Les Stars du Rire

07/01/2009 01:25
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J'aime Patrick Sébastien


En période de Noël le retour à la maison s'impose : et donc, aussi, le moment de consommer du chocolat et de la télé. Ca avait plutôt bien commencé avec Manitas de Plata et les Gipsy Kings chez Sébastien (par contre les guerres du Moyen-Orient, je décroche toujours au premier millier de morts).
Le programme annonçait aussi une soirée Pierre Desproges, que je survol-relisais justement. L'émission portant quasiment le titre d'un de ses spectacles, ça laissait imaginer, bêtement, une rediffusion. Râpé ! (je ne me méfie plus assez, à force de sevrage !) Durant cinq minutes pénibles, j'ai entendu :

1) quelques bribes de spectacles, assemblées chronomètre en main, façon 'résumé de la journée' sur téléfoot ;

2) les commentaires d'un vague beauf / voisin / imprésario, qui aura su extraire de la masse de ses souvenirs la révélation capitale que Desproges aimait le vin. Ah ça, pour en arriver là, combien de dîners complices, de ces conversations dont nous ne saurons rien, où chacun rivalisait d'esprit ? L'amitié masculine est pudique tout de même.

3) une comédienne non moins vague, sans doute à peine née dans les années 80. Une fille ou une nièce peut-être. Pour celle-ci, le propre de Desproges était de « retourner notre logique : c'est-à-dire prendre une phrase ordinaire » elle réfléchit « comme 'les Arabes sont tous fainéants' et d'arriver à la fin, évidemment, à 'les Arabes ne sont pas fainéants ».... Ah ? J'ai beau chercher de mon côté, je ne souviens pas d'un Desproges rhéteur. Toutes les références qui me viennent témoignent plutôt d'un goût solide pour l'absurde, hérité par exemple d'un Vialatte, voire même carrément un refus du premier degré. Je ne pense pas qu'il ne se soit jamais abaissé explicitement à ce genre de 'morale sous–préfectorale', et cela, malgré l'attachement évident mais pudibond à l'éternel ordinaire (enfants Desproges, Mme. Hélène / Priscillia / Syphillos Desproges, le poissonnier, etc).

Bref, au trou la greluche, j'ai éteindu la télé.

Mais qu'est ce qu'on pouvait espérer, au fond, comme émission ? A part bien sûr, laisser faire l'artiste - comme Patrick Sébastien, comme chaque fois qu'il écoute son neurone valide, a eu l'intelligence de le faire avec Manitas. Etait-ce possible de parler d'un humoriste ? Il y a bien sûr une contradiction insurmontable entre l'universitaire chiant et un sujet drolatique.

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Au total d'ailleurs, je ne suis pas sûr que la philosophie ne s'y soit beaucoup aventuré, à part pour y voir, généralement, une forme de plaisir sensoriel, tantôt condamnable (Platon, l'Eglise), tantôt souhaitable (Rabelais, Voltaire). Pour d'autres, comme le désopilant Bergson, il s'agit quasiment d'un processus purement intellectuel, résultant d'un hiatus dans le déroulement ordinaire des choses. Par exemple, le coup de la peau de banane ! Notons d'abord qu'on devait bien se poiler à l'époque dans les turnes de l'ENS. Notons ensuite la pauvreté des références communes, à l'époque, le rire de masse type Fernand Reynaud / Bourvil n'apparaissant qu'avec le spectacle de masse.

Donc tout ceci est bel et bon, mais ça n'explique pas pourquoi Desproges, ou encore Coluche, les Inconnus,... sont particuliers. Il y a, certes, un talent d'acteur inouï chez certains, qui donne l'impression de pouvoir dire n'importe quoi en étant drôle – c'est d'ailleurs positivement ce que faisait Coluche défoncé. Ceux-là passait au cinéma, dans n'importe quel rôle, sans l'ombre d'une difficulté (Coluche dans Tchao Pantin, Didier Bourdon dans La Machine, Bourvil dans Les Grandes Gueules, etc). Mais ça ne suffit pas, les contre-exemples abondent et Desproges lui-même était tombé dans le one-man-show par accident. Destiné à être lu, il est d'ailleurs parfois à peine audible, pour son plus grand bonheur.

