Menace et bactérie

02/10/2006 15:40
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Polar dans le microcosme des biotechnologies. Espionnages, chantage, concurrence, menace et bactérie c'est ce qu'on a retrouvé dans le cadavre d'une entreprise biotech.
Nucléis victime d'un étrange sabotage

extrait de lyonmag
Dans Le Nouvel Objectif Rhône-Alpes d'octobre 2006, un article sur l'entreprise lyonnaise Nucléis, qui a fait faillite après avoir été victime de sabotages. Derrière cette sombre affaire : des concurrents jaloux qui auraient décidé de nuire à cette start-up promise à un bel avenir.

“Je suis écoeurée. C'est un tel gâchis que je ne comprends toujours pas comment on a pu en arriver là”. Sylvie Broman, la Pdg de Nucléis, n'a toujours pas digéré le sabotage dont a été victime sa start-up qui a été liquidée cet été. Mettant au chômage une vingtaine de chercheurs lyonnais. A l'origine de cette faillite : une étonnante affaire de sabotage industriel, même si cette “arme” est de plus en plus utilisée dans le secteur des biotechnologies pour “neutraliser” un concurrent gênant. C'est ce qui s'est passé avec Nucléis qui était promise à un bel avenir.

Tout a commencé en juillet 2002 quand Sylvie Broman, une Lyonnaise de 38 ans, décide de racheter avec un associé Marc Forestier, Nucléis, une entreprise de biotechnologie basée à Angers. Tous deux viennent d'être licenciés de Cyanamid agro, un groupe d'agrochimie basé à Tassin, qui a été racheté par BASF, le leader mondial de l'industrie chimique. Ensemble, ils décident de rebondir en créant leur entreprise. Ils se tournent alors vers la biotechnologie. Et ils s'intéressent alors à ce petit laboratoire spécialisé dans les souris transgéniques.

A l'époque, ce marché est encore très limité. Mais le potentiel est énorme. Nucléis travaille en fait sur la transgénèse, qui consiste à modifier l'ADN de souris utilisées par des laboratoires de recherche ou pharmaceutiques pour réaliser des tests cliniques. C'est-à-dire expérimenter de nouvelles molécules ou travailler sur des gènes responsables de certaines maladies. L'objectif final étant de concevoir et tester de nouveaux médicaments. Un procédé révolutionnaire pour la recherche puisqu'auparavant, il fallait croiser des souris pour obtenir au bout d'un an minimum un animal qui corresponde aux exigences des laboratoires. Alors qu'avec la transgénèse, il suffit de deux mois pour fournir une souris dont l'ADN est modifié ! Au total, seulement six laboratoires dans le monde, dont Genoway, un autre labo lyonnais, se partagent ce marché qui enregistre une croissance de 20 % par an. Première décision de Sylvie Broman et de son associé : ils rapatrient chercheurs et matériel à Lyon où ils s'installent dans l'animalerie transgénique de la fac Laennec à Bron, qui vient d'être créée. Les débuts sont difficiles : 500 000 euros de pertes la première année, des investisseurs frileux... Mais la petite équipe ne baisse pas les bras. L'année suivante, Nucléis réalise déjà 1,5 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour un résultat net de 250 000 euros avec une quinzaine de salariés. Une sacrée performance pour cette start-up qui compte déjà 130 clients dont 80 % à l'international, notamment aux Etats-Unis. Mais surtout, Nucléis a de nombreux projets : fonder un laboratoire de recherche à Montréal au Canada avec une équipe de 8 chercheurs, mais aussi ouvrir des bureaux à Atlanta aux Etats-Unis, et à Singapour en Asie. Pour financer ce développement, elle s'apprête à lever 1,5 millions d'euros.

“Tout nous réussissait à cette époque”, avoue aujourd'hui Sylvie Broman en ajoutant : “Forcément, ça suscitait des jalousies. Mais je ne pensais pas que notre succès allait nous attirer autant d'ennuis”.

