Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Presse

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Flux RSS 23 messages · 2.089 lectures · Premier message par kibitz · Dernier message par jpdarky

  • Je me permets de créer un topic sur des articles parus qui peuvent nous interpeller.

    Je reviens sur l'affaire des journalistes français et l'intervention des hauts dignitaires musulmans français (pour moi à double tranchant) pour citer cet article tiré des DNA de ce matin, qui se démarque un peu de l'enthousiasme médiatique aperçu à la télé française ces derniers jours, même s'il ne fait qu'aborder la question du malaise lié au rôle joué par les organisations musulmanes françaises (chapeau et fin) :

    "Temps de chien pour l'islam

    Des démocrates qui discutent avec des extrémistes musulmans, c'est comme des gastronomes qui conversent avec des anthropophages. Quand les uns vantent les nuances et les saveurs d'un plat, les autres n'ont qu'une pensée : déguster non pas le plat mais les gastronomes.



    Hormis qu'elle soit d'une imbécillité insondable, l'affaire des journalistes français, otages d'une bande de crétins, n'a en soi, hélas, rien d'exceptionnel. Nous en avons vécu et nous vivrons encore ces configurations. Même Bush, l'autre buté, vient de le reconnaître en avouant qu'il sera difficile d'éradiquer le terrorisme par les armes sans éliminer les causes qui le font prospérer.


    L'assassinat de l'idée
    même de paix


    L'inédit et l'outrageant en revanche, c'est la revendication que cette action porte. Sous réserve de vérification, c'est la première fois qu'une prise d'otage cherche non pas à faire plier la politique étrangère d'un pays souverain, mais d'influer sur sa politique intérieure.
    Plus affligeant encore. Voilà des gens notoirement butés. Qui ne supporteraient pas la moindre chicane sur leurs convictions ! Qui ne changeraient pas la moindre virgule dans leurs croyances ! Qui sont rétifs et récalcitrants à toute évolution ! Qui condescendraient à nous faire vivre au siècle de Yunès (Jonas) ou celui de Youssef (Joseph) ! Et ce sont ces goujats-là qui demandent à une vieille nation, démocratique et républicaine, de modifier une loi votée par sa représentation nationale. Qui plus est, une loi adoptée après un grand débat houleux, entre partisans et adversaires de toutes obédiences religieuses, mais néanmoins exemplaire.
    C'est dire qu'il n'y a plus de lignes indépassables. Les lignes rouges ? Gommées. Les lignes jaunes ? Dégagées. Reste le vert, couleur accablée devenue, en ce début de siècle, captive d'une sinuosité dévastatrice.


    Ni foi ni loi


    Ces malfrats réussissent de plus en plus l'exploit de claquemurer l'islam dans une forme de pensée criminogène. Ces haines cagoulées qui triomphent le temps d'une émotion. Ces égorgeurs sans visages qui excellent dans la mise à mort. Ils ne font pas que décapiter un Daniel Pearl, un Enzo Baldoni ou les Népalais anonymes. Ils n'accomplissent pas uniquement, comme les poseurs de bombes, leurs cousins, le saccage de la famille madrilène ou la dévastation du foyer casablancais. Ils sont en passe de réussir l'assassinat de l'idée même de paix et de tolérance que portent les syllabes de l'islam. Loin des mafieux avec règles et logiques, ils n'ont ni foi ni loi. Usant et abusant de l'impuissance du corps et de sa vulnérabilité pour faire chanter la puissance des nations, comment voulez-vous qu'ils ne méprisent pas les fragiles codes de la diplomatie ? Qu'ils ne brisent pas les réglettes délicates du droit international ? Qu'ils ne soient pas atteints d'une myopie sévère qui confond l'écart, pourtant énorme, entre amis et ennemis ?

    Deux remarques :
    Si d'un côté, dans cette circonstance inédite, le monde musulman s'insurge presque unanimement, c'est que, au-delà de la place particulière de la France, il a un peu honte, ce monde musulman. « La honte, affirmait Marx, est un sentiment révolutionnaire ». Cette honte nous devient nécessaire. Vitale. Sans quoi, ces truands incultes extermineraient le peu qui reste de notre humanitude.
    De l'autre côté, la promptitude de la réaction des représentants de l'islam en France, pour fulgurante qu'elle soit, n'en est pas moins révélatrice. Au-delà de la peur des réactions à venir, elle participe d'une forme de culpabilité. Ils étaient les premiers à agiter le chiffon (le voile) rouge sans penser que ce bruit-là pouvait troubler le sommeil de la bête immonde."

    (DNA, lundi 6 septembre, "point de vue")
  • Je me permets d'attirer votre attention sur cet article paru dans Le Monde daté d'aujourd'hui, article qui remet certaines choses au point concernant le mythe de Che Guevara. Je l'ai trouvé particulièrement intéressant parce que beaucoup de gens (et de jeunes, et d'ultras... :-' ) vouent un véritable culte au Che, culte qui est peut-être exagéré à en croire cet article.




    Le guévarisme n'est pas un humanisme
    LE MONDE | 30.09.04
    Le messianisme a la vie dure. Malgré l'échec des révolutions et les ravages des nationalismes tout au long du XXe siècle, l'illusion persiste sous forme de mythologies qui semblent survivre à tous les aléas. Personnalité en incessante évolution, Ernesto Che Guevara (1928-1967) reste un mythe inoxydable, inséparable d'une aspiration récurrente à la rédemption ou à l'utopie.

    Loin de réduire sa portée, les revers répétés de Guevara sur tous les terrains où il a exercé son action alimentent le culte romantique et christique du sacrifice. Faute de pouvoir défendre ses idées, pas plus que ses faits et gestes, la transmission de l'héritage est désormais véhiculée au nom de valeurs humanistes ou morales. Carnets de voyage, le beau film de Walter Salles, s'inscrit dans cette logique d'autant mieux qu'il évoque le jeune Argentin d'avant l'engagement politique, débarrassé de tout ce qui prête matière à controverse.

    Avant d'accumuler les défaites, le prestige du "Comandante" découlait d'une victoire, la révolution cubaine de 1959. Pourtant, indépendamment de son rôle dans la bataille de Santa Clara, le seul stratège de la Sierra Maestra a été sans conteste Fidel Castro, qui s'est appliqué à élargir le front anti-Batista en entretenant les ambiguïtés politiques, ce que le Che acceptait mal.

    Même pour ceux qui l'ont tant aimé, que reste-t-il de ce triomphe, quarante-cinq ans plus tard ? L'épopée s'est muée en sauve-qui-peut. La faillite du socialisme castriste rejaillit inévitablement sur l'ensemble du processus. Ses étapes successives, l'imparable descente aux enfers ne dispensent point d'une interrogation sur l'origine de la dictature.

    PRÊT-À-PENSER

    Sur le plan militaire, Guevara s'est fait lui-même, par ses propres écrits, le propagandiste des enseignements de la guérilla, tout en persistant à la dépouiller d'une compréhension des facteurs politiques qui avaient favorisé le renversement de Batista. Le charisme de l'auteur a transformé ces "théories" et généralisations hâtives de l'expérience cubaine en véritable prêt-à-penser pour plusieurs générations de Latino-Américains qui sont allés allégrement au-devant de la mort, sans que le sort de leurs semblables s'améliore pour autant.

    A ceux qui plaindraient les épigones - deux fois coupables : d'avoir échoué et d'avoir simplifié les leçons du maître -, il faudrait rappeler les désastres auxquels Guevara a été directement mêlé. La guérilla du nord de l'Argentine a été anéantie avant de s'être mise en position d'agir. Son aventure en Afrique serait pitoyable si elle ne révélait à quel point il pouvait mépriser le contexte social et culturel qu'il prétendait mettre en branle. Enfin, le dénouement tragique de la guérilla en Bolivie, avec la mort du Che et de nombreux compagnons, ne saurait faire oublier son ignorance têtue de la situation du pays, et notamment des paysans, sur lesquels il voulait s'appuyer.

    Sur les deux questions clés qui ont déterminé l'évolution de Cuba, le socialisme et les relations avec l'URSS, il n'a guère été plus lucide. Railler aujourd'hui un Fidel Castro en phase terminale pour ses extravagances est facile. Lorsque Guevara était le responsable de la Banque centrale et le ministre de l'industrie, personne n'incarnait mieux que lui le volontarisme à outrance, le dédain des réalités économiques et sociales, la désinvolture vis-à-vis de la démocratie. Contemporain de l'invasion de la Hongrie et du rapport Khrouchtchev au XXe congrès du Parti communiste soviétique, il a professé un prosoviétisme inconditionnel, puis une conversion tout aussi aveugle aux vertus de la Chine maoïste, tempérée d'un tiers-mondisme attrape-tout.

