La meilleure attaque, c'est la défense

05/04/2010 13:06
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Premier article sur mon stublog après plus de deux ans de présence sur le stub.
Il s'agit simplement d'un copier coller d'un article paru dans un grand numéro hors série du magazine So Foot, hiver 2010, intitulé 50 Légendes.
J'ai eu beaucoup de plaisir et d'amusement à lire ce bouquin et toutes les histoires et anecdotes plus intéressantes les unes que les autres qui ont marqué l'histoire du football.

Cette histoire reste ma préférée, et aussi invraisemblable qu'il puisse paraître, c'est une histoire vraie.
"Des attaquants transformés en défenseurs et des joueurs qui marquant volontairement contre leur camp. Ça s'est passé à la Barbade, en 1994. En match officiel, qualificatif pour la Gold Cup.

27 janvier 1994, banlieue de Bridgetown, capitale de la Barbade. Le stade National de ce minuscule territoire perdu au bout de l'archipel des petites Antilles est en ébullition. L'équipe de la Barbade -les Bajan Rockets- vient de marquer un but qui leur permet d'arracher les prolongations et sauvegarde ses chances de passer le tour préliminaire de la Shell Caribbean Cup, compétition qualificative pour la Gold Cup, le tournoi continental de la zone Concacaf. Entre la pelouse et les tribunes du stade, la piste d'athlétisme et la piste cyclable semblent infinies. Malgré la distance, les immenses éclats de rire des spectateurs parviennent aux oreilles des joueurs de la Grenade, adversaires du jour des Bajan Rockets. C'est qu'en marquant ce but à trois minutes de la fin du temps règlementaire, la Barbade a joué la plus grande farce jamais permise par le règlement d'une compétition.

Ce but qui l'envoie en prolongations, la Barbade l'a en effet marqué de plein gré... contre son camp! Pourquoi cette parodie de football? Peut-être le soleil a-t-il trop tapé sous les tropiques cette année-là. Toujours est-il que pour cette cinquième édition de la Shell Caribbean Cup, les organisateurs ont fait dans l'ubuesque. Afin de prévenir des positions trop serrées au classement des poules qualificatives, ils ont prévu que chaque match s'achevant sur un score nul comporterait des prolongations avec but en or... et que celui-ci compterait double. A leur décharge, admettons qu'il n'est guère aisé de créer de nettes différences dans les poules de trois équipes qui ne se rencontrent qu'une seule fois.


Premier but contre son camp


Avant l'ultime et décisive rencontre entre la Barbade et la Grenade, le suspense est entier dans le groupe 1 des éliminatoires. Porto Rico a battu la Barbade 1-0 et la Grenade a disposé de Porto Rico par un but marqué en prolongations, soit une victoire par 2 à 0. Au classement, la Grenade fait la course en tête au bénéfice de la différence de buts. Un match nul ou une défaite par un but d'écart lui suffit pour passer ce round. Porto Rico, second après deux matchs, est définitivement éliminé. Quant à la Barbade, elle ferme la marche mais conserve un réel espoir de qualification. Il lui suffit de l'emporter par deux buts d'écart face à la Grenade.

Le match Barbade - Grenade commence idéalement pour les Bajan-Rockets. Après avoir ouvert le score durant le premier half, ils prennent le large en milieu de seconde mi-temps. A 2-0, ils ont leur billet pour la phase finale en poche. La Grenade pousse cependant pour obtenir une réduction du score qui la qualifierait.
A la 83ème minute de jeu, les Grenadiens jouent une longue touche côté gauche. La défense barbadienne manque l'interception de la balle. Un attaquant grenadien récupère le cuir dos au but et tente de servir un coéquipier qui arrive lancé dans la surface adverse. Un défenseur Bajan intercepte alors précipitamment et frappe en direction de sa propre cage. Légèrement avancé et surpris par la maladresse de son coéquipier, le gardien Horace Stoute n'esquisse aucun geste et voit le ballon rouler vers ses filets. La Barbade vient de marquer contre son camp. Mais ce n'est pas encore là qu'on rit. Car à 2-1, c'est maintenant la Grenade qui repasse en tête du classement.


