Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Disparition d'Ivica Osim

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Souvenir/anecdote
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Par kitl
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Ivica Osim.png
Ivica Osim à son retour à Strasbourg en 1976

Avec ce numéro dix d'exception disparaît certainement l'un des plus beaux joueurs ayant porté les couleurs du RC Strasbourg. En deux passages dans les années 1970, le grand Ivica Osim marqua durablement le public alsacien par sa technique soyeuse et son professionnalisme.

Quand la presse alsacienne sollicita les supporters du Racing pour élire l'équipe strasbourgeoise du 20ème siècle, un nom s'est largement imposé devant tous les autres, celui d'Ivan « Ivica » Osim.
Meneur de jeu à la technique extraordinaire, Osim a laissé en Alsace un grand souvenir : unanimement apprécié des supporters alsaciens pour son professionnalisme et sa disponibilité, il était un équipier exemplaire sur les pelouses et un véritable artiste du football. Sa science du dribble, ses passes millimétrées, son tir puissant et sa couverture de balle parfaite étaient les qualités qui ont fait de lui l'un des meilleurs joueurs de l'histoire du Racing.

Né en 1941 en Bosnie, Ivica Osim débuta son parcours de footballeur au Zeljeznicar de Sarajevo à la fin des années 1950, en parallèle de ses études de philosophie. Cette science qui l'accompagnera d'ailleurs tout au long de sa vie (« Comme le pain quotidien, la philosophie est nécessaire à la vie ») et qui lui vaudra plus tard le surnom de "footballeur philosophe".

Sur les pelouses, après des brillantes saisons au Zeljeznicar , sa carrière devait être brutalement interrompue en 1965 par le scandale du « Planinic » : suspendu un an pour avoir volontairement perdu un match contre l'Hajduk Split, Osim a longtemps clamé une innocence que la fédération yougoslave finira par admettre vingt ans plus tard. Il faut dire qu'en 1965, le petit club du Zeljeznicar , multi-ethnique et sans appui haut placé, commençait à faire de l'ombre aux grands clubs soutenus par le pouvoir.

Surnommé "Strauss" à Sarajevo parce qu'il jouait au football comme d'autres composent de la musique, Osim gagna rapidement sa place de titulaire au milieu de terrain de l'équipe nationale yougoslave.
En France, il se fit connaître au cours du quart de finale de la Coupe d'Europe des Nations 1968, où il contribua à l'humiliation des Tricolores (victoire de la Yougoslavie 5-1 à Belgrade). Il disputa la demi-finale du tournoi continental face aux champions du monde anglais, mais ne participa à aucune des deux finales disputée au Stadio Olimpico de Rome. La Yougoslavie du futur Bastiais Dragan Dzajic finira par rendre les armes face au pays organisateur, l'Italie.
Alors au sommet de sa carrière, il participa cette même année à une rencontre de prestige opposant le Brésil à une sélection du reste du monde.

En 1970, à l'âge de 28 ans, Ivica Osim fut enfin autorisé par le régime de Tito à quitter le pays pour tenter sa chance dans un championnat d'Europe de l'Ouest : au terme de négociations serrées et face à une concurrence féroce d'autres clubs comme l'OM, les dirigeants du Racing obtenaient sa signature après un voyage éclair et mouvementé à Sarajevo.
Au moment où le club venait de fusionner avec les Pierrots Vauban et se cherchait une identité, Osim était attendu comme le Messie. Hélas, dans une bien faible équipe et suite à quelques problèmes d'acclimatation du Yougoslave, arrivé fin septembre, le club fut relégué en deuxième division en 1971.

La saison suivante, Osim s'imposa enfin comme le patron de l'équipe et contribua grandement à la promenade de santé d'un RPSM versé dans une poule de D2 au fort accent sudiste. Parfaitement intégré et heureux à Strasbourg, grand artisan de la remontée immédiate, le natif de Sarajevo a noué une relation d'attachement réciproque avec l'exigeant public alsacien.

Pourtant, dans la foulée de cette belle saison, le capitaine Osim fut mis à la porte par les dirigeants. Trop lent qu'ils disaient... Il est vrai que sa grande taille (1,90m) lui donnait une allure quelque peu lymphatique, largement compensée par une grande intelligence de jeu.
Stupéfait et en pleurs, Osim quitta Strasbourg pour rebondir du côté de Sedan.
Une énorme erreur du Racing doublée quelques jours plus tard avec l'engagement à prix d'or des anciens de Bundesliga Libuda et Van Haaren, deux joueurs qui n'arriveront jamais à le faire oublier.

Dans les Ardennes se produisit le même phénomène qu'à la Meinau : Ivica Osim fut tout de suite adopté par ses partenaires : « Le football est un jeu d'équipe et je ne serais toujours qu'un équipier ! » répétait-il à l'envi. Contribuant à l'éclosion de nombreux jeunes joueurs, comme Mustapha Dahleb, Osim fut l'idole des supporters sedanais pendant trois ans avant de passer une saison du côté de Valenciennes.

En 1976, pas rancunier, Osim accepta de revenir au Racing alors que le club se retrouvait une nouvelle fois en deuxième division. Le sérieux avec lequel il mena sa carrière lui permit d'être encore à 35 ans un joueur décisif dans la lutte pour la remontée : avec le talent intact et la classe de son leader, le Racing devint champion de France de D2 en 1977. Terminant la saison blessé, il poursuit l'aventure une année supplémentaire sous les ordres d'un nouvel entraîneur : Gilbert Gress. Malgré le poids des ans, il endura avec courage les séances physiques imposées par Gress, avant de tirer définitivement sa révérence à plus de 37 ans.

