Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Tout à fait Thierry

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Par louky
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Personnage entier au verbe haut et tacticien hors-pair, Thierry Laurey quitte le Racing sur une note douce amère, qui ne fait pas oublier un palmarès de premier plan. Et, surtout, un parfum de légende.

Jusqu’au bout, elle aura été la saison de l’injuste. Dans le silence d’une Meinau dépourvue d’âme, ce cru 2020-2021 a tout de l’édition fantôme. Un long chemin de croix qu’on voudra vite, très vite balayer des mémoires du côté du Krimmeri. Pourtant, en ce lundi 24 mai, peu après minuit, il en est un qui n’oublie pas. Ou plutôt, qui ne les oublie pas. Tous ces visages - joueurs, entraîneurs, membres du staff - qui s’en iront sur les chemins de l’incertain, après avoir écrit quelques lignes ou parfois plusieurs pages de l’histoire de l’institution qu’ils quittent. A mesure qu’il prononce le mot « Regrets » en l’associant à ces au-revoir manqués devant ces tribunes désespérément vides, Thierry Laurey parle beaucoup des autres. Mais aussi un peu de lui. La voix blanche et le timbre usé par cette saison désillusionnée.

A l’évidence, personne n’aurait voulu que l’histoire se termine ainsi. Par ces hommages vibrants mais pourtant si lointains sur des réseaux sociaux qu’il exècre. Par les saillies d’une presse - et pas seulement quotidienne et régionale - excédée par son comportement de plus en plus irascible à mesure que la saison avançait. Par un communiqué aussi chaleureux qu’une allocution confinatoire de Jean Castex, qui en dit autant sur la pudeur de Marc Keller que son empressement de tourner rapidement la page. Enfin, par l’attitude de Thierry Laurey lui-même qui, pressentant le couperet tomber, a choisi de se préserver dans des formules froides et sans saveur - « Je n’ai pas de nostalgie quand je quitte un club », « Si je dois partir, je partirai », etc…- Probablement tant pour masquer une véritable tristesse de s’en aller qu’une profonde rancoeur à l’égard du microcosme meinauvien - et pas seulement la presse, pour le coup -, dont il s’éloignera, ici, sans regret.

Thierry git, hardi


Puisqu’il est inévitable, autant évoquer tout de suite le sujet qui (se) fâche. Depuis le début de saison, Stubistes et Twittos suiveurs du club s’écharpent sur le cas Laurey, devenu le symbole de ce Racing clivant sur le terrain à défaut d’être bandant dans le poste de télévision. Un fait, que Thierry Laurey a rappelé lors de ce qui restera sa dernière conférence de presse en bleu et blanc : la saison aurait été toute autre sans les innombrables pépins qui ont émaillé l’exercice strasbourgeois, miné par le poids des absences, dont celle - hurlante - d’un public qui vaudra toujours plus que ses joueurs.

Paradoxalement, c’est dans ces enceintes silencieuses que la fracture entre Thierry Laurey et son groupe s’est faite de plus en plus criante. Le point d’orgue étant cette défaite scandaleuse contre Montpellier, où les joueurs ont semblé évoluer davantage contre leur entraîneur que pour les supporters, qui leur ont pourtant offert un accueil de feu avant la rencontre. Humiliation suprême : la conf’ d’après-match sera censurée sur le compte Twitter du club. Alors que Thierry Laurey s’était évertué, en façade du moins, à protéger une énième fois des « garçons » qui se sont révélés être des gamins sacrément ingrats.

L’épisode est loin d’être anodin. Aussi insupportables ont-ils été cette saison, il n’y en a pas un, parmi les joueurs - jusqu’à preuve du contraire - pour saluer leur coach sur le départ. Aucune effusion, non plus, après le maintien arraché au terme d’une nouvelle purge face à Lorient. Au contraire, une bien triste indifférence. À l’image des 38 nuances de gris - ou presque - qui ont émaillé une année de dimanches d’une pénibilité sans nom, car sans nous. Bien loin des explosions de couleur dans une cité lilloise qui a sacré un autre champion, il y a deux ans. Parce qu’au Racing, s’ils ne sont pas onze mais des milliers, il n’y en a toujours qu’un pour être entraîneur. Dimanche soir, Thierry Laurey était un homme profondément seul. Et, assurément, l’Aubois ne méritait pas ça. Pas maintenant, pas après tout ce qu’il a fait.

