Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Un entraîneur dans le siècle

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Joueur emblématique du Racing, René Hauss a aussi connu le succès en tant qu'éducateur et dirigeant. Retour sur sa carrière de technicien.

Lorsque l'on évoque la mémoire de René Hauss, c'est spontanément son passé sur le pré qui vient à l'esprit, au moins des supporters strasbourgeois. Auteur d'une carrière marquée par la longévité et la fidélité, double vainqueur de la coupe de France à quinze ans d'intervalle – un exploit unique – le Lingolsheimois est un monument de l'histoire du Racing, que l'on voit apparaître sur deux décennies de photographies d'équipes alors que tout le reste change, des ballons aux équipements en passant, bien sûr, par les coéquipiers et la pigmentation des clichés. Un joueur unanimement reconnu comme un exemple d'esprit sportif, de sérieux et de dévouement.

Cette immense carrière suffirait à elle seule à lui garantir une place de choix au sein du panthéon des légendes du football national. Mais ce serait mésestimer la vingtaine d'années suivante, passée de l'autre côté de la barrière, en tant qu'éducateur et dirigeant. René Hauss entraîneur nous est moins bien connu, car son oeuvre a été accomplie pour l'essentiel hors d'Alsace et souvent dans l'ombre - ce qui convenait bien à un homme aussi discret qu'efficace. Mais les exploits ne furent pas moins consistants, ce dont témoigne un palmarès plutôt bien fourni. Le technicien Hauss a également traversé une période de métamorphose du football professionnel, débutant sa trajectoire avec des cadets à Strasbourg dans un environnement encore très rustique et la terminant avec l'aventure du Matra Racing, qui préfigurait le règne de l'argent et des médias dans le sport de haut niveau.

Strasbourg


René Hauss débute sa carrière en tant qu'entraîneur de jeunes au Racing, alors qu'il est encore joueur. C'est à l'époque une pratique très courante : les joueurs ayant ou approchant la trentaine se voient confier une catégorie d'âge, à charge pour eux de faire passer aux gamins quelques rudiments de football. Alexandre Vanags avait par exemple participé à la création des Cigogneaux en 1953 alors qu'il évoluait encore de temps à autre avec l'équipe première, et des joueurs comme Raymond Kaelbel ou Edmond Haan ont aussi tâté de la chose à l'époque. Nous ne sommes pas encore à l'époque des centre de formation et les choses sont donc bien moins poussées qu'aujourd'hui. Le recrutement est presque exclusivement local, puisqu'il n'est pas question de loger les apprentis, et les jeunes pousses continuent à suivre une scolarité normale, voire à déjà exercer un métier pour certains. Il n'existe pas non plus de compétitions ou de sélections nationales, à part chez les juniors. Le travail consiste donc pour l'essentiel à encadrer quelques adolescents en semaine en les faisant jouer au ballon – puisqu'il n'est pas non plus question de travail physique à cet âge, du moins pas de façon systématique. René Hauss se souvenait d'ailleurs souvent de l'année où il eût à encadrer une équipe cadets où l'on retrouvait quelques très beaux manieurs de ballons : Gérard Hausser, Gilbert Gress et même le futur arbitre international Robert Wurtz. Ce faisant, il transmettait un savoir qu'il avait lui-même en partie acquis auprès d'un pro étant enfant : Frantz Chloupek, qui dispensait avant-guerre quelques leçons aux gamins de Lingolsheim.

