Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

12 décembre 1996, le jour où tout a basculé

Note
5.0 / 5 (4 notes)
Date
Catégorie
Souvenir/anecdote
Lectures
Lu 1.319 fois
Auteur(s)
Par strohteam
Commentaires
3 comm.
Proisy3.jpg
Patrick Proisy et Mark McCormack

Que se serait-il passé si IMG-McCormack avait repris l'Olympique de Marseille au lieu du Racing club de Strasbourg ? Exercice d’uchronie sur les destins croisés des deux clubs après leurs privatisations respectives lors de la saison 1996/1997.

Avant de s'intéresser au Racing, Patrick Proisy et IMG-McCormack avaient candidaté à l'appel d'offre pour la reprise de l'Olympique de Marseille. Vingt-cinq ans après, et à l'occasion d'un nouvel affrontement entre les deux clubs en D1, il est tentant d'imaginer ce qu'auraient pu donner un Racing resté sous la férule de Roland Weller et un OM vendu aux Américains.

C'est ce que propose cet article, inspiration très libre à partir de quelques faits réels. Les éléments authentiques sont signalés par des notes avec une source. Le reste est bien évidemment pure fiction et toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.


A l’hôtel de ville de Marseille, sur le Vieux-Port, les mines sont fatiguées mais souriantes. Après des semaines d’âpres négociations, Jean-Claude Gaudin, Renaud Muselier, Mark McCormack et Patrick Proisy posent longuement pour les photographes à l’issue de la conférence de presse officialisant la revente des parts de la municipalité au sein de la société d’économie mixte montée en urgence quelques mois plus tôt pour éviter à l’OM, alors en D2, la liquidation judiciaire. C’est donc IMG - McCormack, un géant américain des droits télévisuels plutôt connu dans le golf et le tennis jusqu’ici, qui se porte acquéreur moyennant vingt millions de francs et surtout la promesse d’injecter 150 millions supplémentaires sur cinq ans [1]. Ancien tennisman, finaliste à Roland Garros en 1972, et surtout PDG de la filiale IMG France, Patrick Proisy a été intronisé plus tôt dans la matinée président de la nouvelle SAOS et succède ainsi indirectement à des grands noms du football français comme Bernard Tapie ou Marcel Leclerc

La cité phocéenne a toutefois été fidèle à son image volcanique et l’affaire particulièrement compliquée. Placé dès le départ, le dossier IMG faisait figure de favori pour le rachat jusqu’à ce que la montée en première division aiguise les appétits. Par ailleurs, le grand argentier du football français, Jean-Claude Darmon, ne pouvait que s’alarmer de l’arrivée au sein du football professionnel français d’une multinationale spécialisée dans le négoce de droits. Souhaitant préserver sa chasse gardée face à son rival et ancien employé Patrick Proisy, Darmon s’est fait fort de monter en sous main un tour de table organisé autour du PDG d’Adidas Robert Louis-Dreyfus, lequel avait de son côté tout intérêt à damer le pion à son concurrent Nike, allié d’IMG [2].

Débarqué au Vélodrome à l’été 1996 en tant que nouveau sponsor et président putatif, RLD a fait le tour du propriétaire promis monts et merveilles avant de très vite disparaître. Il se murmure que l’état réel des comptes de l’OM a été un élément de blocage. D’autres persiflent en évoquant l’influence de son épouse, Margarita, très réticente à l’idée de quitter l’anonymat feutré d’une vie de milliardaire suisse pour s’exposer, à tous points de vue, dans une ville à réputation sulfureuse. Quoiqu’il en soit, les promesses de Dreyfus et d’Adidas ne se sont jamais concrétisées. Ne s’avouant pas vaincu, Darmon a tenté des manœuvres d’arrière garde jusqu’à ce que d’opportunes fuites dans la presse laissent transpirer l’impatience d’IMG face aux complications du dossier OM. Un article dans un grand quotidien sportif a même évoqué un plan B consistant pour Proisy à se rabattre sur Strasbourg, où la mairie a engagé une démarche similaire de privatisation. Il est vrai que le club alsacien réalise une très belle saison avec une jeune équipe prometteuse. Fin novembre, le Racing est ainsi quatrième du championnat, loin devant le promu marseillais, qu’il vient d’ailleurs de battre 2-1 à la Meinau. Le RCS présente en outre l’avantage d’avoir été intégralement désendetté, ce qui n’est pas le cas de l’OM. Quel qu’ait pu être l’intérêt réel pour Strasbourg, l’ultimatum en sourdine adressé par IMG se révèle in fine très efficace : Jean-Claude Gaudin et son premier adjoint s’empressent de lever dans l’urgence les derniers obstacles juridiques et financiers. Élus, comptables, notaires et intermédiaires en tous genres n’ont pas compté leurs heures ces derniers jours et l’affaire a plusieurs fois failli capoter in extremis, ce qui explique les traits tirés.