Une bactérie tenace Le destin de Nucléis va basculer fin 2004. En décembre, le labo décide de déménager pour s'installer sur le Bioparc de Gerland, un site dédié aux entreprises biotech. Mais au bout de quelques jours, les chercheurs s'aperçoivent que les boîtes de pétries contenant les cellules sur lesquelles ils travaillent sont contaminées par une bactérie. Personne ne s'inquiète vraiment car cela arrive souvent en labo. Les chercheurs jettent alors tous leurs travaux en cours. Mais un mois plus tard, les boîtes sont à nouveau contaminées. Et ça va se reproduire, à plusieurs reprises, jusqu'au mois d'avril. L'équipe pense alors avoir été contaminée par un microbe au cours de son déménagement. Ou alors avoir un problème avec son système d'aération. Du coup, Sylvie Broman décide de remettre aux normes la salle de culture, ce qui va coûter 60 000 euros. Mais surtout, elle fait analyser cette fameuse bactérie par les labos de BioMérieux. Le résultat est stupéfiant. Il s'agit d'une bactérie très rare, l'ochbactrum anthropi, qu'on trouve uniquement dans les hôpitaux sur les cancéreux en phase terminale ! Pour BioMérieux et les experts interrogés, il est impossible qu'une telle bactérie puisse se développer dans un laboratoire de recherche ! Et le pire, c'est que pour se débarrasser de cette bactérie, il faut utiliser un antibiotique puissant qui détruira également toutes les cellules sur lesquelles travaille Nucléis. Alors que l'entreprise a déjà perdu 80 % de ses contrats, Sylvie Broman décide alors de redéménager. Mais la bactérie réapparaît. Et comme par hasard toujours à la fin des travaux, c'est-à-dire quand le labo doit livrer les souris. Ce qui signifie à chaque fois plusieurs mois de travail perdus !

“C'est à partir de ce moment que j'ai pensé à un sabotage. Du coup, j'ai décidé d'en parler à mes salariés. Ce qui a peut-être été une erreur”, reconnaît Sylvie Broman. En effet, après cette annonce, les actes de sabotages se multiplient : des données confidentielles sont envoyées aux concurrents, des congélateurs où étaient entreposées les cellules sont laissés ouverts à plusieurs reprises, des produits chimiques sont remplacés par de l'eau, des bouteilles de CO2 où vivent les cellules sont fermées, ce qui va les détruire... Paniquée, Sylvie Broman alerte la police, qui alerte la DST, le service de contre-espionnage. Les enquêteurs vont alors interroger chaque salarié pendant plus de 4 heures ! Mais personne ne va avouer. La DST 'installe alors des caméras invisibles dans le labo. Mais là encore, c'est un échec. Car surveiller un chercheur, c'est très difficile. Il suffit de quelques minutes pour saboter discrètement des travaux. Sylvie Broman a bien des doutes sur certains salariés mais elle ne veut accuser personne. L'ambiance est déjà très tendue au labo. Tout le monde se suspecte. Début 2005, Nucléis a déjà perdu 1,5 millions d'euros, les projets à l'étranger sont stoppés, et le groupe américain qui devait rentrer dans le capital a renoncé, vu la situation. D'autant plus que l'équipe de recherche est au bord de l'explosion. Du coup, Nucléis dépose le bilan en avril 2005. Sylvie Broman pense pouvoir rebondir. Mais quelques mois plus tard, c'est le le coup de grâce. Son fournisseur lui livre un lot de souris malades. Et la prévient trop tard. Conséquence : Nucléis est obligée de tuer tout son stock de souris. Ce qui signe l'arrêt de mort de l'entreprise qui est liquidée le 27 juin 2006. Et c'est la fin de cette aventure qui a démarré quatre ans plus tôt.

Un vrai polar policier Avec le recul, Sylvie Broman reconnaît avoir manqué de prudence. Notamment en dévoilant la stratégie de l'entreprise à ses salariés. “La DST m'avait pourtant avertie en 2003 des risques de sabotages industriels quand j'ai lancé Nucléis. Mais je ne les ai pas crus. Je pensais que ça ne concernait que les grands groupes et pas une petite start-up comme la nôtre. Et puis, j'avais une totale confiance en mon équipe” explique Sylvie Broman qui soupçonne toujours un de ses salariés. Mais elle n'a pas de preuves suffisantes. Du coup, l'enquête s'annonce très difficile. Mais elle reste convaincue que ces sabotages ont été organisés par un de ses concurrents. “On commençait à s'imposer sur le marché mondial. On devenait gênants, c'est certain. La seule façon de nous arrêter, c'était de nous casser. Et par n'importe quel moyen”.

Un sabotage assez classique selon la DST qui enquête de plus en plus sur ce genre d'affaires. Et chaque fois, c'est le même scénario : une entreprise repère chez son concurrent un salarié vulnérable en lui promettant beaucoup d'argent s'il accepte de réaliser certains sabotages. Parfois, on utilise même l'arme du chantage.

“J'ai l'impression de m'être retrouvée en plein polar”, avoue Sylvie Broman que cette affaire a “vraiment anéantie”. Mais aujourd'hui, elle a décidé de rebondir en suivant une formation à l'EM Lyon. Et elle n'exclut par de remonter une entreprise. “Cette affaire m'a endurcie, et cette fois, je ne me ferai pas avoir”. En attendant ,le liquidateur de Nucléis vient d'attaquer en justice le fournisseur qui avait livré des souris contaminées. Et la police poursuit son enquête pour identifier le saboteur. En s'intéressant de près aux principaux concurrents de ce labo lyonnais. Mais aussi aux anciens salariés. Un saboteur qui risque 5 ans de prison.

Stéphanie Pioud

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