February 2010


Now, that's what I call a dead parrot !

09/02/2010 02:29
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Je copie-colle un bouquin écrit par un Anglais, Perry Anderson - et c'est là qu'on s'aperçoit combien ce pays, comme sa langue, est peuplé d'hideux faux-amis - bouquin auquel me font parfois penser, en vrac :

- les arabesques rhétoriques de Furlan ;

- le "débat" sur l'identité nationale, globalement tenu pour "nauséabond", dans la mesure où il possible de débattre entre diplômés ès-show business aux muqueuses nasales irritées (exemple parmi mille, l'appel de Pierre Arditi, Josiane Balasko et Jane Birkin) ;

- la dernière boulette de BHL, qui a cité dans son dernier bouquin l'oeuvre d'un philosophe, Botul, qui est en fait un canular du journaliste Frédéric Pagès. Plus drôle, peu de gens s'en sont aperçu, soit pour avoir négligé de lire le livre de BHL soit pour être incapable de repérer cette référence "trop belle pour être vraie". Perry Anderson, qui parlait de Lévy dans l'extrait ci-dessous, fait partie de l'arsenal habituel du Monde Diplo ; sans surprise, son nom a resservi dans l'article du Diplo qui a salué la sortie du bouquin douteux de BHL. Par contre, dans le Diplo, pas de commentaire narquois sur Botul. Il est stupéfiant que mêmes des critiques aussi acharnés et prestigieux n'aient pas eux-mêmes levé le lièvre ; est-ce qu'eux non plus ne prennent pas/plus la peine de lire leur cher ennemi ? Mieux encore, il n'y a eu aucune réaction durant ses conférences botuliennes à Normal Sup.



S'il y avait un pays, à cette époque [i.e. l'après guerre], auquel ne s'appliquait pas la notion de déclin, c'était bien la France. Dotée d'une économie vigoureuse, d'un État exceptionnellement fort, d'une politique extérieure intrépide, elle n'avait jamais fait preuve d'autant de dynamisme depuis la Belle Epoque.

Le rayonnement du pays était aussi culturel. La création de la Vème République coïncida avec un épanouissement d'énergies intellectuelles qui mit la France à part pendant quarante ans. Rétrospectivement, le nombre des oeuvres et des idées qui ont connu un retentissement mondial est saisissant. On pourrait soutenir qu'on avait rien vu de tel depuis un siècle. Traditionnellement, la littérature a toujours occupé le sommet du Parnasse culturel français. Juste en dessous se trouve, dans son nimbe, la philosophie, les deux voisinant depuis l'époque de Voltaire et Rousseau jusqu'à celle de Proust et Bergson. A l'échelon suivant, se tiennent les "sciences humaines", l'histoire en tête, la géographie et l'ethnologie la serrant de près, l'économie d'un peu plus loin.

Sous la Vème République, cette hiérarchie traditionnelle subit de notables changements. Sartre refusa le prix Nobel de littérature en 1964 ; après lui, aucun autre écrivain français n'atteignit jamais le même degré d'influence dans son pays ou à l'étranger. Le Nouveau Roman resta un épiphénomène plus circonscrit, loin de faire l'unanimité en France et encore moins à l'étranger. Les lettres, au sens classique du terme, perdirent leur suprématie dans la culture en général. A leur place, on célébra, devant l'autel de la littérature, un mariage exotique entre pensée sociale et philosophie. Ce sont les fruits de cette union qui donnèrent à la décennie durant laquelle De Gaulle fut au pouvoir son intensité et son éclat particuliers. Ce fut pendant ces années-là que Lévi-Strauss devint le plus célère anthropologue du monde ; que Braudel fut consacré comme l'historien le plus influent ; que Barthès acquit le statut de critique littéraire le plus original ; que Lacan commença à établir sa réputation de mage de la psychanalyse ; que Derrida devint le philosophe antinomique de son temps ; que Bourdieu développa les concepts qui allaient faire de lui le sociologue le plus connu. Ce concentré d'idées est étonnant.
[...]
Il ne semble du coup pas tellement surprenant que, l'année suivante [en 1968], une fièvre révolutionnaire se soit emparée de la société elle-même.


[Si] la littérature a perdu sa position dominante dans la culture française, la conséquence ne fut pas tant son bannissement que son déplacement. Pour qui compare les ouvrages majeurs de sciences humaines et de philosophie publiés pendant cette période, leur caractère frappant est la tendance qu'ils ont eue à se présenter de plus en plus à la façon d'exercices de style d'une grande virtuosité, utilisant bien davantage les ressources et licences des formes littéraires que celle de la prose universitaire.
[...]
Pour comprendre ce phénomène, il faut avoir présent à l'esprit le rôle formateur que joua la rhétorique, via la dissertation, aux niveaux supérieurs du système éducatif français par lesquels ces penseurs - pratiquement tous khagneux ou normaliens - sont passés.
[...]
C'est cette caractéristique de la culture française d'alors qui, à l'étranger, a si souvent polarisé des réactions balançant entre adulation et méfiance. La rhétorique est conçue pour envoûter, et un culte s'établit facilement chez ceux qui y succombent.


Tout cela, aujourd'hui, c'est du passé. Le sentiment est général que la Vème République, alors qu'elle approche le demi-siècle, offre un paysage déchu.
[...]
On pourrait faire observer que la pression économique et la corrosion politique laissent intactes les valeurs essentielles de la France, telles qu'elle-même et le reste du monde les conçoivent. Aucune nation, après tout, n'a aussi ouvertement fondé son identité sur sa culture, la notion étant aussi comprise au sens le plus large. Mais ici encore, autant et sinon plus qu'en ce qui concerne l'économie et la politique, le tableau pris dans son ensemble est consternant : pour beaucoup, il s'agit même d'une véritable "dégringolade".
[On] a le sentiment que le "toc", l'abêtissement, ainsi que la confusion des choses intellectuelles avec une politique et un argent corrupteur envahissent tout.
[...]
Le monde des idées va à peine mieux.
[...]
Mais si l'on continue à produire ça et là des oeuvres d'une qualité incontestable, l'état général de la vie intellectuel est suggéré par l'importance étrange accordée à Bernard-Henri Lévy, de loin le "penseur" de moins de soixante-dix ans le plus connu du pays. Il serait difficile d'imaginer une inversion plus radicales des normes nationales en matière de goût et d'intelligence que l'attention accordée par la sphère publique en France à ce grand nigaud, en dépit des preuves innombrables de son incapacité à saisir correctement un fait ou une idée. Une telle caricature pourrait-elle exister dans une autre grande culture occidentale aujourd'hui ?

Perry Anderson, La pensée tiède, 2005
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