Le premier biomédicament « made in Alsace »

06/06/2007 14:45
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Novartis modernise son usine alsacienne de Huningue pour produire des médicaments par des procédés biotechnologiques.
La proximité de la Suisse a du bon, mais pas toujours pour les raisons que l'on croit. Plantée à deux pas de Bâle, la zone française des « trois frontières » bénéficie de la puissance financière et scientifique de l'industrie pharmaceutique helvétique installée de l'autre côté du Rhin. L'usine Novartis de Huningue fait ainsi partie des rares sites français spécialisés dans la production en série de biomédicaments. « C'est une des usines de biotechnologie les plus perfectionnées du monde », proclame Thibaud Stoll, responsable des opérations bio-pharmaceutiques chez Novartis Pharma.

Dans l'organisation du groupe bâlois, l'unité alsacienne a obtenu une fonction assez enviable : « centre d'excellence pour la production industrielle de biomédicaments par culture de cellules animales ». Pour l'instant, Huningue ne fabrique qu'une seule molécule, un anticorps monoclonal destiné au traitement de l'asthme. Mais les extensions prévues et l'arrivée d'autres biothérapies de même nature devraient en faire un maillon essentiel dans la stratégie de développement du laboratoire suisse.

Les médicaments produits par des procédés biotechnologiques connaissent une croissance très rapide. Près de 600 biomolécules sont en cours de développement dans le monde et 40 % des traitements innovants qui seront lancés dans les prochaines années appartiennent à cette famille. Ce marché pourrait atteindre les 100 milliards de dollars vers 2010, contre moins de 50 milliards de dollars actuellement. Résultat, dans l'industrie pharmaceutique, la chimie cède peu à peu la place à la biotechnologie. Une mutation qui a son prix. Près de 150 millions d'euros ont été injectés dans les technologies de production mises en place à Huningue.

Organismes vivants

Les protéines sont de grosses molécules composées de centaines d'acides aminés. La chimie de synthèse traditionnelle ne sait pas assembler ces structures géantes à l'échelle du vivant. Cette tâche est donc confiée à des bactéries, des levures ou des cellules animales génétiquement modifiées pour construire des macromolécules. « Nous avons une trentaine de biomédicaments de ce type en cours d'essais. Huningue doit devenir le site privilégié de production des anticorps monoclonaux thérapeutiques », ajoute Thibaud Stoll.

Pour fabriquer ces produits à l'échelle industrielle, il faut posséder trois ingrédients de base : des batteries de bioréacteurs favorisant la croissance des micro-organismes producteurs du médicament, la maîtrise des procédures de sécurité spécifique aux produits biologiques et du personnel qualifié pour faire tourner ces « usines vivantes ». Dans un premier temps, Huningue est spécialisé dans une nouvelle classe de médicaments : les anticorps monoclonaux qui inhibent certaines réactions allergiques sévères. Ces molécules se fixent sur certains récepteurs cellulaires et bloquent la cascade inflammatoire à l'origine des crises asthmatiques sévères. Ce médicament (omalizumab *) est en fait sécrété par des cellules de hamster chinois isolées dans des enceintes closes. Les cellules mijotent dans un milieu nutritif contenant des acides aminés, de l'oxygène et des facteurs de croissance indispensables à leur métabolisme. Au bout de six semaines, on obtient une « soupe » qui contient, outre le principe actif recherché, toute une série d'ingrédients dont il faut se débarrasser (lire encadré). A plein régime, Huningue produira environ une tonne de principes actifs par an qui seront conditionnés dans leur forme finale par une autre unité du groupe.
Un second produit

Les cellules de hamster sont très sensibles à leur environnement chimique et thermique. Elles se multiplient uniquement dans des conditions de température et de concentration très précises. Mais le procédé n'est pas sans risque et la culture cellulaire réserve parfois de mauvaises surprises. De nombreux profiteurs circulant dans l'air n'ont en fait qu'une seule ambition : coloniser et dévorer un milieu nutritif qui ne leur est pas destiné. « Si on dérive par rapport aux conditions validées, on risque de devoir jeter le lot contaminé par une seule bactérie », explique Thibaud Stoll.

Outre la perte sèche (estimée à environ 1 million d'euros dans le cas de l'omalizumab), ce désastre se traduit par un arrêt de toute l'installation, qui doit être décontaminée pour éliminer les intrus. Pour l'instant, ce problème ne s'est pas posé et les récoltes de biomédicaments se succèdent sur les trois chaînes de bioréacteurs parallèles. « Environ 10.000 patients souffrant d'allergies sévères vont bénéficier de ce premier biomédicament «made in Alsace» », indique Vincent Le Gros, responsable de la recherche clinique en pneumologie chez Novartis Pharma France. Vers la fin de l'année, un second produit (un anti-inflammatoire contre des maladies articulaires) devrait commencer à être produit dans la cité alsacienne. Sa commercialisation est prévue pour la fin 2009.
ALAIN PEREZ

Lexique
Anticorps monoclonaux. Classe de protéines fabriquées par le système immunitaire. Ils sont clonés à partir d'une seule cellule de départ. Le nom des médicaments de cette classe se termine par le suffixe « mab » (monoclonal antibodies).
Anticorps murins. Anticorps développés par des rongeurs. Le nom des médicaments de cette famille se termine par le suffixe « omab ».
Anticorps humanisés. Anticorps rendus compatibles avec l'homme par recombinaison d'ADN ; Le nom des médicaments de cette famille se termine par les suffixes « umab » ou « zumab » (humanisé à plus de 90 %).
Bioréacteurs ou biofermenteurs. Enceintes métalliques fermées de taille variable où sont cultivées les cellules animales produisant les biomédicaments.
Immunoglobulines E ou IgE. Classe de protéines à l'origine des réactions allergiques dans le corps humain.
Principe actif. Molécule de base d'un médicament responsable de l'effet thérapeutique.
Purification. Une fois la culture terminée, le principe actif contenu dans le liquide est extrait puis purifié en plusieurs étapes.

(*) Commercialisé sousle nom de Xolair.

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