Un écrivain

En écoutant l'émission d'A.Finkielkraut, ce matin, j'ai repensé à un texte de G.Matzneff qui m'avait marqué:


"Petit-fils et fils d'émigrés russes, je m'interroge sur les émeutes qui ont ces dernières semaines enflammé notre pays, sur cette haine de la France qui anime certains des jeunes manifestants, sur la difficulté de s'intégrer dont se plaignent les autres, eux aussi fils et petits-fils d'émigrés.

Entre les deux guerres, c'est-à-dire dans les années 1920 et 1930, les étrangers qui émigrèrent en France, qu'ils fussent russes, ou italiens, ou arméniens, ou grecs, connurent eux aussi la misère, les logements insalubres, la xénophobie.

A l'époque, il n'y avait ni les allocations familiales, ni la Sécurité sociale, et les conditions de vie étaient beaucoup plus difficiles qu'elles ne le sont aujourd'hui. Et si certains de ces exilés parlaient le français,l'immense majorité n'en savait pas le moindre mot, beaucoup moins encore que les émigrés d'aujourd'hui issus des ex-colonies francophones d'Afrique.

Oui, une grande pauvreté. Voilà quelques années, nous célébrâmes le jubilé de la paroisse des Trois-Saints-Docteurs, rue Pétel, dans le XVe arrondissement de Paris. À cette occasion, le métropolite Antoine évoqua son adolescence (il était alors âgé de 17 ans), ses premières années d'exil en France: " Ce fut une période d'extrême misère. Cinq moines vivaient dans des cellules vétustes, l'argent manquait même pour se procurer de la nourriture. Le soir, on pouvait voir le vieil évêque Benjamin, couché sur le sol, enroulé dans sa cape de moine; dans sa cellule, sur sa couche, il y avait un mendiant, sur le matelas un autre mendiant, sur le tapis un troisième; pour lui, il n'y avait pas de place."
Aujourd'hui, on s'émeut de la pauvreté des mosquées, mais à l'époque, croyez-moi, personne en France ne s'émouvait de la misère des chrétiens orthodoxes. Les gens n'en avaient rien à foutre. Les jeunes Beurs, les jeunes Noirs souffrent de la xénophobie française? Les émigrés de la génération de mes grands-parents en ont souffert, eux aussi. Quatre ans avant ma naissance, un Russe blanc nommé Gorgouloff a assassiné le Président de la République française, Paul Doumer. Imaginez un instant qu'un Arabe ou qu'un Noir émigré en France assassine Jacques Chirac, et vous aurez une idée de ce que pouvait être alors l'atmosphère concernant les étrangers avec des noms en off, en eff, en ine ou en ski.

Les conditions générales étaient donc extrêmement défavorables aux émigrés et à leurs enfants. Néanmoins, chez ceux-ci, qu'ils fussent arméniens, italiens, grecs ou russes, on observait un désir d'utiliser tous les moyens que la France mettait à leur disposition - l'école, le lycée, l'université pour échapper à la pauvreté, à l'exclusion, pour gravir les échelons de la société. Il existait chez ces jeunes d'origine étrangère un désir de faire de bonnes études et un grand appétit de connaissances.

Pourquoi ces garçons d'origine africaine, eux, traînent-ils toute la journée, ne s'intéressent-ils à rien, s'ennuient-ils, semblent-ils n'avoir aucune curiosité intellectuelle, aucune soif d'apprendre, de s'instruire, de lire de beaux livres. Peut-être parce qu'on leur parle trop des " valeurs républicaines ", de " l'engagement citoyen ", et que cet abstrait charabia ne les enthousiasme pas. Quand j'étais enfant, on se bornait à me parler de la France et de l'amour de la France. C'était beaucoup plus stimulant."

Gabriel MATZNEFF

Merci Gabriel

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