Eros

23/01/2006 19:28
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Bien que ne partageant pas du tout l'avis de l'auteur notamment quant à la comparaison avec Tigre et Dragon, que je trouve largement surfait, et incomparable avec l'esthétisme et la poésie du film en question, Hero, sa critique n'en reste pas moins passionnante... bien que très dure...

http://kibitz.racingstub.com/blogs/k/kibitz/photos/strasbourg-344...

"Si vous voulez en prendre plein les yeux pendant 1h 40, Hero a été fait pour vous. C'est de la jouissance audiovisuelle à très forte dose que nous procure Zhang Zimou tout au long de ce film. Dès le début, c'est un véritable cyclone qui est lâché sur nous. C'est lessivé, et les yeux à l'envers que vous vous retrouverez à la fin certes, mais la tête pleine de magnifiques images. La photographie - point la moindre puisqu'elle est dirigée par l'excellent Christopher Doyle, complice de Wong Kar-Wai - les combats, les costumes, les ambiances... tout est superbe. Après ce plaisant constat, surgissent des ombres au tableau, qui selon vos exigences cinématographiques ou votre sens critique vous feront plus ou moins relativiser ce film dans son ensemble, mais certainement pas sa qualité esthétique. Voilà même le gros problème, il se peut que pour certains, dont moi-même, il ne finisse par rester de ce film que de l'esthétisme !

En effet, force est de constater que les acteurs ne sont pas au sommet de leur art. Sans être mauvais, ils seraient plutôt proches du minimum syndical. Jet Li mis à part, celui-ci n'ayant jamais été un très grand acteur (hormis les Il était une fois en Chine et L'arme fatale IV) mais un Grand Artiste Martial, et ce n'est pas en enfilant les navets comme il le fait que cela va changer. On reste déçu par la performance de Maggie Cheung, dans ce genre de rôle d'amante tourmentée, je ne peux (eh oui, il s'agit seulement de mon humble avis. Je tiens à le préciser pour certains nerds qui doivent déjà criser à ce stade de la lecture de cet article !) m'empecher de penser, l'oeil humide et avec une certaine nostalgie, à Brigitte Lin dans The Bride with White Hair. Vous me direz ça n'à rien à voir et vous avez raison, mais il est toujours agréable de se remémorer Brigitte Lin dans ce film !! (Et mieux encore de le regarder pour la énième fois !!) Tony Leung Chiu-Wai s'en sort bien mais sans plus. Zhang Ziyi joue bien mais reste toujours confinée plus ou moins dans le même type de rôle, celui de la jeune femme qui fait son apprentissage. Donnie Yen bien que ne jouant que dans une séquence, est excellent dans ce rôle sans dialogue. Il se dégage une grande force de son personnage. Chen Dao Ming ne retient guère l'attention en tant que roi. Zhang Yimou, malgré un casting pourtant époustouflant, s'est peu soucié de la direction d'acteurs, d'où sans aucun doute leur médiocre prestation.

Côté réalisation, rien à redire c'est impeccable ; on déplorera quelques enchaînements de plans limites mais pas de quoi fouetter le réalisateur. Pour ce qui est de la mise en scène, un seul mot d'ordre : ampoulée sinon rien. Il est assez curieux dans un film "sino-chinois" de constater la présence de Kodo, excellent groupe de percussions japonais dans la bande originale !!

Mais abordons un peu le scénario. [ Pour le résumé allez donc lire l'article de Hialmar (mais il s'agit de 7 royaumes et non pas de 6). ] On a beau nous préciser que ce film relate une légende concernant l'histoire d'un "très grand roi", ce dernier n'est pas une légende. En effet, cette histoire se déroule à l'époque des royaumes combattants. On est alors aux débuts de la maîtrise de la fonte du fer. Ce roi, Shi Huangdi, sera le premier empereur de la dynastie Qin. Voilà donc, dès le début, le hardi mélange des genres auquel se livre ce film. Et c'est là que le bât blesse, sous prétexte d'une fiction on en profite pour refaire une petite virginité à un personnage, le roi, qui n'a jamais été un petit saint. Dans quel but me direz-vous ? Dans celui pas très propre de faire de la grosse propagande pour le régime actuel de Pékin, et de légitimer sa politique intérieure.

La recette est éculée. Elle était utilisée jusqu'à pas si longtemps en France, depuis la Troisième République, lorsque l'enseignement de l'Histoire était le moyen pour asseoir la République, et notamment en valorisant une galerie de héros de la "France éternelle" recrutés de-ci, de-là, allant jusqu'à en réhabiliter de très douteux (je pense ici à Jeanne d'Arc qui fit à la fois partie du panthéon républicain laïque et de celui de la réaction catholique et royaliste !!!).

