Our body

22/04/2009 21:55
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Ces derniers jours, une micro-polémique agite les sphères de la Culture et de la Snobisme.

Il s'agit d'une exposition sur le corps - "Our Body" donc -, basée sur la mise en scène de veritables cadavres humains disséqués et embaumés:

http://images.telerama.fr/medias/2009/04/media_42070/l-expo-our-b...



Bien ou mal ?


Enième question morale autour de la mort, qui nous laisse, nous et nos contemporains, comme une poule devant un peigne. Certains avancent qu'un pays laïque ne doit pas s'embarasser de préoccupations religieuses sur le statut du corps. Comme pour Desproges, un sac poubelle bleu devrait faire l'affaire. Pour d'autre, c'est une limite (énième aussi) qui est franchie.

Il y a quelques temps, j'avais visité, à l'Ecole vétérinaire de Maison-Alfort, l'exposition d'"Ecorchés" de Fragonard. Le peintre ? Non, le vétérinaire.

http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/files/tmp66.jpg

Les procédés sont comparables: colorations fantaisistes, postures grotesques, voire quelques touches d'humour carabin (un pénis embaumé en position (très) vitale). En fait d'autorisations, les élèves vétos allaient se servir la nuit dans les fosses communes de Paris, par goût du défi... quelle a été la position de l'époque, l'église n'étant pas tout toujours été ce qu'elle est ? Vraisemblablement, de la tolérance. Fragonard et son club de disséqueurs ont distribué des centaines d'"Ecorchés" dans toute la France.

De façon amusante, on tente de détourner cette question morale, qui touche de près aux représentations religieuses, en évoquant de près ou de loin notre copine la Loi, et derrière, la notion d'intérêt individuel;

(1) le statut légal actuel du cadavre.

(2) le fait qu'il s'agisse peut-être d'anciens condamnés à mort chinois. C'est aussi un repli sur ce qui nous sert de substitut à la religion, la loi donc, elle qui régit la cohabitation des vivants et doit limiter leur souffrance. Le condamné à mort chinois, c'est le cauchemar absolu. Oui, mais pour une exposition de corps? Ce sont des morts comme d'autres, il ne souffrent plus! Mais il paraît que ce marché pourrait stimuler le rythme des exécutions en Chine! Comment une exposition de 30 empaillés pourrait stimuler la machine de mort d'un pays d'1,5 milliard d'âmes, qui en zigouille 8000 bon an mal an ?

(3) le manque d'intérêt pédagogique. Je m'étais demandé, dans le musée Fragonard, s'il y avait un intérêt scientifique quelconque à ce travail. La présentation de l'anatomie est médiocre - la dissection ne consiste pas toujours à laisser les organes en place, au contraire. Le procédé est passablement destructif. De plus, les couleurs ont disparues, les proportions sont altérées par l'embaumement. Une génération de médecins capables de prouesses inouïes, comme la dissection d'une moëlle épinière humaine complète, avait-elle besoin en plus de ces conneries desséchées ? Certainement non. Globalement donc, l'intérêt pédagogique, que se soit pour l'expo "Our body" ou pour Fragonard, est faible; seuls des étudiants en médecine ont besoin de ce genre de connaissances, peuvent comprendre ce qu'ils voient, et rien ne remplacera jamais pour eux l'expérience du "matériel frais" (la dissection).

Tout ceci est bel et bon, mais on ne sait toujours pas si c'est bien ou mal.

Beau ou laid ?


On l'oublie, mais il s'agit d'une exposition sensé être artistique. D'ailleurs, comme me le disait le guide à propos de Fragonard: "Ca sert à rien; c'est de l'Art".

On pourrait y voir la patte du modernisme: son travail a consisté a affadir et dénigrer les valeurs transcendantes, le bien donc (base de la morale chrétienne), mais aussi le beau, puisque l'art qui rompt avec le classicisme n'est plus seulement beau, parfois n'est plus beau du tout. Il ne se pose plus la question, dit on. Dans ces conditions, des Chinois empaillés peuvent bien faire office d'oeuvre d'Art. L'Art, qui était justifié par le Beau, sert d'ailleurs de refuge quand notre amoralisme moderne nous saute à la gueule; des photos de cadavres irakiens, c'est de l'Art; la jeunesse de Catherine Ringer, c'est une Performance, etc...

Oui, et Fragonard? Il y a peu de chances qu'il ait eu, lui, les ambitions artistiques que lui prêtait mon guide. J'essayais d'imaginer, en voyant les Ecorchés, les nuits blanches passées sur le cadavre frais, à se relayer avec les copains pour préparer organe, posture, embaumement, en luttant avec le temps et le pourrissement. Sans oublier de glisser un bout de bois dans la bite pour rigoler. Ca, de l'Art? Plus certainement, des soirées d'étudiants - brillants - à l'ancienne.

Alors? Je suis doute.

http://www.bodyworlds.com/download/pressimages/previews/115265300...

Commentaires (2)

Flux RSS 2 messages · Premier message par soo · Dernier message par zottel

  • Expo vue à Lyon en juin dernier. Si je n'ai pas été fan de la partie cerveau, je dois avouer que le reste m'a énormément intéressée, d'autant plus que j'ai eu la chance d'avoir à côté de moi un étudiant en médecine qui expliquait pleins de choses. Bref une vraie découverte ! :)
    Après, pour le côté éthique, beaucoup tiquent sur le fait que c'est une expo chinoise et qu'on ignore d'où viennent les corps, même si les organisateurs assurent que ce sont des personnes ayant donné leur consentement avant leur mort... Une question dont on n'aura pas la réponse, mais qui n'a pas empêché cette expo d'avoir un grand succès partout où elle est passée.
  • C'est possible, pour l'intérêt pédagogique. L'histoire du consentement, c'est aussi de rattacher le problème aux souci du vivant. En fait, la question morale de fond c'est le rapport aux morts et aux ancêtres: il n'y a que les représentations religieuses qui justifie d'honorer les morts. Au contraire, l'intérêt des vivants c'est... de vivre leur vie.

    Comme la question est de plus en plus occultée, dissimulée par la jeunesse éternelle des vivants, on s'aperçoit à l'occasion d'une expo que des cadavres peuvent être désormais être traité comme des objets sans que beaucoup de gens ne s'en émeuvent, preuve du recul du religieux. Il y a quand même deux-trois associations pour s'en émouvoir. Evidemment, comme les concepts religieux relèvent du privé, il faut fouiller la loi - neutre moralement - pour justifier que c'est pas bien. D'où l'histoire du consentement, de la souffrance qu'on vécu ces possibles condamnés etc. Mais encore une fois, ça n'est pas tout le problème, c'est la chosification du cadavre qui fait peur. Un médecin ou un scientifique savent s'abstraire de ces considérations, le commun des gens, normalement (ou historiquement), non.

    Je vais être brutal: qu'est ce que tu penserais d'une exposition d'enfants morts avant terme (des "fausse couches") ? On en trouve des livres entiers sur les étagères des étudiants de première année de médecine. C'est aussi éminement pédagogique, pour quelqu'un qui travaille sur le développement et ses pathologies. Et pourtant... pas sûr que ça, ça ne choque pas davantage (tu vois, le féminisme a déjà gagné).

    On remarquera que Fragonard a fait la même chose au siècle des Lumières, quand on raisonnait sur le christiannisme et qu'on sculptait Voltaire nu. Mais c'était restreint aux cercles médicaux.

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