    Les exégètes d'Ernesto Che Guevara trouvent une dernière ligne de défense sur le plan individuel et psychologique, exaltant la force de caractère, l'idéalisme, le courage, l'éthique, l'humanisme, l'exemple moral. La fascination pour un personnage complexe, qui a contribué à bâtir son propre mythe, peut se comprendre dans un monde en quête de sens, à condition de ne pas en évacuer les aspects dérangeants.

    MACHINE À TUER

    Après avoir joué un rôle fondamental dans les options de développement de La Havane, est-ce faire preuve de courage politique que d'abandonner l'île, sachant qu'il était le seul dirigeant à tenir tête à Castro ? Le Lider Maximo était ainsi conforté dans sa position de dictateur absolu.

    A une époque où la manipulation idéologique de la pulsion de mort est devenue un phénomène de masse avec les kamikazes, est-il toujours possible d'admirer l'équipée suicidaire en Bolivie ?

    Outre tout ce que charrie le volontarisme dans une dictature, peut-on assimiler à des valeurs humanistes l'enthousiasme du Che pour la peine de mort, sa participation personnelle à la tête des pelotons d'exécution, la privation de nourriture en guise de punition dans la guérilla, le discours de haine au nom de la "pureté révolutionnaire" ?

    Dans le système répressif mis en place à Cuba, Guevara a non seulement justifié l'embrigadement, l'étouffement des libertés et l'enfermement des "déviants", mais il y a mis la main à la pâte. La notion de "pureté" est d'ailleurs une des plus ignobles machines à tuer inventées par l'homme, depuis la "pureté de sang" chère à l'Inquisition hispanique jusqu'aux camps de la mort des totalitarismes contemporains.

    L'éthique et la fraternité ne sortent sûrement pas revigorés avec des choix pareils colportés en contrebande. Le messianisme n'est décidément pas un humanisme.

    Paulo A. Paranagua
  • Je tiens à féliciter kibitz pour l'idée de ce topic. (+)

    Je propose une chose (si l'auteur du thread est d'accord), c'est de n'y mettre que des articles de presse étonnant, interessants, émouvants, polémiques ou on ne sait quoi mais sans les commenter (y'aurait bien des choses à dire sur le Che pourtant...) , ca roule?
  • conan a écrit :
    Je tiens à féliciter kibitz pour l'idée de ce topic. (+)

    Je propose une chose (si l'auteur du thread est d'accord), c'est de n'y mettre que des articles de presse étonnant, interessants, émouvants, polémiques ou on ne sait quoi mais sans les commenter (y'aurait bien des choses à dire sur le Che pourtant...) , ca roule?


    Pourquoi sans les commenter ?
  • L'Express du 27/09/2004
    Otages d'Irak
    La stratégie de l'innommable

    par Alain Louyot

    "En Irak, les prises d'otages sont devenues la plus barbare des armes contre «l'occupant» américain.

    Méthodique barbarie. Humanitaires, chauffeurs routiers, cuisiniers, journalistes, ingénieurs ou simples manoeuvres, une centaine d'étrangers ont été enlevés depuis le mois d'avril en Irak. Près d'un tiers d'entre eux ont été assassinés par leurs ravisseurs... Au terme de plusieurs semaines d'angoisse et d'un chantage immonde, quatre Américains, deux Italiens, deux Bulgares, douze Népalais, deux Pakistanais, un Libanais et un Sud-Coréen, sans parler, bien sûr, d'innombrables civils irakiens, furent ainsi égorgés ou abattus d'une balle dans la nuque, le plus souvent aux cris d'Allah est le plus grand ! A l'heure où nous écrivions ces lignes, des communiqués non authentifiés mais dont l'ignominie, elle, était avérée, faisaient craindre le pire pour l'otage britannique Kenneth Bigley, enlevé le 16 septembre avec deux Américains, exécutés depuis, ainsi que pour Simona Pari et Simona Torretta, les deux généreuses jeunes femmes italiennes qui travaillaient depuis 1991 en Irak pour l'ONG Un pont pour Bagdad. Quant à nos compatriotes, les journalistes Christian Chesnot et Georges Malbrunot, et leur chauffeur syrien, enlevés le 20 août, l'étrange silence de leurs geôliers devenait de plus en plus pesant, même si les autorités françaises continuaient à assurer qu'ils étaient toujours «bien traités et en bonne santé».

    Négriers sanguinaires du XXIe siècle, les preneurs d'otages qui pullulent depuis quelques mois en Irak semblent avoir érigé cet effroyable trafic d'êtres humains en stratégie de leur résistance contre «l'occupant» américain. Les enlèvements s'opèrent en plein jour, en centre-ville, avec des commandos armés de plusieurs hommes sûrs d'agir en toute quiétude. Parfois revendus à d'autres groupes, les otages se voient contraints de réciter devant l'objectif d'une caméra un texte où les terroristes expriment leurs exigences et profèrent leurs menaces. Car ces derniers, passés maîtres dans l'art des mises en scène les plus macabres, utilisent jusqu'à la nausée les médias modernes: caméra vidéo, site Web, etc. Diffusé le 20 septembre sur Internet, un film insoutenable a montré ainsi le supplice de l'Américain Eugene Armstrong, décapité au couteau de boucher par un bourreau cagoulé, identifié comme Abou Moussab al-Zarkaoui, le chef du groupe Al-Tawhid wa al Jihad (Unification et guerre sainte). Mains liées dans le dos et yeux bandés, le malheureux otage attendait en tremblant son assassinat vêtu de la tenue orange voulant rappeler celle des prisonniers de la base américaine de Guantanamo... «Bazar aux otages», titrait récemment un quotidien de Bagdad. Pudique métaphore pour évoquer l'innommable."

    Voilà bien une guerre de civilisations. "Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas", qui avait dit çà déjà ? N'etait-ce pas Malraux ?
  • latteigne a écrit :
    conan a écrit :
    Je tiens à féliciter kibitz pour l'idée de ce topic. (+)

    Je propose une chose (si l'auteur du thread est d'accord), c'est de n'y mettre que des articles de presse étonnant, interessants, émouvants, polémiques ou on ne sait quoi mais sans les commenter (y'aurait bien des choses à dire sur le Che pourtant...) , ca roule?


    Pourquoi sans les commenter ?


    Ben je pensais faire de ce topic un receuil d'articles bruts sur des sujets divers et variés. Les commenter risque de donner lieu a de grands débats qui finalement dénatureraient le but premier du topic et qui mériteraient des topics à eux tout seul...

    L'idée de choc des civilisation, c'est de Francis Fukuyama il le semble... :-B
  • conan a écrit :
    latteigne a écrit :
    conan a écrit :
    Je tiens à féliciter kibitz pour l'idée de ce topic. (+)

    Je propose une chose (si l'auteur du thread est d'accord), c'est de n'y mettre que des articles de presse étonnants, interessants, émouvants, polémiques ou on ne sait quoi mais sans les commenter (y'aurait bien des choses à dire sur le Che pourtant...) , çà roule?


    Pourquoi sans les commenter ?


    Ben je pensais faire de ce topic un recueuil d'articles bruts sur des sujets divers et variés. Les commenter risque de donner lieu à de grands débats qui finalement dénatureraient le but premier du topic et qui mériteraient des topics à eux tout seuls...

    L'idée de choc des civilisation, c'est de Francis Fukuyama il me semble... :-B


    Mais tu sais, c'est très frustrant de lire sans émettre d'avis, que ce soit sur le fonds comme sur la forme, surtout lorsqu'on en a la possibilité. Cela dit, tenons-nous en au but de ce topic puisque Kibitz ne t'a pas contredit.

    N'est-ce pas plutôt Samuel Huntington ?
  • L'Express du 04/10/2004
    Serbie
    Avoir 20 ans dans les Balkans


    par Gilbert Charles

    Economie en lambeaux, chômage, corruption, mafias... les Serbes n'en finissent pas de payer l'addition des années Milosevic. Démunis, déboussolés, voire désespérés, les jeunes se replient sur eux-mêmes. Et s'abrutissent dans la fête, la drogue ou le sexe non protégé.

