Les carnets du Major W. Marmaduke Thompson

31/07/2008 02:03
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L'exercice de Pierre Daninos est bien connu, décrire la Grande Bretagne et la France en faisant parler un personnage britannique de fiction, le célèbre major Thompson. Il est vrai que, de par les liens robustes qu'ont noué les deux pays lors de la rouste légendaire d'Hastings en 1066, leurs visions mutuelles ont de bonnes chances d'être justes. Et puis tout de même, n'oublions pas que les rosbifs ont donné au monde Chris Waddle et George Orwell.
En tapant le nom de ce dernier au hasard, on tombe sur un autre anglais au patronyme tout aussi romanesque que Marmaduke Thompson : un certain Theodore Dalrymple. Évidemment, ma boussole infaillible et une recherche sous wikipedia me révèlent aussitôt un conservateur, un personnage "de droite" (voire Jean Claude Michéa pour débattre de ces catégories). En fait, Dalrymple partage peut-être avec Orwell, auto-proclamé "anarchiste conservateur", ce conservatisme nourri par un lien charnel - quoique fantasmé - avec les vieilles classes laborieuses anglaises.

Il nous parle ici de la France, et plus particulièrement de son rapport à l'immigration - pour ne rien changer à mes marottes coupables et stubloguesques.
Même compte tenu de son droitisme hautement suspect - si c'est celui d'Orwell, c'est, disons, une vision par trop angélique de la morale de ses semblables, et donc de leur inclination au racisme - malgré cela donc, beaucoup d'éléments de de ce texte pourraient sans doute être trouvés dans une revue d'histoire quelconque. Ou encore sous la plume d'un universitaire et compagnon du centre-gauche comme Emmanuel Todd, qui distingue lui aussi la France de la Grande -Bretagne par son projet national égalitaire. .

Moi j'aime bien, et ça me passe ce café de trop.




"...Vivant dans deux pays, la France et la Grande-Bretagne, j'ai trouvé intéressant de comparer la façon dont chacun a accueilli [les immigrants].

Grande-Bretagne et France : une comparaison


La France a peut-être la tâche la plus facile, parce que c'est un État idéologique, ou au moins philosophique, tandis que la Grande-Bretagne est un État organique. L'Etat français, contrairement à l'ancien pays qu'il gouverne, est une État nouveau, un État qui est né de nouveau. Il a un mythe fondateur, celui de la Révolution française, qui a inauguré l'ère de la liberté, de l'égalité et de la fraternité.

Il importe peu de savoir si la France a jamais atteint l'un de ces desiderata dans la pratique (quel idéal politique a jamais été atteint, au moins sans équivoque ?), ou que la prise de la Bastille a été en réalité plus sordide que glorieuse. Les termes « égalité républicaine » et « élitisme républicain » (le 2e étant l'atteinte d'un statut par le biais de l'effort et du talent, un prolongement du 1er), signifient quelque chose dans les faits, et ils exercent une attraction magnétique sur presque chaque esprit avec lequel ils entrent en contact.

Et l'exaltation de ce mythe, qui suppose que Liberté, Egalité et Fraternité sont le droit de naissance de chaque homme et que la France est un phare dont la lumière de la raison éclaire le monde, signifie que (en théorie) toute personne qui fait de la France sa patrie devient un Français tout court - pas un Arménien-Français ou un Malien-Français, mais seulement un Français.

Ce mythe a en fait guidé la politique culturelle française. Que la France, à la suite de la Révolution, ait longtemps été un Etat laïc de droit, plutôt que simplement de facto comme l'est la Grande-Bretagne (où la tolérance religieuse est issue de la coutume et non de la loi), lui a permis d'interdire le foulard islamique dans les écoles publiques sans encourir l'opprobre des bigots antimusulmans. L'interdiction est simplement en accord avec la philosophie fondatrice laïque de l'État. Un multiculturalisme qui, en fait, n'est pas compatible avec le mythe fondateur des Lumières. L'objectif est l'assimilation et non l'intégration. Tout le monde apprend la même histoire en France, et « nos ancêtres les gaulois » en viennent à exprimer non pas une vérité biologique mais une vérité culturelle facile à comprendre.