Ironie de l’histoire, c'est déjà une rumeur d’intérêt strasbourgeois qui dix ans plus tôt avait servi d’aiguillon pour convaincre Gaston Defferre de céder le club à Bernard Tapie [3]. Interrogé sur le sujet, Patrick Proisy dissipe les doutes avec la brutale franchise dont il sait faire preuve “Nous avons effectivement étudié plusieurs dossiers mais Marseille a toujours été notre seule et unique priorité. Strasbourg est un club intéressant, le président Weller fait de l’excellent travail, mais le contexte alsacien est très particulier. Là bas ils sortent à peine de quinze années de crises à répétition, je pense que les gens préfèrent un actionnaire local. Et puis, sans lui faire injure, le Racing, c'est tout de même un calibre inférieur à l’OM !” Le nouveau président olympien embraye ensuite directement sur son projet de mettre en réseau plusieurs clubs possédés par IMG dans des métropoles européennes, citant à la cantonade Francfort, ou Séville [4].

Quatre mois plus tard, un autre Hôtel de ville, cette fois-ci place Broglie à Strasbourg. Catherine Trautmann officialise la cession à l’équipe du président Roland Weller des 49% de parts du Racing club de Strasbourg que la municipalité détenait depuis 1990 au titre, là aussi, d’une société d'économie mixte. Une passation de pouvoir discrète et sous le signe de la continuité, plutôt bien accueillie par les supporters et couronnée quelques jours plus tard par une finale de coupe de la Ligue qui voit les Alsaciens s’imposer aux tirs au but face à Bordeaux. Strasbourg va en coupe d’Europe pour la deuxième fois en trois saisons et retrouve surtout une certaine stabilité après deux décennies marquées par des luttes intestines sans fin. Un quotidien parisien évoque ainsi “la stabilité retrouvée du Marseille de l’Est avec une solution locale qui semble enfin solide, quatre ans après la démission controversée de Jacky Kientz”.

Un choix toutefois fustigé par l’opposition, et notamment Robert Grossmann qui donne une très acide interview dans la presse régionale : "Madame Trautmann fait une nouvelle fois preuve de son dogmatisme en confiant en catimini le Racing à ses alliés politiques. Le manque d’ambition est flagrant. Strasbourg est tout de même capitale européenne, elle doit rayonner et viser la tête du championnat. Il est inadmissible qu’un grand appel aux investisseurs n’ait pas été lancé. Je prends l’exemple du groupe américain IMG dont on a évoqué ça et là l'intérêt mais qui a fini par reprendre Marseille. S’est-on vraiment donné les moyens de séduire de tels partenaires ? Les Strasbourgeois ont le droit de savoir." La réplique de l’adjoint aux sports Robert Herrmann est immédiate et tout aussi cinglante : “Monsieur Grossmann n’a pas changé d’un iota depuis l’époque où il ricanait dans les loges dès que le Racing, tenu par ses rivaux politiques d’alors, perdait. Nous avons récupéré ce club en deuxième division et en cessation de paiement. Nous l'avons ramené en coupe d’Europe avec des finances saines et n'avons aucune leçon à recevoir.” Contrainte de siffler la fin de la récréation, la maire annonce qu’un comité de suivi transpartisan se chargera de vérifier la bonne tenue de leurs engagements par les nouveaux actionnaires. Roland Weller est en effet accompagné par la société ISL, qui gère les droits de la FIFA, le sponsor maillot Penauille et appuyé de façon notoire par le groupe de Jean-Claude Darmon, lequel en profite pour se refaire un santé après son cuisant échec marseillais [5].

