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Produire une analyse tactique d’un match amical n’est sans doute pas chose courante sur le stub. Néanmoins, cette double confrontation contre le SC Fribourg au Stadium de Colmar mérite notre attention. Pourquoi ? Parce que deux semaines après la prise en main de l’effectif strasbourgeois par Liam Rosenior, les premiers contours de notre nouvelle philosophie de jeu se dessinent, et cela sous des traits radicalement différents de ceux affichés l’année passée avec Patrick Viera. Tentative descriptive.
L’ombre de Chelsea et d’Enzo Maresca
À peine arrivé, Liam Rosenior avait déjà dirigé un match amical du Racing, avec une lourde défaire à la clé face à Karlsruhe (1-4). La plupart des observateurs de ce match avaient retenu de cette rencontre le positionnement hybride de Frédéric Guilbert (qui ça ?), milieu axial en phase de possession et défenseur latéral droit en phase défensive. Ce système changeant semblait avoir débouché sur une possession de balle chaotique et stérile d’un côté du terrain et à une désorganisation criante de l’autre.Une invention tactique de l’ancien coach d’Hull City ? Pas vraiment. Plutôt l’application des préceptes tactiques d’Enzo Maresca, nouveau coach de Chelsea, dont vous pouvez découvrir les préceptes ici.
N’oublions pas que, si BlueCo a choisi Liam Rosenior pour coacher le deuxième club du groupe, c’est bien pour sa philosophie de jeu, extrêmement proche de celle de l’ancien adjoint de Pep Guardiola.
La simplification d’un système hybride trop complexe
Pour ces deux matchs à Colmar, ces principes de jeu ont été reconduits. Toutefois, le technicien anglais, sans doute bien conscient de l’extrême difficulté de la mise en place initiale, surtout pour un effectif peu expérimenté et sans référence tactique pour ce type de système complexe, décide de conserver l’idée du positionnement hybride, mais sans changement de couloir de jeu. Cela sans doute afin de permettre une meilleure organisation à la perte du ballon.Ainsi, en attaque, face à Fribourg (match 1), Thomas Delaine s’intègre bien au milieu, mais dans une position d’ailier, restant dans son couloir, alors que le latéral opposé (Guéla Doué) devient stoppeur droit.
Pour le match 2, Marvin Senaya prend le rôle de Thomas Delaine, mais côté droit, pendant qu'Eduard Sobol, latéral gauche, devient le troisième central aux côtés de Steven Baseya et Karol Fila.
Dans les deux cas, le Racing attaque dans un système en 3-2-4-1 sur attaques placées, où le positionnement des milieux offensifs axiaux et des ailiers peut s’inverser, tant en termes de hauteur que de largeur.
Contre le KSC (compo de départ), en attaque, en gras les deux latéraux en phases défensives :
Contre le SC Freiburg (compo de départ match 1) :
Contre le SC Freiburg (compo de départ match 2) :
En défense, la Racing défend dans un système en 4-4-2 sur les trois rencontres.
Néanmoins, la principale différence entre le match face au KSC et ceux face au SC Fribourg, est l’instauration d’un marquage individuel « tout-terrain » lors des phases de pressing haut et médian et sur les « 6 mètres » adverses.
Ainsi, il n’est pas rare de voir un de nos défenseurs centraux à 55/60 mètres de son but et des inversions continues de position entre nos défenseurs centraux et latéraux ou entre nos différents milieux et ailiers.
Si on devait faire une comparaison d’illustration avec des équipes françaises récentes, on pourra penser notamment aux OM de Bielsa, Sampaoli ou Tudor, tous adeptes de ce type d’organisation.
Une animation offensive basée sur le surnombre. Principes et objectifs
Ce type de système, d’obédience Guardiolesque, n’est pas une invention complète du technicien catalan. Ce positionnement en « MW », était déjà utilisé dans les années 1930 par Herbert Chapman, alors entraîneur d’Arsenal (évidement, sans les notions de modularité des positionnements et du dépassement de fonction entre les lignes).Aujourd’hui, quels en sont les grandes lignes, sous Maresca et Rosenior ?
Quels sont les objectifs de cette animation de jeu ?
Pour résumé les grandes lignes de cette animation offensive, on pourrait énumérer les éléments suivants, en précisant pour chacun, son/ses objectif(s) :
La participation du gardien au jeu
L’objectif est de jouer à 11 joueurs de champ contre 10.