En 1963, René Hauss est désigné entraîneur de l'équipe réserve du club, qui évolue dans le Groupe Est du Championnat de France amateurs. A 35 ans, on imagine alors qu'il se dirige vers une tranquille fin de carrière en pointillés, ce qui permet de lui confier cette importante responsabilité. Mais Hauss joue en fait l'intégralité de la saison, en patron de la très solide défense de Robert Jonquet. On est donc guère surpris d'apprendre dans le livre d'or du club qu'il n'a « jamais pu assister aux matches de ses poulains »(1), lesquels finissent la saison relégués en Division d'honneur. Drôle de sacerdoce que d'entraîner la semaine des joueurs que l'on ne voit pas évoluer le week-end à l'occasion de la sanction du match ! L'arrivée de Paul Frantz à la tête de l'équipe au terme de cette saison 1963/1964 met fin au bail de Hauss avec la réserve, puisque l'arrière droit connaît une seconde jeunesse au sein d'une des plus grandes équipes que le Racing ait connu. Plus vieux footballeur professionnel en activité en France, il encadre sur le terrain quelques uns des jeunes talents qui étaient ses élèves quatre ou cinq ans plus tôt. Il ne néglige pour autant pas sa carrière d'entraîneur et termine même major du stage des entraîneurs pour l'obtention troisième degré, suivant en cela les traces de Frantz qui avait été le premier amateur à décrocher cette distinction.

Avec l'obtention de ce diplôme et le départ de Paul Frantz, René Hauss est dès 1966 un entraîneur du Racing en puissance. Il choisit pourtant de continuer à jouer, fonction qu'il refuse de cumuler avec la responsabilité de l'équipe. Il s'en était expliqué sur ce site en 2006 : « Pour moi, on est soit joueur, soit entraîneur mais pas les deux. Le club a donc préféré pendant cinq ans me garder comme joueur parce que je pouvais encore rendre des services sur le terrain. »(2) C'est ainsi que les dirigeants firent appel dans un premier temps à Walter Presch pour assurer la succession de Paul Frantz et disputer la Coupe des coupes. Un entraîneur désigné en tant qu'intérimaire de luxe puisqu'il était prévu dès cette époque que René Hauss devait reprendre l'équipe pour la saison 1967-1968. La passation de pouvoir est finalement plus précoce que prévu puisque deux défaites, à Bastia en coupe et à Sochaux en championnat, sonnent le glas de l'ère Presch dès le mois de mars. Le Racing est alors en milieu de tableau et éliminé dans toutes les coupes, un ton en deça des années passées.

Il faut dire que le club traverse d'importantes difficultés financières, en dépit de ses exploits des saisons passées. Le RCS doit régulièrement venir gratter à la porte de la mairie pour obtenir la subvention municipale devenue indispensable pour boucler un budget par ailleurs équilibré au forceps grâce aux ventes de joueurs. Gilbert Gress et Denis Devaux, deux piliers de l'équipe, ont été transférés dès 1966 et, en 1967, c'est au tour de l'ailier international Gérard Hausser, du milieu Robert Szczepaniak et du génial avant-centre José Farias de quitter le club. De l'équipe qui a enchaîné les exploits en coupe d'Europe, en championnat et en coupe de France il ne reste déjà plus que le gardien Johnny Schuth et Roland Merschel, sans oublier un Raymond Kaelbel tout de même vieillissant. On voit là que le sacrifice des talents maison sur l'autel des considérations pécuniaires ne date pas d'hier au Racing.

René Hauss ne fera pas de miracles avec cette équipe amoindrie. Tactiquement, il se place dans la lignée de Paul Frantz, en assouplissant toutefois le « béton » en vigueur. Frantz jouait systématiquement avec un libéro et quatre défenseurs au marquage, Hauss continue à jouer la couverture mais de plus en plus souvent avec quatre arrières. Son mandat dure une douzaine de mois à cheval sur deux saisons, il est marqué par une certaine monotonie. 1967/1968 est la première saison sans coupe d'Europe depuis trois ans et les affluences s'en ressentent. Et comme les finances du clubs dépendent encore en bonne partie des recettes au guichet, difficile d'imaginer pouvoir recruter le joueur qui inverserait la tendance et ferait revenir les gens au stade. Le cercle est vicieux et il mène le Racing vers la queue du classement. L'équipe évolue en effet quasiment toute la saison aux alentours de la quinzième place et se trouve menacée, pour la première fois depuis des années, de relégation en deuxième division. René Hauss finit par faire les frais de ces résultats décevant, de la défiance d'une partie de son effectif et surtout de la mauvais humeur du président Joseph Heintz, apprenant ses contacts avec le Standard de Liège. Il est débarqué fin février au profit de Paul Frantz. Le Racing est alors quinzième du championnat et finira par se sauver en barrages au coeur de l'été.