    Ce soir, le célèbre DJ Marco Nastic, star européenne de la musique techno, fête son anniversaire au Sava Center, sorte de palais des congrès bétonné posé dans les terrains vagues des faubourgs de Belgrade. Les pulsations de la sono retentissent à des kilomètres à la ronde. A 2 heures du matin, quelque 2 000 personnes agglutinées sur la piste à ciel ouvert s'agitent sous les stroboscopes. Ils ont entre 20 et 30 ans et ont payé 10 euros, une somme considérable ici, pour s'éclater jusqu'au bout de la nuit. Des joints et des bouteilles de bière circulent; on devine aux transes déhanchées de certains danseurs les effets des pilules d'ecstasy, mais l'ambiance reste bon enfant.

    Près de l'entrée, les bénévoles de Médecins du monde distribuent gratuitement aux fêtards interloqués des fiches techniques sur les effets de l'ecstasy ou de la cocaïne, ainsi que des préservatifs et des bouchons d'oreilles. L'ONG française vient de terminer une tournée estivale de trois mois à travers les Balkans. «Les jeunes, ici, sont déboussolés par les bouleversements politiques et économiques, et se jettent à corps perdu dans la fête, la drogue ou les rapports sexuels non protégés, explique Karen Segas, responsable de la mission. On est là pour les informer.»

    On pourrait se croire dans n'importe quelle rave-partie française, mais un détail finit par déranger: les convives ne sourient pas, ils dansent pour eux-mêmes avec une application de bûcheron et n'ont pas l'air de communiquer entre eux. «Les gens viennent ici pour s'abrutir, affirme Chomi, 24 ans, étudiant en architecture, qui vit de petits boulots et écume les nuits de Belgrade. A l'époque de Milosevic, on faisait la fête pour oublier la guerre; aujourd'hui, c'est pour oublier la galère dans laquelle on se débat tous les jours.»

    Chomi est l'un de ces «enfants de la guerre», comme on appelle en Serbie cette génération élevée sous le régime Milosevic. Ils ont grandi dans un pays totalitaire hanté par le nationalisme et mis au ban de la communauté internationale. Ils n'ont jamais porté l'uniforme, mais ont vécu l'embargo et les bombardements de l'Otan pendant soixante-dix-huit jours au printemps 1999. Ils ont assisté avec leurs parents aux émeutes et aux manifestations, à l'effondrement industriel et aux restructurations. Leur nation a changé trois fois de nom depuis qu'ils sont nés: Yougoslavie, république fédérale de Yougoslavie, Serbie, et enfin Serbie-et-Monténégro. Milosevic est tombé, mais les Serbes se réveillent aujourd'hui de leur cauchemar nationaliste avec la gueule de bois. Le pays n'a toujours pas de Constitution, ni de frontières clairement définies avec le Kosovo. L'économie est en ruine, le chômage touche près de 40% de la population, et la corruption et les groupes mafieux continuent de gangrener l'Etat dont le Premier ministre, Zoran Djindjic, a été assassiné en mars 2003.

    Les parents de Chomi ont divorcé il y a six ans, après avoir été contraints d'héberger chez eux des membres de leur famille expulsés du Kosovo. Sa mère travaillait dans l'une des quatre banques d'Etat qui ont été liquidées après la chute du régime nationaliste: licenciée, elle survit maintenant en louant des chambres de son appartement. Son père était colonel de réserve dans l'armée yougoslave. Envoyé en Croatie au début de la guerre, il a été réformé pour des problèmes de santé: avocat de formation, il exerce depuis dans l'administration d'un hôpital de Belgrade. «Il est difficile pour les Serbes de se poser en victimes, mais beaucoup de gens ici aussi ont souffert de cette guerre», remarque Jelena, 23 ans, la petite amie de Chomi. Elle est née en Croatie, dans l'enclave serbe de la Krajina, d'où ses parents ont été expulsés en 1992. «J'avais 11 ans quand nous sommes arrivés à Belgrade et j'ai été agressée plusieurs fois dans la rue parce que je parlais serbe avec un accent croate. Je ne comprenais rien à ce qui m'arrivait, c'était horrible.» Aujourd'hui, Jelena veut reprendre des études de tourisme: «Pour avoir un métier qui me permette de voyager.»

    «Une mentalité d'assiégés»

    Malgré les apparences de liberté, les 10 millions de Serbes se retrouvent de fait enfermés chez eux: leur intégration à l'Union européenne n'est pas prévue avant des lustres et il leur est pratiquement impossible d'obtenir un visa pour les pays de l'espace Schengen. Quant aux contrées voisines, ils y sont très mal accueillis depuis la guerre. La plupart des moins de 25 ans ne sont jamais sortis de leur province et n'ont qu'une envie: partir.

    Leur sentiment d'enfermement est d'autant plus prononcé que la plupart d'entre eux sont atteints du «syndrome Tanguy»: 90% vivent encore chez leurs parents à l'âge de 25 ans. «Je préférerais avoir un vrai chez-moi, mais c'est impossible, explique Alexander, 28 ans, qui s'incruste avec ses deux soeurs et sa mère dans un petit trois-pièces du centre-ville. Employé dans une imprimerie, il touche 200 euros par mois, soit l'équivalent du salaire moyen en Serbie, alors que la location du moindre studio à Belgrade coûte au minimum 150 euros. «Ce n'est pas toujours facile avec ma petite amie, qui vit aussi chez ses parents, soupire-t-il. Mes soeurs et ma mère se débrouillent pour partir de temps en temps en week-end afin de nous laisser un peu d'intimité, mais on ne peut pas fonder une famille dans ces conditions.» Résultat, les Serbes se marient rarement avant l'âge de 30 ans et attendent le plus tard possible pour avoir des enfants.

    Les enfants de la guerre ont de plus en plus tendance à se replier sur eux-mêmes, affirme Dragan Popadic, professeur de psychosociologie à l'université de Belgrade, qui vient de réaliser une grande enquête sur les 16-26 ans encore non publiée. Ils ont développé une mentalité d'assiégés d'autant plus inquiétante qu'elle s'accompagne d'un sentiment de désillusion et de désespoir.» Une grande majorité d'entre eux se considèrent victimes de la communauté internationale, qui, selon eux, les traite avec mépris. Ils ont gardé en mémoire les bombardements de l'Otan de 1999, vécus comme une humiliation, tout comme l' «occupation» du Kosovo. Ils semblent ignorer presque complètement les atrocités serbes, en Bosnie ou ailleurs, et considèrent que Milosevic est injustement accusé. «Nous avons comparé les réponses de notre enquête à celles d'une autre étude menée en 1991, reprend le Pr Popadic dans son bureau poussiéreux de la faculté de lettres. On constate une plus grande religiosité - les jeunes sont plus nombreux à se déclarer orthodoxes - et surtout une montée des idées nationalistes, qui sont aujourd'hui plus répandues qu'avant la guerre. Mais c'est peut-être le résultat de la propagande à laquelle ils ont été soumis.»

    Ambiance à la Bilal

    Cloîtrés chez eux, les jeunes Serbes ne sont pourtant pas totalement coupés du monde. Qu'il s'agisse de musique, de sport ou de loisirs, ils ont adopté en masse les modèles culturels occidentaux. Mélange de ville fantôme et de mégalopole branchée, Belgrade regorge de bars, de restaurants et de boîtes de nuit où les écrans vidéo, branchés sur Fashion TV, diffusent en permanence les défilés de mode. Les vieux tramways bringuebalants se croisent dans les rues avec les 4 x 4 flambant neufs; les publicités pour Nike ou Prada côtoient les immeubles encore éventrés par les bombardements, les monuments à la gloire du communisme et les McDonald's. Pas besoin d'être riche ici pour profiter des derniers films hollywoodiens, des disques ou des programmes informatiques les plus sophistiqués, dont les copies piratées sont vendues à des prix défiant toute concurrence dans les arrière-boutiques ou sur les étals des marchés. Les cafés Internet et les salles de jeux informatiques se sont multipliés: une industrie florissante et une véritable drogue pour les aficionados. Tout un étage du centre commercial au sous-sol de la gare Stanica, à l'interconnexion des lignes de métro et de trains de banlieue, est occupé par ces échoppes enfumées où les jeunes hommes alignés derrière les ordinateurs s'affrontent en réseau sur Mortal Kombat, le dernier videogame à la mode, pour un peu moins de 50 centimes d'euro l'heure. Chaque joueur apparaît à l'écran en tenue paramilitaire, armé d'un kalachnikov, d'un coutelas et de grenades, avec lesquels il s'agit de tuer le maximum d'ennemis cachés dans un décor labyrinthique de village médiéval qui fait beaucoup penser à la Bosnie. Nostalgie d'une guerre à laquelle ils n'ont pas participé? Les jeunes Belgradois - certains âgés d'à peine 13 ans - s'en donnent à coeur joie. «Certains de mes clients sont devenus accros et passent ici jusqu'à dix heures d'affilée, reconnaît Boris Trinjic, gérant du club KGB, enseigne en forme de clin d'oeil au passé communiste. On est ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, et ça ne désemplit pas.»