Plutôt que le boulot d'acteur, il y a de manière générale quelque chose qui relève du fond. Comment le définir...on peut avancer quelques éléments sur le style Desproges (goût pour l'absurde, donc...), mais de là à mesurer exactement ce qui va faire rire plus ou moins universellement, ou pas, il y a une marge considérable. Pour mieux comprendre, prenons un comique. Un beau comique. L'oeil doit être vif, le poil brillant. Par contraste avec Desproges qui est drôle, mais mort, on le préférera vivant : on appelle ça un Nouveau Comique.

Le concept du Nouvocomique


En effet, on peut définir le comique par contraste avec son hideuse caricature : le Nouveau Comique. On peut le délimiter par l'extérieur, en somme.

1) L' « industrie du spectacle » est, on n'y pense pas assez souvent, une sacré contradiction dans le terme.
Historiquement, l'artiste était confiné à un milieu, et le temps consacré aux loisirs n'était pas nécessairement payant. Au choix crève-la-dalle sublime, esclave de cour, empereur romain, aucun ne vivait strictement de ses pitreries. Par exemple, et on le devine difficilement en lisant les aventures de Fabrice Del Dongo, Stendhal était un rond-de-cuir, et même Lamartine mais un peu chiant.
Mais, au contraire de tous ses prédécesseurs artistes, le comique moderne est riche est n'a que ça à foutre. Dans une première vague, beaucoup avaient, pour se sauver, une saine indifférence pour l'argent : Coluche qui distribuaient son pognon jusqu'aux pauvres, Desproges qui ne savait pas compter jusqu'à 100 francs, les Inconnus entubés par leur imprésario, etc etc.
C'est là le drame! Le nouveau comique, expression consacré du réseau Rire & Chansons – Coup d'humour, est un parvenu. On se souviendra du mot immortel de Muriel Robin, venu vendre une compil douteuse après le bide de son précédent spectacle - où elle prétendait chanter, avec son filet de voix de canard asthmatique à faire dérailler l'émouvante cacophonie des Enfoirés - « On me paye pas pour venir ». Scandale, en effet !

2) Autre point considérable, le Nouveau Comique s'use rapidement:
De tous ces oubliables, il en sort des légions chaque année, du Jamel Comedy chose, de Rires & Chansons... Heureusement, il est sous garantie : on vous le remplacera sans difficulté avant même qu'on ait le temps de retenir son nom (Pascal Machin, Les Quatre Marrants, Zap Coincoin, ...). On retrouve la logique industriel : pour entretenir la demande, l'offre doit être la plus variée et renouvelée possible. Plus le temps de passer par la longue formation du cabaret, d'où la plupart sortaient dotés d'ailleurs d'une modestie polie par l'expérience de mille soirées à distraire les buveurs ordinaires (voir point précédent).

3) Enfin, rares sont ceux qui peuvent prétendre à l'unanimité du public:
Normal, c'est l'art subtil de la segmentation de marché. Je sais, Desproges n'est pas une référence en dessous de bac+N. Mais enfin, les choses étaient plus simples : il y avait le gros sel, et le sel fin. Dans la chanson : Brassens et Claude François, qui s'écoutaient l'un l'autre. Tout ça, avec en arrière-plan une population au niveau culturel homogène (certif), masse populaire éveillée au prestige de l'Art avec majuscule en apprenant nos grands auteurs maisons.

Pour résumer, le comique était un Artiste qui souffre et tout, c'est devenu un employé en CDD, avec espoir de promotion en CDI surpayé. Petite galerie des produits disponibles (parce que j'ai aussi maté Sabatier, « les Stars du Rire », sur France 2) :

Celui qui balance comme un fou

... ou Desproges de salon. Prototype, Stéphane Guillon. C'est souvent poussif : depuis le déclin de l'enseignement des humanités, les bourgeois vraiment cultivés deviennent rares. Pierre Bergé aime Christine Angot, par exemple ! La subversion reste donc inoffensive, sauf si l'on est petit, obèse ou trichrosomique, ou si on ne travaille pas à Canal +.
Pourtant, la prétention intellectuelle est inversement proportionnelle au talent, mais elle peut être habilement masquée en « sensibilité » (Guillon, pris au jeu de la critique). Rappelons que Desproges, malgré une petite plume, se définissait comme un « écriveur » - rappelons pour être complet que son roman Des Femmes qui tombent est réellement épouvantable. Cette même prétention peut aller loin, jusqu'à Dieudonné qui se prend pour la réincarnation de Voltaire – ah non pardon, il était nazi et esclavagiste.