Liège


Fin 1967, le secrétaire général du Standard de Liège, Roger Petit, se met en quête d'un nouvel entraîneur pour la saison suivante. Le technicien en place, l'ancien sélectionneur yougoslave Michel Pavic, a fait du bon travail, constitué une ossature solide et remporté deux coupes mais, en championnat, il est abonné aux places d'honneur, une bonne longueur derrière les rivaux bruxellois d'Anderlecht, qui enchaînent cinq titres entre 1964 et 1968. Les Mauves pratiquent à l'époque un jeu novateur et chatoyant inspiré du modèle brésilien, en grande partie grâce à l'entraîneur français Pierre Sinibaldi, qui a initié cette révolution tactique. C'est pour briser cette hégémonie que Petit choisit Hauss, sur les conseils de Pierrot Reners, lequel avait rencontré le joueur du Racing en vacances à Dax. Les dirigeants liégeois s'étaient en outre minutieusement renseignés sur la réputation de Hauss à Strasbourg, par le truchement notamment de certaines relations au sein du corps parlementaire européen. Les échos favorables et une rencontre concluante lui assurèrent le poste dès l'hiver 1968.

Le limogeage express du Racing permit aussi à René Hauss de faire le tour du propriétaire plusieurs mois avant son entrée en fonction. Le premier dossier sur la pile est alors le remplacement de la star du Standard, Roger Claessen, joueur aussi fantasque que talentueux et buteur attitré des Rouches. Claessen est une véritable idole du côté de Sclessin mais les dirigeants commencent à avoir marre de le ramasser dans les bars tous les jours au petit matin, et son hygiène de vie cadre de toute façon peu avec les préceptes rigoureux du nouvel entraîneur. Il est expédié de l'autre côté de la frontière à Aix-la-Chapelle, où plusieurs milliers de supporters liégeois continueront à le suivre lors de chaque match à domicile. Pour le remplacer, le Standard recrute le meneur de jeu d'Anvers Wilfrid Van Moer et mise également sur un jeune attaquant allemand, Erwin Kostedde. Van Moer s'adapte immédiatement et devient le patron de l'équipe, décrochant en fin de saison le « Soulier d'Or » récompensant le meilleur joueur belge. « Je n'ai jamais entraîné de meilleur joueur que lui » dira Hauss à son sujet (3).

Pour Kostedde, les débuts sont plus difficiles. Un doucereux vague à l'âme pèse sur ses performances. Fruit des amours illégitimes d'une mère Allemande et d'un père GI Afro-américain, il vit mal les multiples vexations et le racisme ordinaire dont il est victime dans cette société encore étriquée de la fin des années 1960, au point de tâter sérieusement de la bouteille. Hauss lui fait promettre d'arrêter de boire, en échange de quoi il intervient auprès de la mère de sa compagne pour que celle-ci accepte leur union. Libéré, Kostedde trouve sa place dans l'équipe et enchaîne les buts. Meilleur buteur du championnat en 1971, il sera, en 1974, le premier Noir à jouer en équipe d'Allemagne, en partie grâce au déclic provoqué en 1968. « Je m'étais mêlé de la vie privée d'un joueur. Mais il le fallait. C'était très dur, je le reconnais, mais ce fut peut-être une des plus belles victoires de ma carrière » témoignera Hauss des années plus tard (4).

La tactique constitue un autre chantier pour l'entraîneur du Standard. Les contre-performances à répétition face à Anderlecht sont en grande partie dues au piège du hors-jeu, que les Mauves pratiquent à merveille. Pour contourner le problème Hauss, demande à ses attaquants de jouer davantage en remise et de partir de plus loin, en faisant un appel de balle en profondeur – technique longuement travaillée à Strasbourg avec Paul Frantz, l'un de ses théoriciens majeurs. Il encourage également l'initiative des lignes arrières, toujours dans l'idée de partir de loin pour ne pas être pris dans les filets de la défense en ligne d'Anderlecht. Leçon retenue puisqu'au match aller c'est un défenseur, Léon Jeck, qui marque le but de la victoire. Au match retour, le Standard l'emporte 2-0 au Parc Astrid et met fin au complexe entretenu vis à vis de l'équipe de la banlieue bruxelloise.