Absence de mythe fondateur en Grande-Bretagne

La situation de la Grande-Bretagne est très différente. Ce n'est pas un État idéologique. Il n'a pas de mythe fondateur auquel on peut facilement s'identifier. La Bataille de Hastings est trop ancienne et éloignée psychologiquement pour avoir une résonance aujourd'hui. La Révolution Glorieuse de 1688 a été une affaire trop tempérée, pas franchement sanglante ou assez héroïque. En ce qui concerne la guerre civile anglaise, son sens moral est trop équivoque. Comme WC Sellars et RJ Yeatman l'ont écrit dans 1066 and All That, les Roundheads avaient raison mais ils étaient répugnants, tandis que les Cavaliers avaient tort mais ils étaient romantiques.

L'Etat français a commencé avec un big-bang philosophique. L'État britannique a évolué. L'Etat français prescrivait, l'État britannique n'interdisait pas. Les traditions de l'État britannique étaient donc beaucoup plus favorables au multiculturalisme, ayant toujours permis aux gens de former des associations pour leurs propres fins librement choisies. Ce manque de direction centrale a bien servi la société alors que les différences entre les groupes étaient relativement mineures et que le nombre d'immigrants était réduit. À partir du moment où il y a eu tellement de groupes différents qui n'ont rien en commun - chacun avec un nombre suffisant pour former un ghetto - et pire encore, certains d'entre eux étant activement hostiles à l'ordre prédominant de la société britannique – l'approche du laissez-faire était alors destinée à rencontrer des difficultés. Il est difficile de s'opposer à une idéologie par une tradition.

Même en l'absence de doctrinalisme multiculturel, il n'aurait pas été facile d'expliquer les avantages et les fondements philosophiques de l'État Burkean non idéologique aux paysans nouvellement arrivés, disons, du Pendjab pakistanais et du Bangladesh. Les avantages et les fondements sont comme les règles du cricket : on peut les apprendre avec application et dévouement, mais il est beaucoup plus facile de les assumer comme partie de votre cadre mental et de votre patrimoine culturel, d'être né dedans. Que pourriez-vous donner à lire aux immigrants pour leur expliquer la tradition politique britannique ? Les Réflexions sur la Révolution en France, peut-être, ou Rationalism in Politics, de Michael Oakeshott ? Liberté, Egalité et Fraternité est un slogan, et c'est beaucoup plus facile à enseigner et à apprendre.


L'industrie de l'antiracisme


Ce qui aggrave la situation en Grande-Bretagne, c'est que le multiculturalisme est devenu une opportunité de carrière et une source de clientélisme politique. Des soi-disant experts sur la sensibilité culturelle et l'égalité des chances - en général des personnes dont les ambitions dépassent de loin leur talent, sauf dans les intrigues bureaucratiques – se bâtissent de petits empires dont l'existence dépend de la permanence de la discrimination raciale et d'autres divisions dans la société.

L'hôpital où j'ai déjà travaillé a envoyé récemment un questionnaire à son personnel, leur demandant de fournir les renseignements sur leur race (17 catégories), leur orientation sexuelle (6 catégories), leur statut matrimonial (6 catégories), et leur religion (7 catégories), de sorte que la discrimination basée sur l'une quelconque des 4284 catégories possibles en résultant puisse être éliminée. Il est clair qu'il n'y aura jamais de fin au travail des bureaucrates de l'égalité des chances.

Il n'est peut-être pas si surprenant, alors, que les immigrants musulmans français soient mieux intégrés culturellement que les britanniques. Une recherche du Pew Center montre que six fois plus de musulmans en France qu'en Grande-Bretagne considèrent leur identité nationale plus importante que leur identité religieuse (42% contre 7%). (Cette différence pourrait ne pas résulter uniquement de la politique culturelle, car les musulmans d'Afrique du Nord, d'où arrivent la plupart des immigrés musulmans français, sont beaucoup plus enclins à croire que l'islam est compatible avec la citoyenneté occidentale).