    La Serbie d'aujourd'hui ressemble étrangement aux bandes dessinées postmodernes d'Enki Bilal, qui a justement grandi à Belgrade. Un univers cynique et décadent que l'on retrouve dans la musique turbo-folk, mélange de folklore traditionnel et de rythmes tsiganes cuisiné à la sauce techno. Tous les samedis soir, la jeunesse belgradoise vient s'encanailler sur les splavi, les night-clubs installés sur des péniches amarrées le long des rives du Danube. Des bimbos maquillées et des machos éméchés se trémoussent dans un vacarme d'enfer au Braveheart, une boîte flottante au bout de la jetée où un moustachu à bretelles accompagne au synthétiseur les mélopées sirupeuses d'une chanteuse en robe de soirée. A l'époque de Milosevic, cette musique aux accents orientaux était très prisée des apparatchiks et de la bourgeoisie nationaliste. Ceca, la plus grande star du turbo-folk, aujourd'hui à la retraite, était aussi l'épouse de Zeljko Raznatovic, alias Arkan, le chef des «Tigres», les milices serbes de sinistre réputation, assassiné en janvier 2000 dans le hall de l'hôtel Intercontinental. «Tito est mort, la Yougoslavie n'existe plus, on nous a pris le Kosovo, Milosevic est à La Haye: tout ce qu'il nous reste, c'est le turbo-folk», s'exclame en rigolant Jovan, un grand dadais à la chemise ouverte, une bouteille de bière dans chaque main.

    «Hommes d'affaires» ou «malfaiteurs»

    Sur le ponton qui jouxte la boîte de nuit, des éclats de voix fusent autour d'une petite piscine où un gros malabar au crâne rasé, balafré comme un tueur à gages, patauge bruyamment en compagnie de deux ravissantes filles. Un «homme d'affaires», ou un «malfaiteur», comme on nomme ici les nouveaux riches de toutes sortes qui ont fait fortune durant l'ère Milosevic - certains légalement, d'autres dans la vente d'armes, la drogue ou la prostitution. Celui-là parle bulgare, comme ses deux accompagnatrices au sourire crispé - visiblement des escort girls. A l'époque de Milosevic, les stupéfiants en tout genre circulaient à flot continu dans les Balkans, où le haschisch, l'héroïne ou la cocaïne se vendaient à des prix dérisoires. Mais, depuis la chute de l'ancien régime, les cours se sont envolés pour atteindre le niveau des pays riches de l'Union européenne - le gramme d'héroïne, qui coûtait entre 6 et 10 euros, est par exemple passé à 50. A en croire les journaux qui citent des chiffres terrifiants, la consommation de drogue ne cesse d'augmenter. «On parle de 30 000 à 40 000 héroïnomanes, voire 100 000, ce qui serait apocalyptique dans un pays de 10 millions d'habitants, explique Céline Debeaulieu, qui dirige le programme d'échange de seringues mis en place par Médecins du monde en Serbie. Mais il est presque impossible de vérifier ces chiffres.» Deux fois par semaine, la camionnette de MDM sillonne les quartiers populaires de Belgrade pour proposer aux toxicos du matériel stérile, des conseils médicaux et des préservatifs. Le véhicule est garé ce soir au pied des immeubles de Novi-Beograd. Des ombres furtives s'approchent avec circonspection, prennent leurs seringues et s'échappent presque sans un mot. Cheveux courts, proprement habillés, la plupart, âgés de 25 à 35 ans, n'ont rien du toxico marginal. Certains viennent même en voiture faire leurs emplettes. «Il est très difficile d'approcher cette population qui a l'habitude de ne faire confiance à personne», admet Céline Debeaulieu.

    La même incertitude règne sur le degré de contamination de la population par le virus du sida. Et pour cause. La Serbie détient le record du plus petit taux de gens testés en Europe. La première antenne de dépistage anonyme et gratuit a ouvert ses portes il y a deux mois dans une polyclinique du centre de Belgrade. Là encore, les volontaires ne se précipitent pas. «La plupart de ceux que l'on reçoit ici viennent parce qu'ils tentent d'obtenir un visa pour l'étranger et ont besoin d'un certificat prouvant qu'ils sont séronégatifs, explique Ludmija, l'une des deux assistantes sociales du centre. On a déjà bien du mal à convaincre les hétérosexuels de franchir le pas, mais il est carrément impossible de toucher les homosexuels, qui vivent dans ce pays en totale clandestinité.» Considérés à l'époque de Milosevic comme des «ennemis de la nation» et bannis des registres électoraux, les gays continuent de faire les frais de la culture macho serbe. Depuis 2001, ils organisent au printemps, à Belgrade, une parade qui est chaque fois attaquée par les militants d'Obraz, un groupe de skinheads ultranationalistes.

    Pas facile d'avoir 20 ans aujourd'hui dans ce trou noir au milieu de l'Europe où au sentiment d'enfermement s'ajoute celui d'injustice. «Ce qui me rend malade, c'est que des pays comme la Slovénie ou la Hongrie font maintenant partie de l'Union européenne, alors que nous étions bien en avance sur eux dans tous les domaines, soupire Anita, 22 ans, étudiante en troisième année de littérature. On parle maintenant de 2012 comme date probable de l'intégration de la Serbie. Cela paraît déjà très loin et, vu le comportement lamentable de nos responsables politiques, on a très peu de chances d'y arriver.» Les décisions ubuesques parfois prises par ces derniers n'incitent pas, en effet, à l'optimisme. Le 7 septembre dernier, la ministre de l'Education, Ljiljana Colic, a ordonné une suspension de l'enseignement de la théorie de l'évolution dans les écoles de la république: chrétienne orthodoxe, elle souhaitait que le créationnisme figure au programme au même titre que le darwinisme. La décision a finalement été annulée, mais, une semaine plus tard, quelques députés ont remis le couvert au Parlement en demandant officiellement au gouvernement de réclamer des réparations à la communauté internationale pour les bombardements de l'Otan. Le Premier ministre a dû calmer leurs ardeurs en faisant remarquer que ce n'était pas le meilleur moyen d'accélérer l'intégration du pays à l'Union européenne...

    Amers et désabusés, les jeunes Serbes peuvent encore se consoler en pensant qu'ils ont le temps devant eux. «Il faudrait que ce pays se regarde dans un miroir et se décide à payer l'addition de ces années de plomb. Mais personne n'a le courage de le faire», soupire Chomi. Voilà pourquoi les jeunes Serbes continuent de faire la fête dans les boîtes enfumées de Belgrade. Pour oublier que les esprits sont plus difficiles à reconstruire que les immeubles bombardés.
  • Lu dans Le Monde (6.10.2004)(lien). Un peu long, mais bon...

    Le débat Bush-Kerry


    Les deux candidats à la présidence des états-unis se sont affrontés, jeudi à miami, sur la politique étrangère lors du premier des trois duels de cette campagne. la guerre en Irak et la lutte contre le terrorisme ont été au coeur de leurs interventions
    Sénateur kerry, pensez-vous que vous pourriez faire mieux que le président bush pour prévenir un autre 11-septembre, une nouvelle attaque terroriste contre les etats-unis ?

    John Kerry. – Oui, je le crois, mais, avant de répondre, je voulais vous remercier d'être modérateur, je voulais remercier l'université de Miami de nous accueillir.
    Et je sais que le président me rejoint en accueillant l'ensemble de la Floride a ce débat. Vous êtes passés par les pires semaines que l'on puisse imaginer, nous sommes avec vous et nous admirons votre force et votre persévérance.

    Je peux rendre l'Amérique plus sûre que celle du président Bush. Je crois sincèrement que le président Bush et moi-même aimons notre patrie de la même façon, mais nous n'avons pas les mêmes convictions sur la manière de la rendre plus sûre. L'Amérique est plus sûre et plus forte si nous sommes les leaders du monde et si nous dirigeons des alliances fortes. Je ne laisserai jamais un pays décider de notre sécurité. Mais je sais aussi coordonner ces alliances.