La préparation physique est la dernière innovation majeure introduite par Hauss en Belgique. Ici aussi, l'héritage de Paul Frantz et l'influence du football allemand sont marqués. Etirements et musculations étaient encore peu pratiqués à l'époque, et en tous cas pas de façon systématique. Hauss va imposer un véritable entraînement athlétique visant à dominer physiquement l'équipe adverse, à la manière de ce qu'avait fait le Racing quelques années plus tôt en France. Il cherche notamment à améliorer la résistance de ses joueurs, pour les habituer à enchaîner les efforts, tout en imposant une rigueur nouvelle dans l'alimentation et la vie de tous les jours, grâce à son autorité naturelle.

Le succès est immédiat. Avec le Standard, René Hauss est champion dès sa première année. La saison suivante il enchaîne en coupe d'Europe par l'élimination du Real Madrid (1-0 à Liège ; 3-2 à Bernabeu) avant de tomber en quart de finale face à la mythique équipe de Leeds de Don Revie. Deux autres titres de champion suivent en 1970 et 1971 ainsi que deux finales de coupe (1971, 1972) et un titre de vice-champion (1972). Un véritable âge d'or pour le Standard, dont les supporters ont élu René Hauss « entraîneur du siècle » devant quelques grands noms comme Ernst Happel ou Raymond Goethals. Son décès a logiquement suscité une grande émotion en Belgique, pays où son fils vit encore aujourd'hui – il est chirurgien à Liège.

Sochaux


En 1973, René Hauss revient en France pour prendre la direction sportive du FC Sochaux Montbéliard. Il prend ainsi un peu de latitude par rapport au terrain en inaugurant cette fonction largement renouvelée qui fait alors florès dans l'Hexagone. Le Racing vient d'ailleurs lui aussi de se doter quelques mois plus tôt de son propre directeur sportif, Robert Domergue. L'inspiration, comme souvent, vient de Grande-Bretagne. Marqués par les échecs à répétition de l'équipe nationale, les têtes pensantes du football français, Georges Boulogne notamment, envisagent de reproduire et perfectionner le système ayant cours de l'autre côté de la Manche, où les techniciens en chef sont en bonne partie déchargés des servitudes et vicissitudes de la gestion de l'équipe première pour se concentrer sur la politique sportive générale, et notamment la gestion de l'Academy. Autrefois simple intendant amélioré, le directeur sportif devient désormais un véritable président bis, au moins dans l'esprit - puisque dans les faits les résultats furent contrastés. A Sochaux, la formule fonctionnera bien mieux qu'ailleurs, grâce en grande partie à l'autorité et à la compétence de René Hauss qui occupera le poste pendant une douzaine d'année.

Le premier chantier est alors la création du centre de formation, fondé en 1974. Sochaux avait déjà une longue tradition en matière d'équipes de jeunes avec la création dès le début des années 1950 de la Phalange des Lionceaux, système qui s'appuyait sur le tentaculaire réseau commercial de la marque automobile pour repérer des jeunes talents dans tout le pays, lesquels étaient logés dans les structures d'accueil réservées aux cadres célibataires du groupe. Il s'agit désormais de passer à la vitesse supérieure en remplaçant l'ancien apprentissage mécanique dans l'usine voisine par une vraie formation professionnelle au métier de footballeur. Physique, tactique, technique, rien ne doit être laissé au hasard pour fournir la relève de la section pro, qui finance le centre. La pioche aux talents devient une véritable lutte et le Sochaux de René Hauss ne se gênera pas pour marcher sur les plates-bandes alsaciennes en venant recruter des joueurs comme Albert Rust ou Bernard Genghini, avec un succès certain. Si l'on met souvent en avant les exemples nantais et auxerrois, il ne faut en effet toutefois pas oublier que Sochaux a été chronologiquement le premier club français à miser autant sur la formation, et à en retirer les résultats.