Et pour revenir à nos moutons, si je puis me le permettre... (et carrément que je me le permets, non mais !), s'agissant donc d'une légende on attendait donc une certaine prudence et rigueur des scénaristes. Mais il s'agit d'une production de Chine continentale, et non pas de Hong Kong (ces derniers n'ayant pas toujours fait dans la dentelle non plus, le sentiment nationaliste chinois ayant été le moteur de nombreux films). Et autant dire qu'à Pékin on est toujours vigilant en matière d' "Histoire", et on ne fait pas encore de l'art à ce niveau là sans que la politique s'en mèle.

Attention, très cher lecteurs veuillez sauter le passage suivant si vous ne voulez pas connaître la fin, et reprendre la lecture après... De toutes manières c'est le gentil impérialiste qui gagne. Vous croyez encore au Père Noël ! Vous pensiez réellement que cela allait bien se finir dans un film de propagande...

Décortiquons un peu le message : nous avons un gentil roi incompris des peuples qu'il a gentiment asservis. Certains irréductibles, de redoutables tueurs experts en arts martiaux bien entendu, veulent sa peau ! Et pour ce faire, ils vont ourdir un complot des plus complexes. Jusque là rien que de très banal, les rebelles veulent se venger. Mais voilà notre roi grâce à sa très grande humanité (oui on peut être un conquérant sanguinaire, un fin lettré et un être sensible, affreux cyniques que vous êtes !), saura percer à jour le félon Jet Li (la clairvoyance n'est pas l'une des qualités requises pour un grand homme d'état) malgré le monstrueux pipeau pourtant crédible que ce dernier lui aura sorti. Néanmoins Jet Li l'affreux tueur assoiffé de vengeance des siens, est encore en mesure de tuer le roi !!! Mais notre roi a un dessin supérieur à la simple conquête guerrière. Cette conquête complète des six autres royaumes représentera la paix ultime (Ne dit on pas "Si tu veux vivre en paix, prépare la guerre" ?) pour tous, et pour ce faire il faut effacer toutes les différences culturelles.

Et quel est l'un des vecteurs principaux de la culture ? La langue bien sûr. Quelle aberration pour notre gentil et visionnaire roi que l'on puisse écrire en Chinois un mot de plus d'une dizaine de façons différentes. Une seule langue (heureusement on a encore le cantonnais de nos jours), un seul pouvoir, et "all under heaven" pour les "fils du ciel", voici le credo de ce souverain ô combien éclairé ! Et de fait ce roi sera le premier empereur Qin, celui qui a unifié le territoire chinois, très loin de la superficie de la Chine actuelle. Puis l'on bâtira la Grande Muraille afin de se protéger des "barbares" ! Il s'agit bien là du premier grand timonier !!

Voici le poison dissimulé derrière ce film. Faire croire que la Chine de nos jours, l'un des derniers grands empires, est un seul et grand pays, où l'on oeuvre pour le bonheur de tous, dans la joie et l'allégresse quotidienne ! Comment ne pas avoir la nausée, lorsque l'on pense à la situation du Tibet, pays conquis depuis peu (1950), où l'objectif pour le pouvoir central chinois est d'éradiquer purement et simplement sa culture, et y implanter une population non tibétaine afin d'en faire définitivement une province chinoise. Mais surtout ne pas montrer que la Chine est une mosaïque de peuples, de langues, de cultures, et de religion... Que dire de Tien An Men ?

Tout cela ce ne serait rien de plus que de la simple propagande, façon bourrin hollywoodien comme on sait si bien en faire régulièrement outre-atlantique. Mais c'est là que Hero est d'autant plus diabolique. On est un peu plus fin à Beijing qu'à Hollywood, pour ce faire on va chercher un réalisateur "auteurisant", on prend les comédiens les plus populaires, et on dissimule l'ensemble derrière un déferlement d'esthétisme, en s'engouffrant bien sûr dans la brèche ouverte par le succès récent de films comme Tigre et Dragon tout en sachant que la plupart des spectateurs ne connaissant rien à l'histoire de la Chine, ils ne sauront pas forcément y déceler le tour de vice. Ainsi le bourrage de crâne aura réussi. Voilà à mon avis ce qui rend ce film d'autant plus écoeurant et dangereux.

