but de Francis Piasecki à la 43e minute, mais la presse évoquait unanimement la 42e Un mystère du football qui ne sera certainement jamais résolu. Mais les mystères ne nourrissent-ils pas les légendes ?

Piasecki, toujours lui, récidiva à la 75e (là nous sommes d'accord !). Puis enfin, l'IK Start Kristiansand réduisit la marque à la 81e par l'entremise d'un certain Jan Ervik dont je n'entendrai jamais plus parler, mais à qui j'offre tout mon respect.

Puis retour à l'aéroport. Et aux sempiternelles parties de tarot entre les champions. J'aurais pu les regarder jouer pendant des heures. Même sans ballon, ils étaient mes stars.
Petit détail amusant. Vous remarquerez sur la photo que même les cartes de tarot
portent le logo de l'équipementier.
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Une heure avant le décollage, nous dînions avec les joueurs dans la cafétéria de l'aéroport qui me vit déguster mon steak haché frites en face de Léonard Specht. Ineffable moment pour le timide fan de 15 ans qui vivait un rêve éveillé. Vous savez, comme j'étais très largement le plus jeune du voyage, tout le monde m'avait à la bonne. Mes idoles m'ont adressé maints clins d'yeux et autres tapes amicales dans le dos. Jamais je n'aurais imaginé telle félicité lorsque, quelques semaines plus tôt, dans les tribunes de la Meinau, je scandais le nom des joueurs.
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Retour à Strasbourg et encore quelques photos qui pour moi sont tout sauf des clichés…
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Quinze jours plus tard, au match retour, je regardais la foule des supporters en me disant, tout au fond, presque les larmes au rêve, j'y étais !



Deuxième titre de D1 du Racing

Ledit match retour, gagné 4 - 0 revêtait une importance capitale que nul ne mesurait à l'époque, et que beaucoup ignorent encore aujourd'hui. Selon moi, c'est ce jour-là qu'un entraîneur fit perdre un second titre à son club.

Explications.
Après le départ d'Alain Léopold de la tête du RCS, André Bord fut nommé président, avec pour dessein que le Racing soit champion de France 79/80. Pour y parvenir, il envisageait de renforcer l'équipe tout en compensant les départs.

En tant qu'ancien ministre, il avait le bras long, des connaissances au PSG notamment, si bien qu'il réussit à faire signer Carlos Bianchi. Quintuple meilleur buteur du championnat, de 1974 à 1979, s'il vous plait. Tout le monde le voulait. Un graal !

Logiquement, c'était une autoroute pour le Racing. Sauf que Gilbert Gress ne l'entendait pas de cette oreille. Il revendiquait publiquement ne pas souffrir l'idée de star dans son équipe.
Nonobstant le fait que cette volonté n'a guère de sens puisque tout titre de
champion offre mécaniquement ce statut aux joueurs qui l'obtiennent, je m'interroge encore sur le sous-texte de cette assertion.

Pas de star… lui hormis ? Je n'aurais pas l'outrecuidance de l'affirmer, mais l'impudence, peut-être, de le supputer.
S'ensuivit un bras de fer avec la présidence. Mais le coach était aussi colérique qu'obtus. Pour l'anecdote et avaliser mon propos, ma tante me confia qu'après le titre de Champion l'équipe fut invitée chez Adidas pour un grand repas. Au moment du fromage, un joueur (Jacky Novi si j'ai bonne mémoire) demanda au sommelier de lui resservir un verre de vin. Mal lui en pris, car Gilbert Gress, vexé que le joueur ne lui en ait pas demandé la permission, jeta le verre de vin à la figure du fautif. Ambiance.

Cet épisode éclaire mieux le personnage et la guerre qu'il livra à André Bord et à sa recrue. Le chef, c'est lui !
C'est ainsi, hélas, que Carlos Bianchi devint de terrain de bataille des belligérants, et fit souvent banquette sans y être pour rien. Il joua toutefois le match retour contre les Norvégiens de Kristiansand et en profita pour inscrire trois buts. Non mais !

La presse, au fait des intrigues minant le vestiaire, demanda à l’entraîneur ce qu'il en pensait. S'il allait enfin faire de son cador un fer de lance de l'attaque. Sibyllin, il rétorqua que le troisième but du joueur, il aurait pu le mettre lui-même. Ce à quoi le goleador répondit « Oui, mais moi je l'ai fait». A cet instant la messe était dite, la saison pliée et le second titre déjà envolé.