Réputé proche de ses joueurs en Belgique, Hauss se fait davantage père fouettard en devenant directeur sportif. Chargé désormais de toute la gestion de l'effectif et des choix sportifs à long terme, l'ancien chef de bande se mue en dirigeant d'entreprise intraitable conformément à la politique maison. « Il a inculqué une rigueur collant bien à la mentalité du club et de Peugeot. À l'époque, quand il fallait négocier un contrat pro dans son bureau, c'était une épreuve » se souvenait récemment Jacky Bonnevay, actuel directeur du centre de formation du FC Nantes, qui a passé neuf ans à Sochaux (1976-1985) (5). Grâce au soutien indéfectible du principal bailleur de fonds, René Hauss peut imposer sa politique basée sur la formation en dépit de résultats peu satisfaisants dans un premier temps – le club échappe par exemple de peu à la relégation en 1975. Ces années de vaches maigres seront cependant décisives puisqu'elles permettent à des joueurs comme Albert Rust, Joël Bats, Bernard Genghini, Philippe Anziani, Jean-Luc Ruty ou Yannick Stopyra de faire leurs armes très jeunes en championnat, formant ainsi une véritable ossature en devenir. Comme souvent, le succès d'une politique axée sur le moyen-terme suppose le sacrifice préalable des résultats à très court-terme. Pari indubitablement risqué mais qui fonctionnera dans le Doubs puisque les jeunes Lionceaux, renforcé notamment par l'expérimenté Patrick Revelli, décrochent une très belle deuxième place du championnat en 1980, derrière le FC Nantes d'Henri Michel mais un souffle devant le Saint-Etienne de Michel Platini. L'épopée l'année suivante en coupe de l'UEFA est encore plus fameuse avec notamment l'élimination de l'Eintracht Francfort sur le terrain gelé de Bonal. Une nouvelle place sur le podium du championnat suit l'année suivante et René Hauss a au passage décroché le titre d'entraîneur de l'année 1980 de France Football, décerné par ses prédécesseurs.

Paris


C'est au milieu des années 1980 que le football français connaît sa première véritable explosion économique et médiatique. Canal + débarque, l'équipe de France brille à nouveau et l'intérêt croissant pour le football pro provoque une forte inflation des transferts et des salaires, que la famille Peugeot refuse de suivre. Le principal initiateur de cette surenchère est à l'époque Jean-Luc Lagardère qui, avant Bernard Tapie, souhaite damer le pion aux puissances en place du football français, et notamment aux Girondins de Bordeaux de Claude Bez. Son Racing Paris remis sur les rails subit cependant un premier échec en terminant bon dernier de D1 en 1985 alors qu'il venait tout juste de monter. Lagardère comprend à ce stade qu'il a aussi besoin de dirigeants expérimentés pour exploiter au mieux son impressionnant potentiel financier. Toujours attentif à ce qui se passe chez la concurrence – puisqu'il est aussi constructeur automobile – il débauche le duo à la tête de Sochaux, constitué par René Hauss et Silvester Takac. Le second nommé prolonge ainsi un long partenariat avec le premier, puisqu'il avait déjà été l'un de ses joueurs majeurs à Liège. Hauss, de son côté, se fond dans le moule de l'époque. Ce sont alors les années fric et paillettes et les directeurs sportifs deviennent des « managers » au moment même où l'on vend la R21 du même nom et l'indispensable attaché-case rectangulaire qui l'accompagne. Sous les ors de la modernité, la fonction reste peu ou prou identique, même si elle est d'une certaine façon bien plus difficile à Paris que dans le Doubs. Le Racing Paris version Lagardère est en effet une coquille en grande partie vide qui ne s'appuie pas sur une section amateur et des équipes de jeunes dignes de ce nom. Dans ces conditions, et compte tenu de l'impatience du grand patron, il ne peut être question de formation et le talent doit donc s'acheter. Sur ce plan, Matra frappe un grand coup en attirant dans la capitale le libéro de l'équipe de France, le grand Max Bossis. Un capitaine de luxe pour la deuxième division et le club remonte illico en décrochant le titre de champion de D2.