Et Zhang Yimou dans tout ça, manipulé, et consentant, voici encore un malaise de plus. Il aura eu beau glisser cette petite phrase dans la bouche du grand maître de l'école de calligraphie en train d'être rasé, s'adressant à ses élèves : "Ils peuvent détruire notre ville avec leurs flèches, raser notre royaume, mais ils ne peuvent pas effacer notre culture. Aujourd'hui vous allez apprendre l'essence de notre culture." ...la résistance à l'impérialisme ? Le malaise subsiste tout de même. Comment conclure un film pareil ? Au moment où Jet Li finalement s'élance contre le roi pour lui faire goûter sa botte secrète, on croit encore que le tyran va être abattu. Hélas non, Jet Li a été subjugué et a perçu toute la noblesse du dessein du "grand roi" (j'ai omis volontairement l'horripilant retournement de veste de Tony Leung Chiu-Wai, qui reste une des grosses failles scénaristiques). Fi de ma petite vengeance égoïste face au destin du peuple, et ainsi le roi est épargné. Mais que va faire le roi de Jet Li ? Le roi n'en est pas moins touché par l'acte de foi que vient de lui donner Jet Li.

C'est alors que voilà encore de l'horrible, on nous ressert le coup du Grand Homme sensible, prisonnier de la politique et qui pour le bien du plus grand nombre, sous l'influence de son entourage, et pour l'exemple doit quand même exécuter l'assassin. Quitte une fois celui-ci trucidé d'en faire quand même un "héros", un martyre, et rafler totalement la mise. Cependant, le paradoxe est à son comble avec cette séquence de fin, où on montre l'un des rouages de la propagande, la fabrication de "héros", et sa récupération politique. Serait-ce un dernier pied de nez : les centaines de flèches qui auront servi a exécuter l'assassin ne peuvent même pas être facturées à sa famille... il était orphelin !!!

Avant de conclure, il faut aborder un point délicat, la comparaison avec Tigre et Dragon. Aïe, planquez chien, chat, canari, femme et enfants ça va faire mal ! Tigre et Dragon était lui aussi servi par un magnifique casting, qu'Ang Lee a su mettre en valeur. Michelle Yeoh y est plus belle que jamais. Tous les acteurs sont bons, et que dire de la prestation de la chevronnée Cheng Pei Pei. Dans Hero, les acteurs sont ternes hormis Donnie Yen. Leurs personnages étant très fades, l'histoire et la mise en scène ont eu la priorité. Tigre et Dragon (à noter que ce film est une production internationale) est une très belle double histoire d'amour, et un véritable hommage à la culture cinématographique et littéraire chinoise, qu'est le Wu Xia Pan. Hero n'est qu'un film au discours plus que douteux, esthétisant. L'histoire d'amour entre Maggie Cheung et Tony Leung Chiu-Wai, à laquelle se joint le personnage de Zhang Ziyi, est tiédasse, la situation étant peu exploitée.

Du point de vue des arts martiaux, Tigre et Dragon enterre sans difficultés Hero. A ce niveau, le film d'Ang Lee nous montre une multitude de scènes de combat très bien filmées, aussi bien pieds/poings qu'avec une variétés d'armes. Hero n'est certes pas en reste. La séquence du duel entre Jet Li et Donnie Yen est magnifique et superbement chorégraphiée. Et quelle qualité technique !! Quels artistes martiaux que ces deux là ! Mais il n'en va pas de même avec les autres séquences bien que très oniriques, et somptueuses. Leur intérêt technique (à mon humble jugement) étant moindre.

Et pour finir Tigre et Dragon, est un film non seulement très beau mais constamment empreint de poésie dans la narration. Ce qui n'est pas le cas de Hero dont l'esthétique est constante, mais la poésie très limitée et restreinte à quelques séquences, celles du duel Jet Li/Donnie Yen, du duel Maggie Cheung/Zhang Ziyi, et de l'affrontement onirique entre Jet Li et Tony Leung Chiu-Wai. Le reste n'est que clichés exotiques frelatés. Autant le parallèle musique/arts martiaux est intéressant, autant celui calligraphie/maniement de l'épée est un cliché récurrent qui aurait pu nous être épargné.

Vu l'origine de la production et la finalité de chacun de ces deux films, le débat - quel est le plus authentique des deux - ne se pose même pas. Y'a pas photo, Hero malgré la qualité de sa photographie, n'est pas comparable au petit bijou qu'est Tigre et Dragon, et restera un film très limité et anecdotique dans le genre.

Bref Hero est un très beau film de propagande éhontée, mais plus dangereux par son discours insidieux à l'opposé des films de propagande américains, en général beaucoup plus primaires. Ce n'est qu'une coquille vide, mais une coquille ravissante, qui aimerait bien jouer dans la cour des grands, mais est très loin d'y arriver. Il est fort probable que certains éléments m'aient échappé, n'étant pas un sinologue émérite. Ceci expliquant l'omission de l'analyse de la symbolique des couleurs qui marquent successivement le film. Si vous allez le voir, choisissez le plus grand écran possible. Vous vous gaverez mieux du strict festin visuel qu'est Hero. A vous de choisir de laisser votre cerveau au vestiaire, mais vous voilà au moins prévenus et un peu prémunis je l'espère, contre l'infâme discours sous-jacent."

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