Les musulmans en France se distinguent beaucoup moins du reste de la population par leur façon de s'habiller que c'est le cas pour leurs homologues en Grande-Bretagne. Dans les zones musulmanes en France, vous pouvez remarquer quelque chose de différent chez les personnes, mais vous ne pensez pas, comme on le fait de plus en plus en Grande-Bretagne, que la population de la Frontière Nord-Ouest (Pakistan) a émigré massivement. Et cette plus grande assimilation culturelle se vérifie en dépit du fait que les zones musulmanes en France, contrairement à celles de Grande-Bretagne, sont aussi physiquement séparées de plusieurs villes et cités que l'étaient les quartiers noirs dans les villes blanches de l'Afrique du Sud.


Contexte proprice à l'entreprenariat


Il y a une autre différence majeure entre les secteurs musulmans de France et de Grande-Bretagne, cette fois cependant à l'avantage de la Grande-Bretagne. La relative facilité de démarrage d'une entreprise en Grande-Bretagne par comparaison avec la France fortement réglementée signifie que les petites entreprises dominent les quartiers musulmans de Grande-Bretagne, alors que tel n'est pas le cas dans les banlieues de France - à moins de compter le trafic de drogues comme une entreprise. (C'est l'une des raisons pour lesquelles Londres est désormais la septième plus grande ville francophone au monde. De nombreux jeunes Français ambitieux, musulmans inclus, s'y installent pour fonder des entreprises). Et comme bon nombre des entreprises dans les zones musulmanes de Grande-Bretagne sont des restaurants préférés par des clients non-musulmans, l'isolement des musulmans de la population générale n'est pas aussi grand qu'en France.


L'idéologie, et non la marginalisation, explique le terrorisme


Toutefois, l'augmentation des contacts entre les personnes n'amène pas nécessairement une augmentation de la sympathie mutuelle. Une grande partie des musulmans terroristes arrêtés en Grande-Bretagne sont des enfants d'hommes d'affaires ayant de petites entreprises prospères, qui ont été à l'université et dont les perspectives d'avenir auraient été bonnes s'ils avaient choisi de suivre une carrière normale. La dislocation culturelle, la volonté de propager une idéologie de haine qui semble répondre à leurs besoins personnels d'une identité définie qui met fin à la confusion culturelle, et un revenu - c'est cela, et non la pauvreté – qui explique le terrorisme.

En France, les enfants des immigrants musulmans ne sont pas aussi éloignés de la culture dominante que ceux de Grande-Bretagne. Mais la rigidité du marché du travail en France se traduit par un chômage de longue durée qui les rend amers. En Grande-Bretagne, en revanche, la relative réussite économique n'a pas conduit à l'intégration culturelle. Vous avez donc des émeutes en France et du terrorisme en Grande-Bretagne.

La solution


La solution (pour laquelle il pourrait maintenant être trop tard, malgré les génuflexions consécutives aux attentats de Londres de la part de l'ancien Premier Ministre Tony Blair, puis du chancelier de l'Échiquier Gordon Brown, devant les valeurs nationales qu'ils avaient précédemment tout fait pour saper) serait une combinaison de robustesse culturelle à la française et de la flexibilité économique britannique : en fait, quelque chose comme l'idéal américain du melting pot reposait (et, dans une certaine mesure, repose encore) sur une idée claire de ce que signifie être Américain, combinée avec l'ouverture économique.

La notion britannique que des opportunités économiques sans une culture commune se traduira par une société en plein essor n'est que sifflement du vent, tandis que l'idée française qu'il suffit d'enseigner Liberté, Egalité et Fraternité tout en faisant obstacle aux possibilités réelles de promotion économique, c'est chercher des problèmes.

Conscient des sondages sur l'immigration, le gouvernement travailliste Brown vient de prendre des mesures timides mais raisonnables, mettant les aspirants citoyens britanniques en « probation » pour montrer qu'ils peuvent parler l'anglais, payer des impôts, et éviter la prison avant de leur accorder la citoyenneté. La Grande-Bretagne et la France, cependant, n'ont jamais été très bonnes à apprendre l'une de l'autre. La Manche pourrait aussi bien être un océan."

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