Spécialisation possible : l'anticlérical qui balance. Alors là, 400 ans après le supplice de Giordano Bruno et 40 ans après mail 68, faut être vachement gonflé. A défaut, on pourra se concentrer sur les mollahs iraniens. Le danger à 10 000 bornes de Téhéran est également assez ténu, d'autant plus que c'est en phase avec l'islamophobie post-11 septembre de nos élites. Mais la teneur en humour est faible aussi (se renseigner auprès de Philippe Val). De façon générale, une allusion finaude au curés est toujours bien sentie chez tout comique soucieux d'assurer sa retraite.

Le communautaire

En parlant de Dieudonné...j'ai un souvenir à peine racontable d'un individu adipeux, de type maghrébo-pas de chez nous, qui imitait un gitan. D'où il ressortait vraisemblablement que le gitan est un abruti congénital qui vole des voitures et se nourrit de hérissons à peine cuits. C'était au Jamel Comedy Club et le public se pissait dessus... De façon générale, la moindre seconde de cet humour m'est insupportable, gluant de moralisme Canal et/ou feu d'artifices de clichés raciaux, et le tout au premier degré j'entends. En 2008, soit 20 ans au moins après la mort de Michel Leeb, Timsit propose ainsi toujours un sketch ou il explique que Dieu a fabriqué les Portugais avec un peu de poil (glissons sur ce quasi-plagiat de Foresti).

Spécialité possible: celui qui a un accent, du Midi notamment (Bosso, Titoff, Mado la Niçoise...) ou d'une campagne indéfinie mais a demie préhistorique (les Bodeins, les Deschiens,...). Je sais, Vanony fai(sai)t beaucoup rire à Geradmer, et Roger Siffert à Strasbourg. Mais est-ce qu'on fait chier la terre entière avec notre accent, Gott verdammi ?

La femme

Alors bon. Je sais qu'on est entre nous. Je me suis souvent demandé dans quelle mesure les déterminismes biologiques (qui existent, n'en déplaise à la glaçante Simone « On ne naît pas femme on le devient » de Beauvoir), je me suis souvent demandé si ces déterminismes conditionnaient l'aptitude à l'humour. Disons que, peut-être, une vie sacrifiée à une carrière artistique totalement imprévisible, consacrée à sa gloire, n'est pas forcément compatible avec la reproduction féminine. La femme, elle, calcule la survie pour plusieurs. A contrario, prendre le risque du bide serait phallique, ou comme le dit Cavanna, l'humour est macho... Les plus méchants diraient que, l'humour devenant un emploi comme un autre, avec salaire et figures convenues, il n'est plus étonnant que des femmes s'y aventurent et qu'il ne s'y passe plus rien. Mais là, c'est méchant. Et puis, il y a Foresti, enfin il y en a quoi.

Mais d'où, peut-être, la forme la plus prévisible de l'humour féminin : la quarantaine, pas trop belle mais pas mal quand même, maman, et avec des soucis hormonaux considérables. Le petit plus qui fait 'humoriste': user d'une vulgarité incongrue chez les femmes normales comme votre mère. Les maîtresses du genre : Roumanoff (alors que sa récente incursion dans la politique - fait rarissime avec son profil ! – a été visionnée des milliards de fois sous Daily) , Karine Lyachenko, la fille Bernier, ... jusqu'à cette terrifiante Elisabeth Buffet... Si vous avez raté Sabatier :

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Signalons que le coup du camp nudiste était déjà ringard au siècle d'Ouvrard, et que nombre de « gags » sont exactement identiques à ceux d'un sketch de Dubosq.

