L'image de la famille dans la publicité

25/05/2007 09:57
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La publicité offre les meilleures indices des aspirations de notre société, bien plus que le cinéma ou les discours politiques. Dans des formats courts, les situations de promotion d'un produit doivent créer l'empathie, puis, l'adhésion. C'est pourquoi les marketeurs, appuyés par les sociologues, dessinent les contours de la famille idéalisée par les gens, par vous et moi. Eh oui, vous ne le savez pas mais eux le savent.
Le retour de la famille à l'ancienne dans la publicité
[ 25/05/07 ] Les Echos

Bien avant les slogans électoraux tournés vers le retour à l'ordre et à la responsabilisation, les spots de pub ont commencé à relayer ce virage sociologique.


Dé-com-plex-ée. Postsoixante-huitarde, émancipatrice et tolérante, sans pour autant laisser s'immiscer le moindre second degré... La famille, telle que la représentait la publicité dans les années 1980-1990, avait quelque chose d'éminemment rassurant dans son côté bohème organisé, faux désordre et vraie décontraction : la petite fille de la campagne Lactel (DDB/Paris) n'hésitait pas à interpeller son père d'un impérieux « Dis Papa, comment on fait les bébés ? », sans que personne ne se sente contraint de mesurer, avec gravité, les taux de glucide et de lipide présents dans son verre de lait. Quant au grand-père, il avait abandonné la posture de l'ancêtre autoritaire pour se couler dans le personnage d'un « copain et complice, transmettant des valeurs par la bande », selon les termes du sociologue Paul Yonnet (*), commentant la campagne pour les margarines Saint-Hubert. De leur côté, officiellement divorcés, officieusement en proie à des émotions plus ambivalentes, le couple de la campagne Nescafé (Publicis Conseil) n'en finissait plus de se séparer, se rapprocher, puis se séparer à nouveau. Bref, la famille s'ouvrait sur la complexité du monde, les couples recomposés suffisaient à bâtir une saga publicitaire. Et si la campagne Ricoré (Publicis) continuait de projeter l'image d'un bonheur familial idyllique (couples et enfants partageant un petit déjeuner sous la houlette euphorique de l'ami Ricoré), le téléspectateur en mesurait déjà le côté « chromo ». Mais à l'orée des années 2000, une page s'est tournée. La rébellion a tourné court, les nouvelles technologies (messagerie instantanée, mobiles, Web...) offrant notamment aux ados une autonomie inconnue de leurs aînés.
Le rôle de la mère

Les conflits parents-enfants ne sont plus que très rarement mis en scène, exception faite de la transgression suprême : le dépassement du forfait mobile (Virgin Mobile), autorisant les pires déchaînements maternels. Et Pascale Weil, directrice associée de Publicis Consultants, de conclure : « On assiste à l'émergence d'un toit commun sociologiquement, au sein duquel on relève l'existence d'une multiplicité de petites «alvéoles», correspondant à des instants d'autonomie. »

En revanche, la recherche d'ordre et de maîtrise semble flagrante : « La société apparaît «repétrie » de responsabilités et cela se révèle particulièrement vrai dans le domaine de l'alimentaire. On s'interroge énormément sur le rôle de la mère, intervient Marc- Antoine Jarry, directeur du planning stratégique d'Ogilvy. La question du rapport à l'autorité est à nouveau posée. Les campagnes de publicité montrent d'ailleurs peu de parents contestés, tout comme de moins en moins d'enfants rois ». Bien avant que les slogans électoraux de la campagne présidentielle 2007 ne fleurissent sur le retour à « l'ordre juste », la valeur travail, la responsabilisation et l'impérieuse restauration de l'autorité, les spots de pub étaient donc déjà passés par là. Question de flair, mais aussi d'études consommateurs soigneusement compilées. « Il ne faut pas voir la publicité comme un miroir de la réalité de la société, mais plutôt comme celui des aspirations de cette société », insiste Marc-Antoine Jarry.
Une certaine ironie

