Voyage en Espagne

09/05/2007 09:15
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Le stublog cherche pour le mur de son patio un peintre qui puisse reproduire la scène évoquée admirablement par Théophile Gautier, grand styliste parmi les stylistes.
"Je n'ai rien vu de plus triste et de plus lamentable que ces deux grands débris qui ne se consolaient pas entre eux : le théâtre à quatre sous n'a jamais porté sur ses planches vermoulues un couple plus usé, plus éreinté, plus édenté, plus chassieux, plus chauve et plus en ruine. La pauvre femme, qui s'était plâtrée avec du mauvais blanc, avait une teinte bleu de ciel qui rappelait à l'imagination les images anacréontiques d'un cadavre de cholérique ou d'un noyé peu frais ; les deux taches rouges qu'elle avait plaquées sur le haut de ses pommettes osseuses, pour rallumer un peu ses yeux de poisson cuit, faisaient avec ce bleu le plus singulier contraste; elle secouait avec ses mains veineuses et décharnées des castagnettes fêlées qui claquaient comme les dents d'un homme qui a la fièvre ou les charnières d'un squelette en mouvement. de temps en temps, par un effort désepéré, elle tendait les ficelles relâchées de ses jarrets, et aprvenait à soulever sa pauvre vieille jambe taillée en balustre, de manière à produire une petite cabriole nerveuse, comme une grenouille soumise à la pile de volta, et à faire scintiller et fourmiller une seconde les paillettes de cuivre du lambeau douteux qui lui servait de basquine. Quant à l'homme, il se trémoiussait sinistrement dans son coin; il s'élevait et retombait flasquement comme un chauve-souris qui rampe sur ses moignons; il avait une physionomie de fossoyeur s'enterrant lui-même : un front ridé comme une botte à la hussarde, son nez de perroquet, ses joues de chèvre lui donnaient une apparence des plus fantastiques, et si, au lieu des castagnettes, il avait eu une main un rebec gothique, il aurait pu poser pour le coryphée de la danse des morts sur la fresque de Bâle.
Tout le temps que la danse dura, ils ne levèrent pas une fois les yeux l'un sur l'autre; on eût dit qu'ils avaient peur de leur laideur réciproque, et qu'ils craignaient de fondre en larmes en se voyant si vieux, si décrépits et si funèbres."

Théoophile Gautier, Voyage en Espagne, folio classique, p.59

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