Le fait d’intégrer le gardien de but au système de relance comme un second défenseur central, jouant décroché, permet de recréer une ligne de 4 défenseurs et de conserver un surnombre, en remplaçant numériquement le latéral qui joue plus haut (Delaine pour le match 1 face à Fribourg). Ainsi, si un joueur vient presser le gardien, nécessairement un autre joueur est libre plus haut sur le terrain.
Tout l’enjeu devient alors pour le gardien d’avoir une lecture du jeu pertinente. Soit il participe à la multiplication des passes courtes pour provoquer le pressing adverse, soit il allonge vers une zone libre et plus haute, si le pressing adverse est intense, pour l’éliminer et le prendre à revers. Néanmoins, il faut garder en tête que c’est l’utilisation, jusqu’à la limite, de la première option (la passes courte) qui permet la réussite de la seconde (la recherche de la zone libre).
En cas de mauvaise lecture, une relance courte face à un pressing intense et en nombre de l’adversaire peut conduire à une perte de balle très dangereuse (cf exemples multiples dans cette double rencontre et le 1er but du SCF dans le match 1). A contrario, une allonge trop rapide, face à un pressing faible ou en nombre restreint, et le ballon est rendu à un adversaire en surnombre au milieu.
La défense à trois, très écartée
L’objectif principal est de réduire le nombre de joueurs strasbourgeois derrière le ballon en phase de relance initiale. Un intégrant l’un des latéraux à la ligne offensive en phase de possession, y compris « basse », Liam Rosenior essaie de réduire le nombre de joueurs alsaciens éliminés lors des phases de remontée de balle.
Ce point est intéressant, car il contraste énormément avec la saison passée, où l’un des principaux problèmes du système en 4-2-3-1 de Patrick Viera était la consommation excessive de joueurs pour éliminer la première ligne défensive adverse. En effet, en « consommant » 6 joueurs (quatre défenseurs et deux milieux défensifs) pour éliminer la première ligne adverse (1 ou 2 joueurs en général), l’adversaire était mécaniquement en large surnombre sur le reste du terrain (quasiment le double). Il était donc très difficile de ne pas être sous pression et de tenir la possession dans ces zones, ou d’obtenir des « un-contre-un » dans les 30 mètres adverses.
A contrario, dans le système appliqué face au SC Fribourg, l’objectif est d’inciter l’adversaire à venir presser haut et en nombre en multipliant les phases de possession en zone basse, cela pour éliminer un nombre d’adversaires au plus proche de 1 pour 1 « défenseur » consommé. Si 5 défenseurs alsaciens éliminent 4 ou 5 adversaires en cassant le pressing, le Racing attaque alors quasiment en un-pour-un sur 40 ou 50 mètres.
Par quelle méthode? Principalement en élargissant la basse du « M » qui compose le socle de première relance en phase de possession.
Un des deux centraux reste plein axe (Sow pour le match 1 et Baseya pour le match 2) et a un rôle de « quaterback » : il oriente le jeu, soit latéralement, soit en passes courtes sur les décrochages du double-pivot médian ou recherche directement la zone libre derrière le milieu adverse quand il le peut (pressing adverse trop haut ou mal coordonnée par exemple). Comme pour le gardien (qui finalement a le même rôle, mais décroché), il doit disposer d’une bonne vision de jeu et d’une qualité de passe supérieure pour pouvoir attirer l’adversaire et casser le pressing adverse au bon moment, sans mettre son équipe en danger.
L’autre central et le latéral qui resserre (Doué pour le match 1) doivent permettre d’offrir des options courtes latérales en se positionnant dans les demi-couloirs pour créer des « triangles » de passes avec les milieux relayeurs et le défenseur axial. Si les deux joueurs n’écartent pas assez, les triangles de passes sont trop réduits, et le pressing adverse est facilité. On notera également que ces deux joueurs ont une liberté supplémentaire par rapport au « quaterback », c’est la capacité à casser la ligne par le dribble, la densité étant moindre que dans l’axe et la perte de balle moins létale que face au but. On notera que Sylla s’est particulièrement distingué dans ce domaine, créant à de nombreuses reprises un décalage exploité ensuite par notre ligne offensive.
Un double-pivot de fixation, moteur du système
Évidement, toutes les équipes ne nous presseront pas en nombre ou très haut. Certaines, décideront même de patienter en bloc bas pour éviter de nous offrir des espaces. Quel plan B ?