Thierry, l’orée


Il est arrivé à d’autres icônes de passer à côté de la coupe, a fortiori quand elle est pleine. Mais, fait rare pour être souligné, Thierry Laurey n’a jamais été lâché par une grande majorité des supporters. Là où par ailleurs, direction, staff et joueurs ont progressivement pris leurs distances. En ce sens, celui qui a explosé le record de longévité sur le banc strasbourgeois peut partir avec une immense fierté. Celle de s’être mis dans la poche l’un des publics les plus chauds, mais aussi les plus exigeants de France.

Peut-être parce que personne, en Alsace, ne croyait à la succession de miracles qu’allait réaliser Thierry Laurey. Lorsqu’il pose ses valises à Strasbourg en juin 2016, la Meinau découvre un entraîneur au verbe haut, extrêmement pointilleux et fort d’une connaissance du foot quasi-encyclopédique. Dans un championnat de Ligue 2 aussi âpre que technique, le tacticien réussit à reproduire ce qu’il était arrivé à faire avec le Gazélec : faire monter des joueurs de National en Ligue 1. Et avec panache en plus !

Bordel, qu’elle était kiffante, cette saison 2016-2017. Que c’était bon de défoncer tout le monde, avec un jeu minimaliste certes, mais avec cette putain de certitudes qu’on allait éclater la moindre équipe qui s’avancerait sur les bords du Krimmeri. Evidemment, le public y a été pour beaucoup. Mais le vrai artisan de ce succès, c’est évidemment lui. Et, déjà, la première salve des nombreux matchs épiques qui marqueront son ère : le déboîtage en règle du Brest de Furlan, le nul arraché dans l’enfer de Bollaert, Bourg-en-Bresse et, globalement, cette fin de saison d’une maîtrise absolue, tant sur le plan tactique que sur la gestion de la réussite. Parce qu’il en faut, aussi, pour être un grand coach.

Dans son sillage, impensable de ne pas évoquer l’ascension fulgurante de son pendant sur le terrain : un certain Dimitri Liénard. Sous les ordres de l’Aubois, le Belfortain prend une dimension qui relève du christique, pour un mec qui poussait des brouettes sur des chantiers quelques années auparavant. En fait, Thierry Laurey a très rapidement compris ce que symbolisait ce Racing revenu d’entre les morts : ce besoin viscéral du peuple ciel et blanc de s’identifier à des guerriers prêts à mourir pour leur maillot, encore écorché par les limbes du foot amateur.

Thierry, l’heureux


Prophétisant un jeu pragmatique, mais du jeu quand même, l’ex-coach d’Arles-Avignon revient en Ligue 1 avec quelques certitudes, dont celle d’avoir un groupe claqué au sol. Malgré les arrivées de Lala et des deux Martin, les seuls véritablement taillés pour cet échelon, Thierry Laurey doit composer avec un Ernest Seka avec qui il ne s’entend plus, des cadres vieillissants et des jeunes vraiment très cons.

Mais là encore, avec cet alliage improbable, l’Aubois va forger son statut d’icône à coups de pioche et à coups d’éclat. Médiocre contre les faibles, le Racing se découvre immense contre les gros. Si le coup-franc salvateur de Liénard revient régulièrement pour illustrer cette saison à la fois éprouvante et magnifique, les puristes ne manqueront pas de saluer le génie tactique de Laurey. À l’image de ce 3-5-2 d’une fascinante cohérence, avec ces grognards à la discipline para-militaire qui renverseront l’ogre lyonnais sans que personne n’y trouve rien à redire. Un coup de maître qui lui permettra de sauver sa place en même temps que le club. La suite montrera que ce fut pour le meilleur.