On joue ou on triche ?


Après avoir remis en jeu, la Barbade repart à l'attaque du camp grenadien. Il reste sept minutes à jouer et les Bajan Rockets doivent maintenant marquer un troisième but et reprendre deux buts d'avance pour se qualifier. C'est pour eux la seule solution. Du moins le croient-ils durant quatre minutes. Puis, à la 87ème, alors que le cadenas grenadien est solidement verrouillé, une lumière s'allume dans les esprits. Un rappel du règlement s'impose à cet instant : en cas de match nul, il est prévu de jouer des prolongations avec but en or valant double. Question : quand il reste trois minutes de jeu, vaut-il mieux tenter de marquer un but dans le camp adverse ou profiter d'un règlement vaseux pour se donner le temps des prolongations ?

La réponse va venir lentement. D'abord, par des passes successives vers l'arrière qui ne font pas réagir la Grenade, bien calée en défense. Alors les Barbadiens reculent encore et se retrouvent bientôt en possession du ballon dans leurs propres six-mètres. Le défenseur Sealy et le gardien Horace Stoute s'échangent maintenant longuement le ballon, agissant comme s'ils menaient au score... ou comme s'ils hésitaient encore à profiter de l'absurdité du règlement et à fouler de leurs crampons les règles les plus élémentaires du fair-play. Soudain le doute est levé. Sealy, en possession de la sphère à trois mètres de la ligne de but, arme son tir et expédie le ballon à bout portant dans sa propre cage. A cet instant, c'est sûr, Stoute, barbier dans le civil, ne rase plus gratis.


Public hilare


2-2. Voilà les Bajan Rockets aux portes des prolongations. Pour rêver à la demi-heure supplémentaire et au but comptant double qui les qualifierait, il leur faut encore tenir centre-quatre-vingts secondes sans encaisser de pion... et empêcher la Grenade de dégoupiller dans son propre camp. Car leurs adversaires, s'ils ont été lents à la détente, ont fini par piger l'astuce et comprennent qu'ils peuvent, eux aussi, tirer avantage du règlement en marquant contre leur camp. N'oublions pas qu'une défaite par un but d'écart les expédierait tout droit en phase finale. Et alors que les Grenadiens s'apprêtent à rendre aux Bajans la monnaie de leur pièce en tirant dans leur propre filet, c'est Sealy, le défenseur barbadien, qui vient sauver sur la ligne adverse. La fin du match est délirante. Pour éviter les prolongations, la Grenade tente de marquer dans n'importe quelle cage. La Barbade, de son côté, se déploie pour préserver les deux buts. Après le match, le coach grenadien James Clarkson avouera : <<Nos joueurs étaient désorientés, ils ne savaient même pas dans quelle direction attaquer, le but de nos adversaires ou le nôtre. Je n'avais jamais vu ça. En football, on est censé marquer contre l'adversaire, pas pour lui!>>

Devant un public hilare, la blague se poursuit durant quatre minutes de temps additionnel. Enfin, l'arbitre siffle la fin du match en envoie les deux équipes en prolongations. La Barbade a réussi le premier volet de son plan diabolique. Reste à accomplir le second : marquer le fameux but en or qui compte double. C'est chose faite dès la 94ème par l'intermédiaire de Trevor Thorne, qui s'infiltre côté gauche et fusille le gardien grenadien d'un tir croisé dans la surface. Le match est aussitôt arrêté sur la marque officielle de 4-2 pour la Barbade. Les Bajan Rockets se sont qualifiés pour la phase finale de la Shell Caribbean Cup 1994. A la sortie des vestiaires, Clarkson y va de son commentaire acide : <<Je me sens trompé. Le gars qui a pondu cette règle devrait prendre la direction de l'asile de fous.>> Les dirigeants de la Concacaf encaissent. Et, l'année suivante, modifient leur règlement.


Jean Damien Lesay

Barbade - Grenade en vidéo

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