C’est là où le rôle des deux membres du double-pivot est capital. Outre son rôle de naviguer derrière la première ligne de défense pour fixer le pressing adverse dans l’axe, qui n’est pas sans risque en cas d’erreur (coucou Habib), il doit aussi avoir suffisamment de qualités techniques et d’intelligence de déplacement pour pouvoir créer le décalage au milieu de terrain, en trouvant des zones libres interlignes et en assurant la transition défense/attaque par la passe.
Si le travail a été bien fait lors de la première phase, il doit pouvoir exploiter des surnombres au milieu. L’objectif sera généralement de fixer le jeu dans un demi-couloir avant de changer le jeu vers le couloir opposé (en 2 passes maximum) pour chercher les 1 contre 1. Là encore, comme pour la première phase, ce travail de bascule après fixation doit être réalisé dans le bon timing : trop tôt ou trop vite, l’équipe adverse est encore en place sur la largeur, trop tard ou trop lentement, le bloc adverse a le temps de coulisser. Dans les deux cas, soit le ballon est perdu, soit on doit reprendre le travail à zéro.
Ce double pivot est donc primordial dans l’équilibre de ce système offensif. En phases « basses », c’est sa fixation du pressing adverse dans l’axe du terrain qui permet d’ouvrir des lignes de passes vers la zone offensive ou dans les demi-couloirs. En phases « hautes », c’est lui le socle de stabilité du système offensif, chargé de gérer les changements de rythme et d’orientation du jeu.
Une ligne de joueurs offensifs, modulable et flexible. Le principe du 3+1.
En phase d’attaques placées, le Racing se positionne en 3-2-4-1. Comme on l’a vu, le travail de lancement des offensives, par des changements de rythme et d’orientation est assuré par les deux milieux relayeurs.
L’avant-centre, quand à lui, a un rôle plutôt classique de fixation de la défense centrale adverse, de courses dans la profondeur pour agrandir les intervalles interlignes ou dans les demi-espaces et, naturellement, de présence devant le but pour la finition. Par contre, il est très peu (jamais?) recherché dans le jeu aérien (y compris sur des centres) et n’est impliqué dans la construction du jeu que dans de rares cas d’appui-remises.
Pour résumé, dans ce système, l’avant-centre doit principalement apporter de la présence devant le but et déformer (et faire reculer) les lignes arrières avec ses courses pour créer des espaces.
Au final, la capacité de l’équipe de Rosenior a créé du danger, du fait de son organisation et de ses principes de jeu, viendra principalement de la ligne de quatre joueurs positionnés derrière l’attaquant.
Cette ligne offensive est composée d’un ailier dans le couloir où le latéral est troisième central, d’un attaquant de soutien (qui fait le 2ème attaquant du 4-4-2 en phase défensive) dans un demi-couloir, d’un ailier intérieur (qui se positionne à gauche en phase défensive) dans l’autre demi-couloir, et d’un ailier dans le couloir où s’est décalé l’un des centraux (qui, en fait, est latéral en phase défensive).
Pour le match 1 de samedi, dans l’ordre et au coup d’envoi: Bakwa (ailier), Sahi (attaquant de soutien), Diallo (ailier intérieur) et Delaine (latéral/ailier)
Pour le match 2, dans l’ordre et au coup d’envoi : Senaya (latéral/ailier), Jean (ailier intérieur), Perea (attaquant de soutien), Sebas (ailier)
Dans l’animation du technicien anglais, c’est dans cette zone du terrain (entre les 40 mètres adverses et la surface de réparation) que doivent être valorisées la faible consommation de joueurs à la relance et la prise de risque des lignes arrières.
Si la préparation est bien réalisée en zone basse, le Racing doit être en surnombre dans cette partie du terrain. Généralement, pour l’exploiter, le principe sera de fixer le jeu et la défense dans une moitié de terrain, pendant que l’ailier à l’opposé reste le long de la ligne jusqu’à ce que le bloc équipe adverse coulisse côté ballon.
C’est à ce moment-là que l’équipe doit arriver à orienter le jeu (en 2 passes maximum) vers l’ailier libre :
le un-contre-un est créé.
3 joueurs pour fixer la défense + 1 joueur de percussion à l’opposé pour créer le danger.