Pour autant, il serait schématique de ne percevoir, dans la représentation publicitaire actuelle de la famille, qu'une pâle resucée des réclames en noir et blanc des années 1960. « Il y a dix ans encore, intervient le psychanalyste Serge Hefez, la famille était montrée de façon idéalisée, sans recul et avec un partage des rôles très sexués. Alors qu'aujourd'hui on prend soin d'instiller une certaine ironie, un certain recul, notamment dans la réalisation des tâches ménagères. » Témoin, l'une des dernières campagnes Eram, signée Devarrieuxvillaret, où une jeune femme peste contre le linge à étendre et « cette vie de merde » remerciant Dieu et l'univers d'avoir créé les chaussures Eram à prix abordables. De son côté, l'univers de l'enfance a subi, lui aussi, un sacré chambardement : « Les enfants sont vieux de plus en plus jeunes et le phénomène est devenu manifeste avec la montée en puissance et l'impact des jeux vidéo, s'exclame Denis Quénard, vice-président de TBWA France, qui a longuement travaillé sur le budget McDonald's. Le fait que ces enfants soient en relation avec des objets nécessitant une adaptation biologique ultrarapide, leur donne un regard d'une acuité terrible sur les images. Nous devons l'intégrer. »
L'image de l'homme modifiée

Toutefois, c'est l'image de l'homme qui semble s'être le plus sensiblement modifiée, laissant entrevoir une part de féminité escamotée jusqu'ici associée à la volonté de jouer véritablement son rôle de père : « On commence à montrer des papas dans les campagnes destinées à la petite enfance, indique Marc-Antoine Jarry, dont l'agence Ogilvy gère le budget Nestlé. C'est une révolution culturelle en soi, la petite enfance ayant été historiquement liée aux mères. » La démonstration est en revanche nettement moins convaincante en matière de travaux domestiques, même si l'homme semble déployer une énergie ménagère foudroyante sur le petit écran. Ainsi, lorsqu'on le voit maniant avec dextérité aspirateur, liquide vaisselle et nettoyant pour le sol, ce n'est souvent que pure tactique marketing : « Mettre en scène une femme se débrouillant magnifiquement avec un fer à repasser n'a rien d'extraordinaire, décrypte Pascale Weil, directrice associée de Publicis Consultants. En revanche, montrer ce fer entre les mains d'un homme qui n'est pas un expert en la matière - seuls 7 % repassent - peut être une bonne manière de raconter la facilité d'utilisation du produit : on a alors affaire à un décalage délibéré au service de l'argument publicitaire. » Toutefois, inutile de se leurrer : les campagnes reflètent rarement la réalité de la famille et les publicitaires sont les premiers à l'admettre.

D'abord, pour une simple question de timing : « Les créatifs sont soumis à des formats de plus en plus courts, qui les dissuadent de se lancer dans des histoires complexes », estime Marc-Antoine Jarry. Le psychanalyste Serge Hefez ajoute : « Autrefois, la famille avait pour mission de transmettre. Aujourd'hui, on forme une famille pour être heureux et c'est ce bonheur-là que magnifie et vend la publicité. Pas question alors de montrer une famille recomposée traversée par des conflits de loyauté et d'autorité, par le ressentiment. » Ce que confirme Pascale Weil : « La vocation de la publicité n'est pas de dresser une fresque sociologique complète de la famille actuelle, encore moins une photographie, mais de permettre à chaque marque de donner sa vision et l'argument qui la différencie. La somme de ces visions partielles offre alors une image kaléidoscopique de la société. »
VÉRONIQUE RICHEBOIS

L'évolution de l'image de la famille dans la pub
1. La société apparaît « repétrie » de responsabilités.
2. Des conflits parents-enfants largement escamotés.
3. Une ironie et un recul nouveau qui installent une distance mais aussi une forme de complicité avec le consommateur.
4. Une modification très importante de l'image de l'homme, notamment dans son rôle de père.
5. L'émergence d'un « toit commun » abritant de petites alvéoles autonomes.


Publicités petit déjeuner
envoyé par legrenierdetontonfred

Commentaires (1)

Flux RSS 1 message · Premier message par jeanclaude · Dernier message par jeanclaude

  • "En revanche, montrer ce fer entre les mains d'un homme qui n'est pas un expert en la matière - seuls 7 % repassent -"

    J'espère au moins que ça convaincra Marc d'arrêter de se prendre la tête avec son fer à repasser :-)

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