Celui qui fait de la politique

Y en a encore ? Je veux dire, vivant, pas comme Jolivet ou Bedos ? Ou alors, au moins demi-jeune mais intelligent, pas comme Dieudo ? Même problème que Siné Hebdo : la politique, la vraie, cible par excellence de la subversion et donc de l'humour, a été complètement abandonnée. Ceux qui restent sont les brontosaures d'une génération effectivement arrivée aux postes éminents, avec son imaginaire et ses (contres-)valeurs, intéressés à y rester, et promoteurs plus ou moins conscients de l'inanité de la rébellion dans le cadre libéral. En gros, on a déjà tout dit les jeunes, c'est fini, vous êtes libres, circulez. On peut y trouver, selon la conversation à alimenter, la cause ou la conséquence de la CDD-ïsation du comique.

Spécialisation possible: celui qu'aime pas les Nazis. Encore une fois, la probabilité de perdre un procès contre Adolf Hitler étant proche de zéro, n'hésitez pas. J'ai un faible pour Guy Birenbaum, (ex- ?)intervenant de Rire et Chansons, du Grand Journal, et ex-maître de conf' à Montpellier... Voir encore Philippe Val, le Maître. Il y a fondamentalement quelque chose de fascinant dans cette propension à traquer la saloperie humaine, tout en jouant les petits saints immaculés. Avec, donc, une absence totale de sensibilité, ou d'intérêt, pour la bonté ordinaire. Notons que c'était le créneau de Dieudonné, à la base... Globalement, je ne me fierais pas trop à la générosité de ces gars-là, coincé sur une île déserte avec une brosse à dents pour deux.

Celui qui parle de cul

Y-a-t-il un thème moins difficile ? Non ? Alors n'en parlons pas.



La banalisation du spectacle d'humoriste a des effets parallèles sur le public et les artistes, qui ne respectent plus tant, ni eux-mêmes, ni mutuellement. D'une part, on voit Gad Elmaleh se faire virer sans ménagement à Saint-Raphaël, pour cause de retard: normal, pour un truc aussi ordinaire qu'un spectacle, probablement en partie connu à l'avance, et pas toujours à se pisser dessus. D'autre part, les comiques, en donnant massivement dans la surenchère de connerie, par lassitude, pour manger, par manque de talent,... méprisent très certainement leur public. Alors que la chanson garde un certain vernis chic et 'culture' (songeons à la dodue Cindy Sander, qui se fait virer car "elle n'a pas les codes", selon Isabelle Alonzo : c'est à dire inconsciemment, elle fait trop peuple...), le comique lui se fait un honneur de flatter ce qu'il y a de plus con dans son public. Alors que le haut de la pyramide de la profession, est depuis plusieurs décennies contigu avec la haute bourgeoisie, et pas seulement matériellement (Bourvil ou Reynaud étaient déjà riches).

Bon ben, au bilan, les gens comme il faut comme moi, y se font chier. Les plans sur le public, chez Sabatier, étaient éloquents... Dans n'importe minute d'un spectacle de Coluche, les gens suffoquent, se plient en deux: là des plans serrées sur une poignée de clampins avec en fond d'autres qui regardent le plafond ou font la gueule - par dessus des rires enregistrés, ou en tout cas brefs. On a même eu droit plusieurs fois à la même image d'une demie-belle qui souriait, pour coller avec les rires enregistrés. Avec ça, les bides discrets que connaissent nos titans de l'humour une fois épuisés leurs quelques idées (Bigard, Palmade, Robin,...), la reconversion tous azimuts quand se pointe une fin de carrière ultra-rapide (chanson, ciné,... ). Et surtout, des wagons de nullards qui ne percent jamais: à ce titre, l'industrie de la chanson a en fait quelques années de retard, avec sa Star Academy.

Ce n'est certes pas la fin de l'humour, comportement qui relève des tréfonds de la socialité chez les primates. Mais un public payant qui surconsomme alors que, sauf accident, l'offre est calibrée médiocre, c'est nouveau... Et puis, bordel, moi je me fais chier !

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