Évidement, si l’équipe adverse décide de ne pas augmenter sa densité de joueurs « côté ballon », charge au milieux offensifs axiaux et à l’ailier « côté fermé » de combiner pour exploiter le surnombre. Samedi, lors du deuxième match, Perea et Sebas ont été assez productifs dans ce sens. Dans ces situations (comme pour la fixation), les positions et les hauteurs de placement peuvent (doivent ?) s’intervertir pour créer du mouvement et de la profondeur.
Un système de jeu trop risqué ?
Le système de jeu du nouvel entraîneur est, selon mon avis personnel, assez enthousiasmant.Identité forte et assumée, ambition assez inédite en France pour un club de notre standing, volonté d’être pro-actifs avec et sans le ballon et une responsabilisation des joueurs, offensivement et défensivement (avec le marquage individuel tout-terrain), sans doute formatrice pour des jeunes joueurs.
Une vision tout à fait différente, voir inverse, de celle de l’ancien coach.
Toutefois, il ne faut pas se voiler la face. De nombreux facteurs pourraient conduire à un échec sportif.
D’abord, il faudra du temps pour que le plan de jeu soit maîtrisé par cette équipe, annonçant sans doute un début de saison compliqué. Et dans un effectif dépourvu d’expérience et possiblement de caractère, qui seront les moteurs qui permettront de ne pas sombrer dans une dynamique négative. D’autant plus que le coach, jeune et étranger, pourrait parfois manquer de leviers pour éviter ce type de situations.
Ensuite, il s’agit d’une tactique exigeante d’un point de vue technique et tactique. Disposons-nous vraiment des joueurs capables d’élever leur niveau pour de dérouler ce type d’animations, dans un contexte comme la Ligue 1, où le niveau d’opposition nous mettra nécessairement en difficulté par moment.
L’encadrement sportif estime que oui, mais seuls le temps et les résultats valideront cette théorie.
Néanmoins, un espoir réside dans le fait que ce type de jeu, porté vers l’avant, permettra peut-être à certains joueurs d’exprimer pleinement leurs potentiels. C’est toujours plus facile de progresser ballon au pied qu’en courant continuellement après le balle.
Enfin, au-delà du niveau, disposons-nous réellement de joueurs avec des profils adaptés à ce système de jeu ?
À titre personnel, je trouve l’effectif cohérent avec les exigences poste par poste du système. Toutefois, je me pose des questions pour certains joueurs, notamment Senaya, Diong ou Risser.
Ce dernier a été en difficultés samedi, pas tant pas la qualité de son jeu au pied mais plutôt dans la lecture du jeu, ce qui est fondamental dans ce style de projet. Il semble avoir des qualités de prise de balle, sur sa ligne et dans le commandement de sa défense, mais je ne suis pas sûr qu’il soit adapté. Sauf progression express, il faudra sans doute un autre genre de gardien pour que ça puisse marcher.
Doukouré, le facteur X ?
Alors oui, le divorce semble consommé entre le jeune défenseur central et le Racing, mais au fond de moi, je garde un espoir. Parce qu’après avoir été bringuebalé un peu partout sur le terrain, ce nouveau système de jeu pourrait lui offrir une vitrine pour démontrer son talent.Il a tous les atouts nécessaires pour jouer au poste clé de central axial (qualité de passes courtes et longues, vision du jeu, capacité à conserver le ballon sous pression). A mon sens, il bonifierai l’ensemble de l’équipe.
Soit dit en passant, Guilbert ferait à mon sens une bien meilleure doublure de Doué que Senaya. On a bien compris qu’il n’était plus dans le projet BlueCo mais je ne suis pas sûr que l’équipe y gagne sportivement.
Et maintenant ?
Outre le poste de gardien, évoqué plus avant, et le poste de latéral/ailier gauche qui devrait être pourvu avec l’arrivée de Caleb Wiley, il me semble que certains postes manquent actuellement de qualité et/ou de profondeur.D’abord, le poste d’attaquant de soutien, occupé samedi successivement par Sahi et Perea. Il manque clairement un titulaire à ce poste. Sahi ayant plutôt le profil d’une doublure et Perea d’un ailier intérieur.
Ensuite, à mon sens, il manque une doublure à Andrey Santos, dans le rôle du métronome. Diarra, Mwanga et Nzingoula ayant plus des profils de joueurs d’impact. Diarra, on l’a vu samedi, ne me semble pas assez technique pour prendre ce rôle.
En tout cas, hâte de voir la progression de l’équipe, en croisant les doigts pour que tout ça ne soit, également, que des promesses.