    Le président Bush a fait éclater les alliances dans le monde. Et nous supportons 90 % des blessés en Irak et 90 % des coûts. Je pense que ça ne va pas et que nous pouvons mieux faire. J'ai un meilleur plan concernant la sécurité nationale. J'ai un meilleur plan concernant la guerre contre le terrorisme : renforcer notre défense nationale, renforcer nos services de renseignement. Trouver des financements, reconstruire nos alliances en tendant la main au monde musulman, ce que le président Bush n'a pratiquement pas fait. Isoler les islamistes radicaux, et non pas les laisser isoler les Etats-Unis.

    Je peux faire un meilleur travail en Irak. Je compte organiser un sommet avec tous les alliés, ce que le président Bush n'a pas réussi à obtenir. Je veux réunir les gens autour d'une table. Nous pouvons mieux organiser l'entraînement des forces irakiennes, pour qu'elles puissent se défendre. Et nous pouvons mieux préparer les élections. Je peux faire tout cela, et en particulier en matière de sécurité nationale dont nous parlerons plus tard.

    George Bush. – Je remercie également l'université de Miami. Nous prions avec les gens de cet Etat, qui ont beaucoup souffert. Le 11-Septembre a changé la façon dont l'Amérique doit voir le monde. Depuis ce jour, nous avons eu une stratégie sur plusieurs niveaux pour nous protéger. Nous avons poursuivi les membres d'Al-Qaida partout où ils se cachent. 75 % des chefs d'Al-Qaida ont été traînés en justice, et les autres savent que nous les cherchons. Nous maintenont la doctrine selon laquelle, si vous hébergez un terroriste, vous êtes autant coupable que lui. Et les talibans ne sont plus au pouvoir. Dix millions de personnes sont aujourd'hui inscrites sur les listes électorales en Afghanistan pour la présidentielle. En Irak, nous avons vu une menace, et nous avons réalisé qu'après le 11-Septembre il fallait prendre les menaces au sérieux, avant qu'elles ne se vérifient. Saddam Hussein est aujourd'hui derrière les barreaux. L'Amérique et le monde sont plus en sécurité.

    Nous continuons d'empêcher la prolifération d'armes de destruction massive. La Libye a désarmé. Le réseau Abdul Qadeer Kahn -le "père" de la bombe atomique au Pakistan, qui avait avoué avoir participé à des fuites de technologie nucléaire au profit de l'Iran, de la Libye et de la Corée du Nord- a été traduit devant la justice. Nous poursuivons une stratégie de liberté dans le monde parce que je sais que les nations libres rejettent la terreur. Les nations libres répondront aux espoirs et aspirations de leurs peuples. Les nations libres vont nous aider à obtenir la paix dans le monde.

    Monsieur le président, croyez-vous que l'élection du sénateur Kerry le 2 novembre augmenterait les risques d'une deuxième attaque terroriste comme le 11-Septembre ?

    George Bush. – Non, je n'y crois pas. Je crois que je vais gagner ces élections parce que le peuple américain sait que je sais diriger. J'ai montré au peuple américain que je sais mener notre pays. Je comprends que tout le monde ne soit pas d'accord avec mes décisions. Mes décisions n'ont pas toujours été faciles à prendre, mais les gens connaissent mon point de vue. Ils savent ce que je crois. Et c'est la meilleure façon de maintenir la paix.

    Notre nation a un devoir solennel de vaincre cette idéologie de la haine. Ce sont des assassins qui ne tuent pas seulement ici, mais qui tuent des enfants en Russie, qui attaquent sans merci en Irak, et essaient de nous faire vaciller. Nous avons le devoir de vaincre cet ennemi, de protéger nos enfants, nos petits-enfants. La meilleure façon de faire est de rester fort, d'utiliser tout ce dont nous disposons pour nous défendre, de rester sur l'offensive, et en même temps de diffuser la notion de liberté.

    C'est ce qui se passe en Afghanistan. Dix millions de citoyens se sont inscrits sur les listes électorales. C'est phénoménal. Ils ont une chance d'être libres, et ils seront présents dans les bureaux de vote. 41 % des dix millions de personnes qui sont inscrites sur les listes électorales sont des femmes.

    En Irak, il n'y a aucun doute, c'est dur. C'est incroyablement difficile. Vous savez pourquoi ? Parce que l'ennemi s'est rendu compte des enjeux. Ils se sont rendus compte que l'Irak libre représenterait une victoire sur cette idéologie de la haine. C'est pour cela qu'ils se battent avec férocité. Ils sont venus en Afghanistan parce qu'ils voulaient nous battre. C'est pour la même raison qu'ils sont en Irak. Ils essaient de gagner. Si nous sommes moins volontaires, nous perdrons. Si nous restons forts, nous vaincrons.

    John Kerry. – Je pense qu'il faut être fort et déterminé, et je vais chasser et anéantir les assassins et les terroristes où qu'ils soient. Mais il faut que nous soyons intelligents. Nous ne devons pas perdre de vue la véritable guerre contre la terreur : en Afghanistan contre Oussama Ben Laden, et non pas en Irak. La commission sur le 11-Septembre a confirmé qu'il n'y avait pas de lien entre le 11-Septembre et Saddam Hussein. La raison de l'entrée en guerre était censée être la présence d'armes de destruction massive, et non pas la destitution de Saddam Hussein. Ce président a fait une colossale erreur de jugement. C'est le jugement qui est important quand il s'agit d'être président des Etats-Unis. Je suis fier que de hauts responsables militaires me soutiennent. (...) Tous sont persuadés que je serai un commandant en chef plus fort. Et ils le croient parce qu'ils savent que je ne dévierai pas de l'objectif : Oussama Ben Laden. Malheureusement, il s'est échappé des montagnes de Tora Bora. Nous étions là, nous l'avions cerné. Mais nous n'avons pas utilisé les forces américaines, les forces les mieux entraînées au monde, pour le tuer. Le président s'est appuyé sur les chefs de guerre afghans et leur a sous-traité ce travail. C'était une faute.

    M. Kerry, vous parlez de "colossales erreurs de jugement". Quelles "colossales erreurs", selon vous, le président a-t-il commises ?

    John Kerry. –Premièrement, il a dit à l'Amérique qu'il allait construire une vraie alliance, qu'il allait utiliser jusqu'au bout les instruments des Nations unies, les inspections. De fait, il ne voulait pas initialement faire cela. Et ce n'est que quand l'ancien secrétaire d'Etat Jim Baker, le général Scowcroft -ancien conseiller à la sécurité nationale des présidents Ford et Bush père- et d'autres lui ont dit publiquement : "Vous devez aller devant les Nations unies", qu'il a changé d'avis et est allé devant l'ONU. Nous aurions pu continuer les inspections. Nous avions piégé Saddam Hussein. Le président a aussi promis à l'Amérique que la guerre ne serait qu'un dernier recours. Cela veut dire quelque chose pour moi. Moi, j'ai vu le combat. Le dernier recours, ça veut dire ça : il faut pouvoir dire aux familles : "J'ai tout fait pour éviter que votre fille, que votre fils soient tué." Je ne crois pas qu'on ait fait ça.

    Nous avons laissé de côté nos alliés. Aujourd'hui, nous supportons 90 % des pertes humaines et 90 % des coûts en Irak – 200 milliards de dollars -160 millions d'euros-, qu'on aurait pu dépenser dans l'éducation, le logement, la santé. Et l'Irak n'est même pas le point central de la guerre contre le terrorisme. Le centre de cette guerre est en Afghanistan. L'Afghanistan où il y a plus de morts américains cette année que l'année précédente ; où la production d'opium représente 75 % de la production mondiale ; où l'opium représente 40 à 60 % de l'économie du pays ; où les élections ont été reportées à trois reprises.

    Le président a déplacé nos troupes et il a concentré dix fois plus de soldats en Irak qu'en Afghanistan, où est Ben Laden. Cela signifie-t-il que Saddam Hussein était dix fois plus important qu'Oussama Ben Laden ? Je ne le pense pas.