Plus au sud, le très volubile Patrick Proisy signe son arrivée en lançant des noms en pâture à la presse. Il évoque des pointures du football européen comme Savicevic, Baggio ou Klinsmann mais va encore plus loin en évoquant le cas du meneur de jeu de l’équipe de France : “l’ambition d’IMG c’est que plus jamais un pur Marseillais comme Zinédine Zidane ne puisse évoluer ailleurs qu’à l’OM. Nous allons investir sur la formation et nous avons à cœur de faire rayonner cette formidable cité et son patrimoine multiculturel.” Il n’en faut pas plus pour faire tourner toutes les têtes dans la Canebière où la rumeur Zidane enfle chaque jour, certains faisant même le pied de grue à l’aéroport de Marignane où son arrivée a été annoncée par des bruits de couloir. En pure perte évidemment puisque le joueur de la Juventus a été dissuadé de changer d’équipe à quelques mois de la coupe du monde par le sélectionneur Aimé Jacquet mais aussi par son coéquipier en club et capitaine en sélection, l’influent Didier Deschamps. Autre initiative, nettement moins bien reçue, Patrick Proisy change immédiatement le blason mythique de l’OM. Les initiales enchâssées du club et sa devise “Droit au but” sont remplacées par une curieuse forme géométrique censée représenter à la fois une rascasse et Notre Dame de la Garde. Certains s’en amusent et surnomment vite ce logo “Pac-Man”, d’autres prennent la chose nettement moins à la rigolade, et les premières banderoles assassines de fleurir dans les virages. Très cassant, Proisy réplique : “la marque OM doit être mondiale, pour quelqu’un qui ne parle pas français la devise ne veut rien dire et en Asie ou dans le monde arabe ils n’utilisent pas notre alphabet.” Un argument qui ne convainc guère, si ce n’est quelques journalistes parisiens ironisant sur des supporters bloqués à l’époque Tapie, pourtant de sinistre mémoire.

En Alsace, les choses se tendent également un peu lorsque Roland Weller souhaite obtenir les coudées franches. Il faut d’abord écarter par une négociation à l’amiable mais très discrète une menace de recours agitée par Pierre Rapin et Egon Gindorf, qui avaient également candidaté au rachat de la part municipale et ont fait quelques allusions à des manipulations comptables [6]. C’est ensuite André Bord qui se dresse sur la route du président du RCS lorsque celui-ci souhaite couper le cordon ombilical avec l’Omnisport, titulaire du numéro d’affiliation et propriétaire de la marque. Chose incongrue, les Racingmen évoluent plusieurs matches avec un blason hérité des années Daniel Hechter et floqué "Strasbourg Football 1906” suite, là aussi, à des menaces de poursuites et autres constats d’huissier. Le ton monte entre Weller et Bord, une rumeur court même en ville : les deux hommes auraient failli en venir aux mains à l’occasion d’un évènement caritatif organisé par le club au golf de la Wantzenau. Pensant être enfin sortie du dossier Racing, la mairie est contrainte de remettre les mains derechef dans le cambouis. Catherine Trautmann ayant intégré le gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin, c’est le nouveau maire Roland Ries qui monte de toute pièce une mission de bons office fleurant bon l’humanisme rhénan et confiée aux deux Jean, l’ancien député socialiste Oehler et le doyen Waline. Le compromis trouvé ne fait que repousser le problème de la marque, dont l'Omnisport consent à louer l’usufruit pour cinq ans, mais acte le transfert du numéro d'affiliation à une nouvelle association séparée de l’Omnisport. Ce dernier obtient en retour une rallonge de subvention de la collectivité, laquelle s’engage à éponger le déficit des sections non liées au football. En conseil municipal le maire ne se prive pas de remarquer sur son ton professoral que “l’articulation entre intérêts publics et privés est embrouillée dans les différentes dispositions et le législateur a mis nos collectivités dans l’embarras. Il faut espérer que la grande loi cadre sur le sport annoncée par madame Buffet viendra clarifier tout cela”

Selon bon nombre d'observateurs, André Bord a une nouvelle fois finement manœuvré tandis que Roland Weller fulmine et met l’intersaison ratée sur le compte de la paralysie provoquée par cette affaire et de manière générale par tous les montages juridiques et financiers nécessaires à la privatisation. Le Racing ne recrute en effet aucun joueur de renom et se contente de piocher d’anonymes joueurs belges et danois, chose grandement facilitée par le fait que l'arrêt Bosman a interdit en 1996 tout quota de joueurs communautaires, ce qui permet accessoirement de comprimer les ambitions salariales et sportives des joueurs français [7]. En sens inverse, le président a assez froidement mis un terme aux ambitions de son buteur David Zitelli, lequel ne faisait pas mystère des intentions de Schalke 04 à son endroit. Le RCS entame ainsi la saison 1997/1998 avec une équipe globalement inchangée et très attendue par l’exigeant public alsacien.