Grisé par l'indéniable succès de l'opération Bossis, Lagardère pousse son club plus loin dans la voie du recrutement prestigieux. L'équipe de la montée est en bonne partie démantelée pour faire place à un aréopage de stars, assemblé à grand frais. Le Matra Racing attire ainsi des références internationales comme Pierre Littbarski, Enzo Francescoli et surtout l'emblématique capitaine du PSG champion de France et héros de Guadalajara, Luis Fernandez. Pris dans cette pluie d'étoiles, René Hauss se trouve propulsé dans un milieu qui a au fond plus à voir avec le show business qu'avec le sport. En 1991, il témoignait : « Quand j'ai recruté Fernandez, il est venu accompagné : de son beau-père qui était un homme d'affaires, d'un avocat, d'un notaire et d'un impresario, Marouani, qui s'occupe d'artistes et de comédiens. La discussion a duré jusqu'à quatre heures du matin. » (6)

La mégalomanie de Lagardère subit cependant la loi du sport. Son Matra Racing ne reste en effet qu'un agglomérat de brillants solistes et ne parvient qu'épisodiquement à se muer en véritable équipe. En 1989, les Ciels et Blancs ne se sauvent qu'in extremis (17è), expédiant pour l'occasion le Racing d'Alsace en barrages. Devenu entraîneur en cours de saison suite au départ d'Artur Jorge, René Hauss a réussi à éviter, pour un temps, le pire mais c'est insuffisant pour dissuader le PDG de Matra de jeter l'éponge en laissant en caisse tout juste de quoi boucler la saison suivante. Les stars, ou ce qu'il en reste, s'en vont et l'équipe désormais très juvénile n'est pas taillée pour le maintien en dépit du talent d'Henry Kasperczak, désigné à son tour entraîneur de l'année (1990). Le Racing Paris est relégué mais se paye tout de même un beau baroud d'honneur en coupe de France avec, en demi-finale, l'élimination de l'Olympique de Marseille pour céder ensuite sur la dernière marche face à Montpellier. C'est sur ce demi-échec que René Hauss met un terme à une carrière longue de 42 années presque sans discontinuer, au milieu d'un monde qui n'est déjà plus le sien. Il se gardera cependant toujours de tomber dans l'excès de nostalgie, préférant conserver un regard lucide mais toujours passionné. Cette classe mâtinée de discrétion est souvent la marque des plus grands. C'était donc la sienne.




Evoquer René Hauss c'est au fond raconter les bouleversement du football professionnel depuis l'après-guerre. L'homme a en effet été acteur de presque tous les changements majeurs, qu'il a même souvent contribué à initier : balbutiements des premières compétitions européennes, arrivée des joueurs de couleur, bouleversements physiques et tactiques, apparition de la notion de formation, médiatisation et, pour finir, le règne de l'argent. Il ne manque guère dans son parcours que l'équipe nationale qui, d'une certaine façon, s'est refusée deux fois à lui puisque son absence de cape a certainement du constituer un handicap lorsqu'il fit partie des possibles successeurs de Stefan Kovacs. Michel Hidalgo, qui disposait alors d'un CV d'entraîneur bien moins fourni que celui du directeur sportif de Sochaux, fut choisi pour incarner la continuité, avec le succès que l'on sait. Il est permis de penser que les choses ne se seraient pas moins bien passées avec René Hauss aux manettes.

Notes


(1) Le Livre d'or du Racing club de Strasbourg, 1977, p. 165.
(2) René Hauss : « Le Racing, je l'adorais », 8 octobre 2006.
(3) Sport Foot Magazine, 15 décembre 2010.
(4) Ibid.
(5) L'Est Républicain, 8 décembre 2010.
(6) Il était une fois le Racing : Toute l'histoire du club omnisports Strasbourgeois, 1991, p. 64.



Sources et références


Le Livre d'or du Racing club de Strasbourg, d'Armand Zuchner (1977), pp. 161-222.
Racing 100 ans, de Pierre Perny (2006), pp. 214-217
Pierre Bilic, « Le Chef : René Hauss, plus qu'un entraîneur », Sport Foot Magazine, 15 décembre 2010.
Site officiel du FC Sochaux

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