    George Bush. – Mon adversaire a eu accès aux mêmes informations que moi et a déclaré, en 2002, que Saddam Hussein était une grave menace. En 2003, il a dit également que celui qui doute que le monde soit plus sûr sans Saddam Hussein ne devrait pas être président. Je suis d'accord avec lui. Le monde est meilleur sans Saddam Hussein. J'espérais que les voies diplomatiques allaient fonctionner. La décision d'envoyer des troupes est une décision extrêmement difficile, la plus difficile pour un président.

    Je suis allé aux Nations unies en espérant que le monde libre allait agir de concert pour faire en sorte que Saddam Hussein nous écoute. On a voté une résolution : désarmez ou vous allez en subir les conséquences. Mais Saddam Hussein n'avait pas l'intention de désarmer. Pourquoi l'aurait-il fait ? Seize autres résolutions avaient été votées et rien ne s'était passé. M. Kerry parle d'inspections, mais Saddam Hussein était en train de jouer avec les inspecteurs. Il espérait qu'après le 11-Septembre on ne regarderait plus dans sa direction. Le monde est plus sûr sans Saddam Hussein.

    M. le Président, que pensez-vous des propos de M. Kerry sur la priorité donnée à Ben Laden et celle donnée à Saddam Hussein ?

    George Bush.– Il faut faire les deux, c'est un effort global. Ces gens ont tellement de haine qu'ils sont capables de nous attaquer partout, n'importe quand. C'est pour ça qu'il nous faut des alliances fortes, et nous les avons. Il faut faire en sorte que les armes de destruction massive ne tombent pas dans les mains de gens comme Al-Qaida. Evidemment, nous traquons Saddam Hussein – je veux dire Ben Laden. Il est isolé, 75 % de ses gens ont été livrés à la justice. Le tueur, le cerveau des attaques du 11-Septembre est en prison. Nous progressons.

    Mais cette guerre ne compte pas qu'un front. Il y a les Philippines, que nous aidons. Et, bien sûr, il y a l'Irak, qui est au centre de la guerre contre la terreur. C'est pour cela que Zarkaoui et ses hommes nous combattent en espérant que nous allons partir. La pire chose serait de ne pas réussir en Irak. Nous avons un plan pour réussir. Et la raison principale pour laquelle nous allons réussir est que les Irakiens veulent être libres.

    J'ai vu le premier ministre Allaoui. C'est un leader courageux et fort. Il croit en la liberté du peuple irakien, il ne veut pas que les Etats-Unis envoient des signaux mitigés. Il croit, comme moi, que les Irakiens ont envie de se battre pour leur liberté. Nous dépensons de l'argent pour reconstruire l'Irak. Il va y avoir des élections au mois de janvier. Notre alliance est solide. Voilà notre plan pour la victoire. Une fois que l'Irak sera libre, l'Amérique sera plus sûre.

    John Kerry. – M. Bush a parlé de l'Irak comme un point central de la guerre contre le terrorisme. L'Irak n'était absolument pas au centre de la guerre contre le terrorisme quand le président l'a envahi. M. Bush a décidé d'enlever des troupes au général Tommy Franks, en Afghanistan, pour commencer à préparer l'invasion de l'Irak et ce, avant même que le Sénat donne son accord. Il s'est précipité dans la guerre sans avoir de plan pour gagner la paix.

    Ce n'est pas ce type de décision qu'un président doit prendre. On ne déclare pas l'Amérique en guerre sans savoir comment on va faire pour réussir la paix. On n'envoie pas des troupes si elles n'ont pas le matériel nécessaire. Aujourd'hui, dans nos hôpitaux, on voit ces jeunes qui étaient partis à la guerre et qui n'avaient pas l'équipement nécessaire.

    Et les choses vont chaque jour plus mal. Plus de soldats ont été tués en juin qu'avant, plus en juillet qu'en juin, plus en août qu'en juillet, plus en septembre qu'en août. Maintenant, on assiste à des décapitations. Des armes de destruction massive traversent les frontières chaque jour, massacrent les gens. Et nous n'avons plus assez de troupes là-bas.

    George Bush. – Puis-je répondre à cela ? Premièrement, ce que mon adversaire veut vous faire oublier, c'est qu'il a voté pour l'utilisation de la force. Et maintenant, il dit que ce n'était pas le bon moment, que ce n'était pas le bon endroit. Mais si on dit cela, quel message est-ce que nous envoyons à nos troupes, à nos alliés, aux Irakiens ? Non, la façon dont il faut gagner la guerre est de rester déterminé et de suivre le plan que j'ai exposé.

    John Kerry. – Oui, il faut rester déterminé et je le suis. Je réussirai pour nos troupes maintenant qu'elles sont là-bas. Nous devons réussir, nous ne pouvons quitter l'Irak sur un échec. Mais cela ne veut pas dire que ce n'était pas une erreur d'y aller et d'abandonner l'objectif Ben Laden. Oui, nous pouvons réussir. Mais je ne crois pas que ce président puisse le faire. Nous avons besoin d'un président qui a la crédibilité suffisante pour ramener nos alliés autour de la table et faire en sorte que l'Amérique ne soit pas toute seule dans cette guerre.

    Sénateur Kerry, en tant que président, que feriez-vous en plus, ou différemment pour contribuer à la politique de sécurité nationale engagée par le président ?

    John Kerry. – Je vais vous dire exactement ce que je ferais. Tout d'abord, quel genre de message est-ce que l'on envoie quand 500 millions de dollars sont dépensés pour mettre des policiers en place dans les rues irakiennes, et que le président réduit le budget des forces de police aux Etats-Unis ? Quel message envoie-t-on, si l'on finance des casernes de pompiers en Irak et que l'on en ferme aux Etats-Unis alors que ces hommes sont en première ligne ?

    Le président n'a pas donné un sou pour que l'on répare les tunnels, les ponts et les infrastructures. C'est pour cela que le métro de New York a dû fermer quand la ville a accueilli la convention républicaine. Nous n'avons pas fait ce qui devait être fait. 95 % des containers qui arrivent en Floride ne sont pas inspectés. Les personnes qui voyagent par avion et leurs bagages à main sont inspectés mais tout ce qui voyage en soute ne l'est pas. Est-ce que cela vous fait sentir plus en sécurité en Amérique ?

    Le président a pensé qu'il était plus important d'offrir une baisse d'impôt aux plus riches plutôt que d'investir dans la sécurité nationale. Ce ne sont pas les valeurs auxquelles je crois. Je pense qu'il faut protéger l'Amérique avant tout. Et avant que le président Bush et moi-même ayons une baisse d'impôt, et c'est nous qui sommes concernés, avant de recevoir quoi que ce soit, j'investirai les fonds dans la sécurité nationale, et je m'assurerai que le budget des forces de police n'est pas affecté, et que le personnel des pompiers est au complet et que nous protégeons les usines chimiques et nucléaires.

    Le président s'est laissé convaincre par les industriels de la chimie qui ne veulent pas opérer les modifications nécessaires pour réduire les menaces. Rien n'a été fait pour protéger les matières nucléaires qui circulent sans contrôle dans le monde, et qui peuvent tomber dans les mains des terroristes. Au rythme actuel, le président n'arrivera pas à mettre en sécurité les matières nucléaires de l'ancienne Union soviétique en treize ans. Je compte y arriver en quatre ans. Et nous éviterons que les terroristes mettent la main dessus.

    George Bush. – Nous ne pouvons pas imaginer comment M. Kerry va financer ces promesses. Il y aurait un énorme trou budgétaire. Mon gouvernement a triplé le budget sur la sécurité nationale à 30 milliards de dollars par an. Mon gouvernement a travaillé avec le Congrès pour créer le département de sécurité nationale afin de mieux coordonner les activités portuaires et frontalières. Nous avons déployé 1 000 personnes de plus pour surveiller la frontière au sud du pays, et 1 000 au nord. Nous modernisons nos frontières.

    Nous avons dépensé plus de 3,1 milliards de dollars pour la police et les pompiers. Et nous travaillons pour en assurer le financement. Mais le meilleur moyen de défendre le pays est de rester sur l'offensive. Il faut que nous soyons vigilants. 100 % du temps. Il suffit à l'ennemi de nous toucher une fois pour que nous soyons blessés. Il y a beaucoup de personnes très compétentes qui travaillent dur pour cela.

    Au FBI, nous avons placé en priorité numéro un la lutte contre le terrorisme. Nous communiquons mieux. Nous allons transformer nos services de renseignement de façon à avoir les meilleurs services de renseignement possibles. Il est vital que le Congrès renouvelle le Patriot Act pour que les forces de l'ordre démantèlent les cellules terroristes. Je voudrais répéter à mes concitoyens que le meilleur moyen de nous protéger est de rester offensifs.