Ce n’est pas tout à fait le cas du côté de Marseille où Patrick Proisy se montre lui aussi très attentif quant aux intentions de la nouvelle ministre des sports : “La réglementation en vigueur empêche IMG de gérer l’OM comme une société privée classique, et notamment d'entrer en Bourse. C’est purement anachronique à une époque où les Français plébiscitent massivement les privatisations comme celle de Renault ou celle très attendue de France Télécom. Aujourd’hui il est possible à chacun de suivre ses investissements par Minitel et bientôt ce sera sur la toile. C’est un moyen formidable de lever des capitaux et cela doit nous permettre à l’avenir de réaliser davantage d’opérations comme celle que nous venons de faire avec Laurent Blanc”. C’est en effet le libero de l’équipe de France qui est la recrue star de l’été sur la Canebière, rapatrié de son exil barcelonais grâce à l’argent frais injecté par IMG et Nike, par ailleurs sponsor personnel du joueur [8]. Concernant le sujet du banc de touche en revanche, Patrick Proisy essuie un échec. Le président de l’OM s’était mis d’accord avec l’influent Rolland Courbis, lequel venait comme par hasard de quitter son poste à Bordeaux. Il n'en a pas fallu davantage pour relancer la rumeur Zidane, toujours très proche de son ancien entraîneur. La maison mère a néanmoins bloqué in extremis le contrat du Marseillais de naissance. Il se murmure que l’activisme de Courbis et de ses réseaux en matière de transferts auraient pu venir parasiter les intentions de MacCormack dans ce domaine. L’OM repart donc faute de mieux avec le méritant Gérard Gili à qui revient la lourde charge de faire l’amalgame entre les joueurs venus de la D2 et les prestigieuses nouvelles recrues.

A suivre...

Notes


[1] C’est le montant évoqué par Patrick Proisy lors de la reprise du RC Strasbourg, par exemple dans une interview au Monde, 13 avril 1997

[2] Voir à ce sujet un bon résumé sur omforum

[3] Mystérieuse rumeur évoquée dans un documentaire de Toute l'Histoire qu'on peut retrouver dans ce topic

[4]“On avait commencé à négocier avec l’Eintracht de Francfort [sic.], avec Séville en Espagne”, interview donnée à Planète Racing en 2015

[5] Le montage du projet est détaillé dans le livre Les Quatre vérités de Roland Weller, Coprur, 2002. Voir notamment en l'annexe 5 la copie d'un courrier du 7 février 1997, pp. 113-114

[6] Rapin et Gindorf ont effectivement candidaté, un résumé dans cet excellent article. et sa suite Voir également Pierre Perny, Racing 100 ans, 2006, pp. 301-302

[7] François Keller avait évoqué ce contexte sur ce site en 2011 lorsqu’il revenait sur sa carrière au Racing : “L'arrêt Bosman a permis à des joueurs moyens comme moi de trouver des clubs à l'étranger, mais c'était aussi une petite compensation liée au fait qu'il n'y avait plus cette possibilité d'être un joueur emblématique de club. La nouvelle réglementation est arrivée alors que j'étais en équipe première depuis deux ans, ça a fait venir des joueurs, comme certains Scandinaves à l'époque, qui ne seraient jamais venus auparavant. Ce dont ils ont bénéficié pour venir chez nous, j'en ai bénéficié pour aller en Angleterre. Mais à la base j'avais plus le profil pour faire une carrière de joueur de club. Ce que l'arrêt Bosman a rendu impossible, car il y a toujours des joueurs étrangers moins chers, et ainsi de suite.”

[8] Voir par exemple cette photo de Blanc sous le maillot barcelonais

strohteam

Commentaires (3)

Commentaire

Ne sera pas affiché, mais uniquement utilisé pour afficher votre éventuel gravatar.

Enregistre dans un cookie vos informations pour ne plus avoir à les resaisir la prochaine fois.

Annuler

Connectés

Voir toute la liste


Stammtisch

Mode fenêtre Archives