Chroniques d'un confiné alsacien, acte#1

23/03/2020 22:23
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Episode 1: Les courses
Il paraîtrait qu’avec le confinement, on a beaucoup plus de temps. Ben moi, je ne suis pas franchement d’accord. Et je vais vous le montrer. Bienvenue dans chroniques d’un confiné alsacien, acte #1.

Un peu comme on fête son anniversaire, ou qu’on change d’année, j’ai passé hier, en fin d’après-midi, un moment extrêmement important de ma vie, que je tenais à partager avec vous : J’ai fait des courses ! Immédiatement, à cet énoncé, une voix raisonne dans ma tête, du film « Le pari » : <Paaaaaas biennnnnnn !>. Je sais. Le constat s’était avéré de plus en plus réel, à mesure que les jours passaient. L’étagère « produits frais » de mon réfrigérateur menaçait de m’intenter un procès pour abandon. Le goût uniforme du stick’s trempé dans –Du pâté ; du fromage frais ; de la pâte à tartiner- (Rayer la mention inutile) ne masquait pas la réalité. J’allais devoir y passer.

Comme Tom Cruise dans « Mission Impossible », j’ai préparé mon plan. Je l’ai répété, revu, adapté, corrigé. Deux attestations plus tard (une pour la fenêtre de la voiture, l’autre dans la poche pour le trajet à pieds voiture – superette), je me suis lancé. L’œil acéré, la veste enfilée, le sac shopping à la main, je me suis jeté dans la fosse aux lions, avec courage et détermination.

J’avais jeté mon dévolu sur une supérette pas loin, qui m’évitait le grand centre commercial, et qui avait le mérite de tout cumuler : Boulangerie, pâtisserie, traiteur, tabac, produits frais. Ils font tellement tout que la gentille dame m’a remis dernièrement 4 feuilles A4 agrafées pour que je sache ce que je pouvais demander : Il ne manque que réparation de tondeuses à essence et confection de déguisements chinois du 12ème siècle. M’enfin, ça sera au menu bientôt, hein.

Tout en tremblant, je parcoure les 50, 25, 12, 3, 1.5 km qui me permettent de retrouver les douces sensations de la conduite automobile. Je fais en général 35 000 km à l’année, j’en suis à 3.5 cette semaine. Avec fierté, j’ai envoyé un texto à mon meilleur ami pour partager un moment rare (« coucou, j’ai passé la 3ème aujourd’hui, 70 km/h !!! »).

Arrivé à destination, je me gare, respire un bon coup, et me lance. Tel John Wayne qui arpente la voie centrale en direction de son duel fatal au pistolet, je me sens épié par les gens aux fenêtres (« Chérie, regardes, y’a un mec dehors ! »), et je marche, droit comme un « i », fier et déterminé, vers mon destin.

« Vous pouvez entrer ». J’entends la petite voix venir de quelque part au fond du magasin, sans discerner personne. Un panneau m’invite à suivre le « sens de la file ». C’est bien organisé, dis donc. A la manière de mon système d’exploitation le matin quand je démarre l’ordinateur, je rencontre un « ralentissement inopiné » devant le rayon des vins. Je repère un p’tit comté tolosan bio 2016 et culpabilise immédiatement. « Denrées essentielles » on a dit ! Après une mûre réflexion, je glisse la bouteille dans mon cabas, fier d’avoir solutionné mon conflit intérieur : S’il est en rayon, c’est qu’on peut l’acheter. J’arrive aux pâtes et, devant l’inattendu, je reste figé : Il y a plusieurs sortes. C’est bien la première fois de ma vie que je vais choisir un paquet de pâtes à la manière des options de ma Toyota Corolla. Comme si 3 années de vie en dépendaient, je choisi les « nids d’Alsace » et me limite à un paquet (parce qu’il faut en laisser pour tous !). Mon sac shopping bien garni, j’arrive au bout de mon circuit tout tracé et me présente à la caisse. La masse blanche informe que je distinguais depuis le début dans le coin du fond n’était ni un amas de polystyrène, ni une barbe-à-papa vanille géante, mais bien la p’tite dame du magasin, toute… emmitouflée. Elle a été trahie par son clignement des yeux, seule partie d’elle encore apparente, entre la charlotte sur la tête, les gants latex et le masque FRP maison : Fabriqué en Restes de Plastique. J’ai l’habitude de lui glisser un petit mot gentil, alors je me lance pour un « Ah, ben vous êtes bien équipée !». Avec un poétique accent local, je reçois en retour un « Il faut bien ! » suivi d’un gargouillement que je traduirais par « S’mart m’r Schisse tout ça! » (« Ça me fait ch… tout ça » en patois local). « J’vais aussi prendre du pain, un gros, si vous avez… ». Elle saisit à deux mains un énoooorme pain de campagne, qui doit peser dans les 2,5 kilos. Au moins, si je me fais agresser, je serai armé. « Ca ne rentre pas dans vot’ sac et on n’a rien pour l’emballer, on a fait des gros pour ceux qui veulent congeler ». Je place mon lance-roquettes à la farine complète sous le bras, et me prépare à payer. Le comptoir a été amendé d’une vitre en plexiglas, et, comme la p’tite dame est tout en blanc, une image m’arrive instantanément dans la tête : On dirait le pape dans la papamobile ! Je serai hélas trahi par mon « amen » lorsqu’elle me tendra en retour ma carte bleue…

Voilà. J’ai réussi la partie critique de mon plan, et n’ai plus qu’à retourner au quartier général à la maison. Ça serait dommage d’échouer maintenant alors je me motive. Quart de tour de tête à gauche : rien ! Quart de tour de tête à droite : rien ! (NDLR : « Vous avez déjà remarqué un truc ? C’est à chaque fois qu’on sort d’un magasin qu’il se met à pleuvoir. J’envisage une étude sur le sujet, parce qu’entre le coronavirus et ça, j’ai l’impression que quelqu’un m’en veut en ce moment).

Trajet retour. Un rond-point. Bordel. C’est un héritage de mes jeunes années dont je voudrais vous parler maintenant. A force de me dire « Si t’es pas sage, tu vas aller en prison », à chaque fois que je vois un gendarme, j’ai l’impression d’être Mesrine. J’ai beau avoir un tonton casque bleu, un papy gendarme, et rien à ne me reprocher légalement, c’est plus fort que moi. C’est en général à ce moment que je cale. Mais pas cette fois, parce que j’ai une voiture automatique (héhé !). Je passe le rond-point sans embûche et range ma carte d’identité, mon passeport, et ma facture EDF de moins de 3 mois justifiant de mon domicile.

Je profite de ces derniers mètres, seul au monde sur la route, pour laisser mon esprit vagabonder, et c’est avec un petit sourire que j’observe les oiseaux et la nature qui reprennent leurs droits. « Revenir à l’essentiel » Et si la solution à tous nos problèmes ne venait pas de la ?

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