    John Kerry. – Le président vient de dire que le FBI a changé de culture, mais nous venons d'apprendre qu'il y a plus de 100 000 heures d'enregistrement qui n'ont pas été écoutées. Sur l'une de ces cassettes, l'ennemi a peut-être raison encore une fois. Le test n'est pas de savoir si l'on dépense plus d'argent, le test est de savoir si vous faites vraiment tout ce qui est en votre pouvoir pour que l'Amérique soit plus sûre. Nous n'avons pas besoin de cette baisse d'impôt. L'Amérique a besoin d'être plus sûre.

    George Bush. – Bien sûr, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour rendre l'Amérique plus sûre. Je me lève tous les matins en pensant à ce qui est mieux pour l'Amérique. C'est mon travail. Je travaille avec Mueller, le directeur du FBI. Il vient à mon bureau tous les matins, lorsque je suis à Washington, pour parler de la situation. C'est un travail très difficile. Mais je veux dire aux citoyens américains qu'il vaut mieux avoir un président qui amène les terroristes à la justice avant qu'ils frappent.

    Quel critère utiliseriez-vous pour commencer à rapatrier les troupes d'Irak ?

    George Bush. – Tout d'abord, je veux vous dire que la meilleure façon pour l'Irak d'être sûr, c'est d'abord que les Irakiens eux-mêmes prennent en charge le travail. Nous sommes en train d'entraîner les Irakiens pour qu'ils puissent prendre la relève. Nous avons 100 000 personnes entraînées et nous en aurons 125 000 à la fin de l'année, 200 000 à la fin de l'année prochaine. Nous ne gagnerons jamais en Irak si les Irakiens ne décident pas de se protéger eux-mêmes.

    Je pense qu'ils veulent le faire. Le premier ministre Allaoui le pense également. Je veux vraiment que nous rapatriions nos troupes à la maison. Mais nous ne pouvons pas le faire avant d'avoir atteint notre objectif. Il faut que les Irakiens intensifient leurs efforts et prennent la relève. Quand nos généraux sur le terrain et notre ambassadeur Negroponte me diront que les Irakiens sont capables de se défendre contre les menaces de terrorisme, que la stabilité est rétablie et que les Irakiens sont sur le chemin de construire un pays libre, eh bien, alors, je rapatrierai les troupes. Et j'espère que cela se fera le plus tôt possible.

    Mon opposant a dit un jour : "Votez pour moi, je les ferai sortir en six mois." Mais vous ne pouvez pas faire cela et espérer gagner la guerre de la terreur. Mon message à nos troupes est le suivant : merci pour tout ce que vous faites, nous faisons tout ce qui est encore possible pour que vous ayez l'équipement adéquat et nous vous rapatrierons dès que la mission est accomplie, car c'est une mission vitale.

    Un Irak libre sera un allié dans la lutte contre le terrorisme. C'est essentiel. Un Irak libre sera un exemple pour le monde avide de liberté. Un Irak libre nous permettra d'aider Israël à se sentir en sécurité. Un Irak libre renforcera les espoirs et les aspirations des réformateurs en Iran. Un Irak libre est essentiel pour la sécurité de ce pays.

    John Kerry. – Mon message aux troupes est le suivant : merci pour tout ce que vous faites, mais vous allez être aidées bientôt. Je crois que ces troupes méritent mieux que ce qu'elles ont aujourd'hui. J'ai rencontré, il y a quelques jours, deux jeunes personnes qui étaient de retour d'Irak. Ils m'ont tous les deux dit : "Nous avons besoin de vous, il faut que vous nous aidiez là-bas." Je crois qu'on peut le faire mieux que cela.

    Vous savez, le père du président n'est pas arrivé à Bagdad, il n'a pas dépassé Bassora et, comme il l'écrit dans son livre, c'est parce qu'il savait qu'il n'y avait pas de stratégie de sortie viable. Il avait déclaré que nos troupes seraient des occupants dans un pays hostile, et c'est exactement la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Cela est ressenti comme une sorte d'occupation américaine.

    Quand nous sommes entrés dans Bagdad, le seul immeuble surveillé était le ministère du pétrole. Nous n'avons pas surveillé les infrastructures nucléaires. Nous n'avons pas surveillé le ministère des affaires étrangères alors que nous aurions pu trouver des informations sur les armes de destruction massive. Nous n'avons pas surveillé les frontières. A chaque étape, nos troupes ont été laissées livrées à elles-mêmes dans des situations extraordinairement difficiles.

    Je sais ce que c'est que d'être en mission sans savoir ce qui ce cache au coin de la rue. Je crois que nos troupes ont besoin d'autres alliés pour les aider. Je vais mettre en place ce sommet. Je veux apporter une nouvelle crédibilité, un nouveau départ à nos troupes, de façon à ce que nous menions le travail jusqu'au bout.

    George Bush. – Je voudrais répondre. Mon opposant dit que l'aide est en route. Mais quel message cela envoie-t-il à nos troupes qui risquent leur vie ? "Mauvaise guerre, mauvais endroit, mauvais moment"? Ce n'est pas le genre de message qu'un commandant en chef donnerait, ou alors c'est une "grande diversion". "Vous allez être aidés." C'est dur à dire quand on a voté contre une rallonge de 87 milliards pour l'équipement des troupes, que l'on a dit que l'on votait pour avant de voter contre. Ce n'est pas l'attitude d'un commandant en chef qui veut diriger ses troupes.

    John Kerry. – Je dois dire que j'ai commis une erreur dans ma façon de parler de la rallonge budgétaire. J'ai fait une erreur dans ma façon de parler de la guerre. Mais le président a commis une erreur en envahissant l'Irak. Laquelle est la pire ? Je crois que lorsque l'on sait que quelque chose est en train de mal se passer, il faut rectifier le tir. C'est ce que j'ai appris au Vietnam. En revenant, j'ai compris que nous avions tort. Certaines personnes n'ont pas apprécié que je m'élève contre la situation mais je l'ai fait. C'est aussi ce que j'ai fait en ne votant pas la rallonge budgétaire.

    A votre retour du Vietnam, en 1971, vous avez dit : "Comment peut-on demander à un homme d'être le dernier homme à mourir pour une erreur ?" Les Américains sont-ils en train de mourir en Irak pour une erreur ?

    John Kerry. – Non, sachant qu'il faut offrir aux troupes en Irak le leadership qu'elles méritent. Nous devons gagner cette bataille. Le président et moi-même avons toujours été d'accord à ce sujet. Depuis le début, j'ai voté pour donner l'autorité au président Bush parce que je pensais que Saddam Hussein était véritablement une menace. Mais j'ai également établi une liste de choses à faire pour être en position de force. Et le président les a promis. Dans un discours à Cincinnati, il a dit que les plans seraient très précis, que nous avancerions avec prudence, et avec nos alliés.

    Il n'a rien fait de tout cela. Il n'y a pas eu de planification. Les rapports sont restés sur les bureaux au département d'Etat. Ils ont même ignoré les avis de leurs généraux. Le général Shinsheki, le chef d'état-major, a dit : "Vous allez avoir besoin de plusieurs centaines de milliers de soldats." Au lieu de l'écouter, ils l'ont mis à la retraite.

    Le responsable antiterroriste de ce pays, qui a travaillé avec tous les présidents depuis Ronald Reagan, a déclaré : "Envahir l'Irak pour répondre au 11-Septembre serait comme si Franklin Roosevelt avait envahi Mexico pour riposter à Pearl Harbour." Voilà où nous en sommes. Maintenant, nous avons besoin d'un président qui comprenne comment réunir les autres pays pour qu'ils se rendent compte qu'ils ont eux aussi des intérêts dans cette lutte : les pays arabes, pour éviter une guerre civile ; les pays européens, pour éviter le chaos à leur porte.

    Mais ce président a fait exactement le contraire. Quand le secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, a proposé son aide, il a dit : "Non, non, nous allons nous en charger tous seuls." Je crois qu'il a mal agi. Nous aurions aimé que les Nations unies participent et nous avons soutenu leurs efforts.

    George Bush. – C'est totalement absurde. Evidemment, les Nations unies ont été invitées à participer. L'ONU est maintenant de retour et nous aide pour les élections. Le sénateur Kerry dit que nous n'avions pas d'alliés dans cette guerre. Et Tony Blair alors ? Et le président polonais Alexsander Kwasniewski ? On ne peut pas faire des alliances si on nie les contributions de ceux qui sont aux côtés des Etats-Unis.

