Nous apprécions tous Jean-Louis Bourlanges avec son air docte, ses cravates roses et son air de Jean-Pierre Arthur Bernard. Ci-bas, la livraison d'un texte sur l'éventuelle présidente de la république tiré du magazine économique l'Expansion.
Ça y est, c'est fait. L'ancien monde est mort. La chef barbare est entrée dans la ville les armes à la main et, avec elle, la cohorte des désirs premiers d'une tribu sans mémoire ni boussole. La force de Ségolène Royal réside d'abord dans ses défauts. Dans une amoralité flamboyante qui installe au coeur de la scène politique un désir sans entraves. Dans une ignorance révolutionnaire qui lui permet de saccager l'empire vermoulu des concepts essoufflés, des connaissances démodées et des codes désuets et fait d'elle la championne amnésique d'une table rase qui devrait tout à l'oubli et rien à l'espoir. Dans un égocentrisme effronté, enfin, qui divinise aujourd'hui sa pulsion vitale et promet pour demain le règne d'un pouvoir personnel sans bornes. Une étoile est née. Ségolène Royal est une machine à gagner d'autant plus robuste que sa programmation est redoutablement simple, la volonté de vaincre tenant lieu de tout.Il y a du mérovingien dans cette femme : Ségolène Royal, c'est une Frédégonde qui serait passée par la Star Ac'. N'y voyez pas une insulte. Dans sa brutalité ravageuse, le choc mérovingien a créé les conditions du grand décollage de l'an mille. La mutation est ici plus circonscrite. La révolution royaliste est en passe de mettre un terme à ce que Tocqueville a qualifié de « politique littéraire », c'est-à-dire à l'affirmation à partir du xviiie siècle d'un lien fondamental entre l'action politique, l'espérance eschatologique et le débat idéologique. Jusqu'à Voltaire, la politique était affaire d'administration. Avec les philosophes, elle devient un substitut de l'espérance religieuse. La raison remplace la foi, les loges remplacent les églises, et les intellectuels, les prêtres, au nom du nouvel évangile du progrès et de la liberté. Maistre ou Hugo, France ou Barrès, Malraux ou Drieu, Sartre ou Aron : voici plus de deux siècles que nous vivons la lutte politique comme la pointe extrême d'un débat idéologique qui seul lui donne sens et noblesse.
Ségolène Royal coupe le circuit. Elle ne sait rien mais elle s'en fiche. La République des idées a du plomb dans l'aile. Entre le désir et le pouvoir, la culture politique et même la raison ont cessé d'être des intermédiaires obligés. Si la future présidente est d'essence divine, c'est précisément parce que le message a cessé de l'être. Sa personne occupe en majesté l'espace laissé béant par le reflux des idéologies. Cette rupture satisfait les extrémistes et les modérés, les exclus et les installés, car elle libère tout un bric-à-brac idéologique que même le plus mandarinal des socialistes, Lionel Jospin, ne parvenait plus à gérer et qui avait le double inconvénient de couper la base du sommet et la politique de la réalité.
Il reste que cette révolution philistine qui sacrifie sur l'autel de la pulsion le savoir, la morale, les lois et les traités, débouche spontanément sur l'aventure et l'irresponsabilité. Peut-on surfer sur le désir et gérer sérieusement les dépenses publiques, se mettre à l'écoute de toutes les vibrations de l'opinion et faire des choix à long terme, être leur chef et toujours les suivre ? Aggiornamento social-démocrate ou errance démagogique : l'hésitation est permise.
L'Expansion