Dans ses mémoires, Carlos Bianchi évoquera cette saison comme étant la pire de sa carrière, une saison loupée. Il ne participera qu'à 25 matchs, toutes compétitions confondues, inscrivant 11 buts (tout de même !). Dont 8 en championnat sur 22 matchs sans être forcément titulaire. Et le tout en se sachant renié par son entraîneur.

Des années plus tard, en 1996, j'en parlais à André Bord lors d'une émission que j'animais tous les samedis sur Radio Dreyeckland.
De 10 h à midi je recevais une personnalité pour évoquer sa vie, son œuvre, ses
projets… Je compris lors de cet échange que l'homme était un amoureux fou du Racing. Il a d'ailleurs écrit un livre passionnant sur le Club, qu'il m'envoya ensuite, dédicacé (ainsi que sa biographie, autre preuve de son cœur battant pour le Racing).

En l'écoutant, il ne fallait pas être devin pour comprendre à quel point cette période l'avait profondément meurtri et combien il se sentit trahi par son entraîneur. Même s'il ne le formulait pas ouvertement. Pour lui, un second titre était une évidence si les egos n'avaient pas pris le dessus sur le sportif.
Quoi qu'il en soit, cet homme vouait au Racing un amour incommensurable. Face à toute cette affaire, aux éléments qui m'ont été donnés, j'ai l'intime conviction que Gilbert Gress nous a apporté un titre puis nous en a volé un autre.

Et de trois !

Mon émission radio me dirige vers le troisième titre - d'où celui de mon témoignage - « volé » au Racing.

J'accueillis par un beau samedi, Monsieur Roland Weller alors Président. Un autre amoureux du club. Durant deux heures réellement captivantes, il narra les coulisses du RCS, de la Fédération, du football en général. Puis, hors antenne, comme il semblait m'avoir à la bonne, nous poursuivions la conversation. Il m'avoua préparer minutieusement l'avenir avec son staff. Il avait déjà noué des contacts et prévu ce qu'il fallait pour faire venir les grands noms qui manquaient au Racing dans le but d'obtenir (enfin !) son second titre de champion la saison suivante. Tout était quasi planifié en coulisses.

Nul ne peut affirmer, bien entendu, que l'équipe voulue par le Président nous eût portés au firmament de la L1 en mai 98. Mais tout s'imbriquait pour. Vous imaginez le bonheur d'un Racing Champion de France, suivi d'une équipe de France championne du Monde ?!

Seul grain de sable dans les rouages, la municipalité de l'époque devait céder ses parts et en quelques sortes vendre le Racing. L'édile d'alors, Catherine Trautmann, ne nourrissait nulle idylle avec le sport. J'eu l'occasion d'en faire constat lorsque je l'interviewais pour La Presse Parlementaire qui m'avait commandé un hors-série consacré à Strasbourg.
Attention, mon opinion ne porte aucunement sur quelque élément politique que ce soit. Mon propos, comme pour André Bord (voir plus haut) ne concerne que le sportif.

Or donc, Madame Trautmann, pour le football de notre ville a commis deux erreurs clefs à mes yeux. D'une part de refuser que des matchs de la CDM 98 se tiennent à la Meinau, qui de surcroît aurait été rénovée force aides de l'Etat.

D'autre part de céder les parts de la ville à IMG-McCormack plutôt qu'à Roland Weller.
C'est ainsi que, certainement - peut-être du moins - avons-nous laissé échapper un second titre. Roland Weller semblait si sûr de son fait que je ne puis m'empêcher d'y croire.

Et quand bien même. Sans IMG, pas d'Hilali au final, me dis-je parfois.

Aujourd'hui, je repense souvent aux vagues blanches et bleues qui s'échouèrent en septembre 1979 dans les fjords de Kristiansand.
Elles furent à mon cœur presque aussi émouvantes que les vagues bleues et blanches qui font régulièrement chavirer la Meinau.
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Je regrette juste ces écumes amères, laissées trop souvent par le tourbillon ravageur de quelques égos mal gérés. Elles souillent les bords du Krimmeri pour former la lie de l'histoire du Club.

Pourtant, quoi de plus beau, de plus fort, que de voguer à vie avec le Racing au cœur !
Allez Racing et vive ses supporters !

jmr

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