Osim se lança alors immédiatement dans une carrière d'entraîneur dans le club de son enfance, le Zeljeznicar de Sarajevo. Adepte d'un football offensif, il collectionna les belles saisons avec ce club jusqu'en 1986 (deux fois vice-champion de Yougoslavie, vainqueur de la Coupe nationale, demi-finaliste de la Coupe UEFA en 1985) ainsi qu'en tant que sélectionneur de l'équipe olympique yougoslave (médaille de bronze à Los Angeles en 1984).

En 1986, il prit la tête de l'équipe nationale et arriva jusqu'en quart de finale de la Coupe du Monde 1990, éliminé au tirs aux buts par le onze de Diego Maradona.
Avec une équipe composée notamment des Savicevic, Prosinecki, Stojkovic ou Mihajlovic, Osim devait se présenter à l'Euro 92 avec un statut d'outsider de la compétition. Malheureusement, la situation politique du pays poussa la FIFA à exclure la Yougoslavie quelques jours avant le début de l'épreuve, laissant la place au Danemark, futur vainqueur.

Et pendant que les Danois fêtaient un succès inattendu, la Yougoslavie s'enfonçait dans une longue guerre civile. Osim quitta le pays pour trouver refuge en Grèce où il entraîna le Panathinaikos (vice-champion de Grèce et double vainqueur de la coupe nationale), laissant derrière lui toute sa famille : il ne reverra plus sa femme pendant 3 ans et sa fille pendant 4 ans. Et chaque nuit de tenter un contact téléphonique avec ses proches restés dans l'enfer de Sarajevo, généralement sans réussite.

Lui qui reconnaît être d'un naturel pessimiste (« La vie est trop longue pour qu'on puisse être optimiste ») reste profondément meurtri par cette guerre qui déchira son pays.
Nostalgique du Sarajevo de son enfance, où les différentes ethnies et religions cohabitaient dans l'harmonie ; triste en repensant à sa Yougoslavie natale et à son football : « Parfois j'ai envie de prendre ma voiture et de rouler de Ljubljana à Zagreb, en passant par Sarajevo, Novi Sad, Belgrade, Podgorica et Skopje. Vous savez, simplement regarder les matchs qui n'ont peut-être plus la même qualité qu'auparavant, mais où les joueurs n'ont certainement pas oublié comment on jouait au football ».

Malgré la guerre, Ivica Osim poursuit son parcours d'entraîneur et rejoint le Sturm Graz en 1994, un club qu'il emmena jusqu'au second tour de la Ligue des Champions en 2000 et où il retrouva Heinz Schilcher, croisé lors de son second passage au Racing.
Reconnu unanimement en Autriche pour ses qualités, Osim étonna également par un discours original. « Comment voulez vous que je me réjouisse ? Pensez un peu aux autres, notre adversaire voulait aussi gagner ».

Et bien qu'adulé par les supporters autrichiens, il quitta le Sturm Graz en septembre 2002 pour poser ses valises au Japon. Dans le modeste club du JEF United d'Ichihara, et malgré l'un des plus faibles budgets de la League, Osim parvient à mener l'équipe par deux fois à la seconde place du championnat et à remporter la coupe Nabisco en 2005.
La réussite du jeu offensif prôné par Ivica Osim a fait de lui l'un des techniciens les plus populaires et respectés du Japon, comme il le fut partout ailleurs.

Il devint logiquement sélectionneur nippon en 2006, avant d'incorporer notamment Eiji Kawashima pour la Coupe d'Asie des nations 2007. Cette même année, à l'âge de 65 ans, il est victime d'un grave accident cardiaque. Plongé dans le coma plusieurs semaines, alité de longs mois durant, il doit se résoudre à stopper une carrière longue d'un demi-siècle.

De retour en Bosnie, il fut pressenti pour prendre la tête d'une Fédération paralysée par sa gouvernance tripartite et suspendue quelques semaines en 2011 par l'UEFA.
Longtemps garant en tant que sélectionneur de l'un des ultimes symboles d'unité alors que les nationalismes minaient l'unité du pays, Ivica Osim s'est éteint ce 1er mai 2022 à Graz, à un jet de pierre des sept états issus de l'ex-Yougoslavie.

Il restera pour la génération de supporters ayant connu le RPSM comme un trait d'union entre les saisons d'errance et l'apothéose de 1979. Le 1er juin, à Gerland, les onze titulaires avaient chacun côtoyé la grande silhouette d’Ivica Osim.

Article reprenant en large partie les éléments de celui de @filipe, rédigé en 2006.

kitl

Commentaires (5)

Flux RSS 5 messages · Premier message par kaniber68 · Dernier message par maxx

  • Excellent article !
    Un hommage à la taille de cet incomparable joueur.
    Bravo !
  • Ce grand bonhomme avait le dribble court et son pied comme Mostovoi aimantait la balle.
    J’ai eu cette chance de voir ces deux joueurs qui pour moi ont été les meilleurs techniciens du Racing
  • Texte magnifique qui m'a fait hérisser le poil !

    Merci Kitl !
  • Merci à @filipe (un autre grand du Racing), qui est l’auteur de la plupart des articles sur les Légendes du club, je n’ai fait que rafraîchir son texte ;)
  • Le match aller de coupe de France contre Nantes , futur champion de France cette année la , nous l'avions perdu 2-0 . Le match retour a la Meinau fut tout simplement extraordinaire > Le Racing était alors premier en 2eme division , et ce soir la OSIM fut un géant de classe mondiale !!! Nous avons mené 3-0 et j'ai également en memoire ces 3 internationaux nantais qui se sont regarde médusés quand Ivica s'est joue d'eux avec sa technique incroyable . Chapeau l'artiste
    Finalement nous avions gagne 3-1 mais avions été éliminé ....

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