Epousant à la perfection la progression de l’équipe qu’il entraîne, Thierry Laurey devient l’incarnation de ce Racing qui ne laisse personne indifférent, tant sur le terrain qu’en coulisses. Ses conférences de presse se musclent, tout comme les prestations de ses joueurs. A la tête d’un effectif profondément remanié, Laurey continue de distribuer des mandales tactiques à une Ligue 1 labellisée « Unecatef ». Son 3-5-2 de l’espace, avec un Lala stratosphérique, le mènera jusqu’au toit du stade Pierre-Mauroy. Ensuite, son 4-4-2 losange, particulièrement emballant, consacrant le talent des fuoriclasse Thomasson et Ajorque, lui permettra de rebondir après une campagne européenne éreintante. Ah oui, parce qu’entre-temps, Strasbourg a aussi retrouvé l’Europe, putain. C’était court, c’était intense, c’était insensé, et c’est surtout grâce au tiki-toqué qu’est Thierry Laurey.

Thierry Regrets


Toute médaille a son revers. Peut-être grisé par son aura en même temps que ses tempes, Thierry Laurey connaît par la suite des passages beaucoup plus délicats. Dernier du classement en octobre 2019, après un match complètement manqué à Marseille, son Racing réussit pourtant à inverser la tendance avec un 4-4-2 résolument offensif qui lui permet de concasser Nice 1-0. Pendant longtemps, ç’a été sa force ; changer le cours d’un destin qui semblait lui faire prendre la direction du mur. Cela passait notamment par une remise en question quasi-permanente de son onze, où les méformes pouvaient conduire momentanément sur le banc. Mitro et Lala en ont d’ailleurs fait les frais.

Pourtant, il est un moment où quelque chose s’est cassé. De manière assez imperceptible pour un public éloigné par les circonstances, Thierry Laurey a peu à peu perdu l’emprise sur son groupe. En fait, et d’aucuns n’ont pas manqué de le souligner sur le Stub, les départs non-remplacés de Jonas Martin et de Youssouf Fofana ont engendré un délitement majeur dans le jeu du Racing. Problème : s’il ne décide pas de tout, Thierry Laurey a la mainmise totale sur la composition de l’effectif. Or, en plus d’être déséquilibré, celui-ci montre des sérieux signes de fébrilité, voire d’agacement devant les choix du coach. Au cœur de l’automne dernier, Dimitri Liénard ne dit pas autre chose lorsqu’il appelle son mentor à « faire davantage confiance à l’équipe ». Un fait : du plaisir, peu en ont pris cette saison. Que ce soit devant la télé, sur le terrain ou au bord, visiblement.

Les articles parus très récemment dans la presse régionale expliquent en partie le départ doux-très amer de celui qui jouit d’un statut « gilbertgressien » auprès de ses plus fidèles soutiens. Mais évidemment, tout n’est pas de la responsabilité du Troyen. Dans un foot pro peuplé d’hypocrites - à commencer par une direction du Racing bien lâche cette saison - personne dans sa hiérarchie n’a eu le cran de discuter franchement avec lui quand la situation a commencé à se crisper. Mise à part une brève discussion en ce lundi 24 mai au matin pour le remercier pour tout et le remercier tout court. Qu’importe, à l’image de cette saison, le microcosme strasbourgeois - excepté des supporters admirables de patience - s’est caricaturé dans la lose. Sans qu’il y en ait un pour rattraper l’autre, qui a fini par s’en aller par la petite porte.

Thierry, l’au-revoir


Alors oui, Thierry est parti. Sans un au-revoir décent, sans chant à sa gloire, sans tifo. Sans possibilité de s’adresser à un public à qui il a tant donné et qui l’a tant aimé. Ce n’est probablement pas comme ça qu’il envisageait sa sortie. Lui a préféré se dire tant pis, probablement pour mieux rebondir. Le paradoxe de ce personnage fort en gueule qui part sur un non-dit.

La légende, elle, restera longtemps gravée dans les mémoires. Nombreux sont ceux qui, à l’annonce de son départ, lui ont témoigné une affection et une reconnaissance sans borne. Parce que ce qu’il a fait est grand, beau, puissant. Et parce qu’avant les sourcils et les rancœurs, il a surtout été l’artisan d’un immense bonheur. Voilà, tout simplement.

louky

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