    Selon le sénateur Kerry, il faut demander aux autres pays de participer. Alors, quel message va-t-il leur envoyer ? "Rejoignez-nous en Irak pour une guerre qui est une mauvaise guerre, au mauvais endroit, au mauvais moment, pour une guerre qui est une grande diversion ?" Je me suis assis à la même table que les dirigeants du monde, très fréquemment. Je suis sûr qu'ils ne suivront pas quelqu'un qui dit "c'est la mauvaise guerre, au mauvais moment et au mauvais endroit", quelqu'un dont les convictions profondes changent tout le temps pour des raisons de politique intérieure. Le sénateur Kerry dit que nous devrions avoir des sommets, mais nous en avons tenus. Et il va y avoir un sommet arabe.

    John Kerry. – Kofi Annan a offert son aide après la chute de Bagdad, et nous n'avons jamais saisi cette occasion. Nous n'avons pas fait ce qui était nécessaire pour lui transférer l'autorité et la reconstruction. Cela a toujours été une affaire pilotée par les Américains. La Grande-Bretagne, l'Australie et les Etats-Unis, cela ne fait pas une grande coalition, nous pouvons faire mieux.

    George Bush. – Et il oublie la Pologne... Trente pays sont impliqués, et se tiennent aux côtés des troupes américaines. Je n'apprécie guère qu'un candidat à la présidence dénigre les contributions de ces braves soldats. On ne peut pas rassembler les gens sur ce message. Notre coalition est forte et le restera tant que je serai président.

    Monsieur le président, vous avez déclaré, je cite, qu'il y a eu "une erreur de jugement" sur la situation en Irak après la guerre. Quelle a été cette erreur ?

    George Bush.– Non, j'ai dit que nous avions obtenu la victoire très rapidement. Et que la plupart des troupes fidèles à Saddam ont déposé les armes et se sont évanouies dans la nature, alors que je pensais qu'elles resteraient sur le terrain, ce qui ne s'est pas produit. (...) Je pense qu'il faut être à la fois réaliste et optimiste, et je suis optimiste. Je sais que nous n'atteindrons pas notre objectif si nous adressons des signaux confus à nos troupes, à nos amis et aux citoyens irakiens. Il y aura des élections en janvier, conformément au plan. Nous voulons entraîner les troupes irakiennes, et c'est ce que nous faisons. L'OTAN y participe aujourd'hui, la Jordanie aide à entraîner des troupes de police également. Nous avons attribué 7 milliards de dollars-5,6 milliards d'euros- pour le plan de reconstruction dans les mois à venir, et nous enregistrons des progrès. Je viens de vous dire qu'il y aurait un sommet des nations arabes. Le Japon va accueillir un sommet.

    Nous progressons, c'est un travail difficile de passer de la tyrannie à la démocratie, de transformer un endroit où on coupe les mains des gens, où on les exécute, en un lieu où les gens sont libres.

    John Kerry.– Le président vient juste de dire que tout en sachant qu'il n'y avait pas d'armes de destruction massive, de menace imminente, de connexion entre l'Irak et Al-Qaida, il aurait fait les choses de la même façon. Ce sont ses mots. Eh bien, moi, je ne les aurais pas faites de la même façon. Et je veux dire la vérité au peuple américain et au monde. Car je pense que le leadership, la bonne politique, se fonde sur la vérité. J'ai un immense respect pour les Britanniques, pour Tony Blair et pour ce qu'ils ont fait. Mais on ne peut pas me convaincre en me disant cela.

    On ne peut pas me dire que notre coalition est une grande coalition. Il s'agit des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de quelques autres, et c'est tout. Et pendant ce temps-là, la Corée du Nord a acquis des armes nucléaires. George Bush dit que nous ne pouvons pas accepter que ces pays aient l'arme nucléaire, mais ils l'ont. C'est une situation que je n'accepte pas. (...)

    Je pense, et je regrette de le dire, que le président Bush n'a pas été honnête avec le peuple américain. Il a parlé au Congrès de matières nucléaires qui n'existent pas. Il a dit qu'il allait construire une alliance, une coalition, et ce n'en est pas une. Il a dit qu'il allait épuiser toutes les possibilités offertes par les Nations unies, et il ne l'a pas fait. Il leur a coupé l'herbe sous le pied. (...)

    Le président a trompé les Américains lorsqu'il a dit que nous déclencherions une guerre en dernier ressort, ce n'est pas ce qui s'est produit. Les Américains font la différence. Cela nous a coûté très cher dans le monde. Je pense qu'il est important de dire la vérité au peuple américain. J'ai travaillé avec ces dirigeants dont le président Bush parle, et je sais ce qu'ils disent. Je sais comment les faire revenir à la table des négociations pour un nouveau départ, une nouvelle crédibilité. Je sais ce que nous pouvons faire pour tendre la main au monde musulman.

    Oussama Ben Laden a utilisé l'invasion en Irak pour dire que l'Amérique faisait la guerre à l'islam. Il faut être plus malin que cela dans la guerre contre le terrorisme. Il faut que nous fassions en sorte qu'il ne fasse pas d'autres émules, il faut que nous reconstruisions nos alliances. Je pense que Ronald Reagan, Kennedy ont mené ces guerres de façon plus efficace, et je veux suivre leur exemple.

    George Bush. – Ce qui est trompeur, c'est de dire qu'on peut être dirigeant et vaincre en Irak si on change constamment de position à propos de cette guerre, ce qu'il a fait. Ce n'est pas comme cela qu'agit un commandant en chef. (...)

    John Kerry. – Je ne trompais personne lorsque j'ai dit qu'il s'agissait d'une menace, lorsque j'ai dit que le président faisait une erreur en ne bâtissant pas de fortes alliances et en utilisant davantage la diplomatie. Il y avait une bonne façon de désarmer Saddam Hussein, et une mauvaise. Le président a choisi la mauvaise.

    George Bush. – La seule constante de la position de mon adversaire est qu'elle n'a pas arrêté de changer. Nous avons un devoir envers notre pays, envers les générations futures, de faire en sorte que l'Irak soit libre, que l'Afghanistan soit libre, et de débarrasser le monde des armes de destruction massive.

    La guerre en Irak valait-elle la vie de 1 052 Américains ?

    George Bush. – Vous savez, chaque vie est précieuse, importante. La chose la plus difficile pour moi est de savoir que j'ai envoyé les troupes dans un endroit dangereux. Je dois faire tout ce que je peux pour conforter les familles qui ont perdu un fils ou une fille. Je pense à Missy Johnson, une femme fantastique de Caroline du Nord, qui est venue me voir parce que son mari, P.J., a été tué. Il est allé en Afghanistan, puis en Irak. (...) Après que nous avons prié, discuté et ri ensemble, je lui ai dit que le sacrifice de son mari était noble et digne. Parce que je comprends les enjeux de cette guerre contre le terrorisme, je comprends qu'il faut débusquer Al-Qaida où qu'elle soit.

    Il faut s'occuper des menaces avant qu'elles ne se concrétisent. Et M. Kerry a dit lui-même que Saddam Hussein était une menace. Il faut diffuser la liberté, parce que la façon dont on peut se débarrasser de la tyrannie et de la haine, c'est d'étendre la liberté. Missy a compris cela, et elle m'a dit que son mari avait compris. Je sais qu'à long terme, un Irak libre, un Afghanistan libre, ce sera un exemple tellement fort pour cette partie du monde qui recherche désespérément la liberté. Cela va aider à changer le monde.

    John Kerry. – Je comprends ce que le président veut dire. Parce que je sais ce que cela veut dire, perdre des gens au combat. Et la question de savoir si cela vaut le coup me rappelle ce que je pensais lorsque je suis moi-même revenu de la guerre. Il est vital pour nous de ne pas faire de confusion entre la guerre et les guerriers. C'est pour cela que je crois que je peux faire ce travail. Ces soldats, ces jeunes qui mettent leur vie en danger, c'est la chose la plus noble que quelqu'un peut faire pour son pays. Mais je veux être sûr que l'issue de tout cela fasse honneur à la noblesse de cette mission. J'ai un plan, dont je pense qu'il peut nous assurer le succès en Irak. Avec une conférence internationale, un meilleur entraînement, en faisant ce que nous devons faire mais en respectant les Nations unies et les élections -irakiennes-. Nous ne pouvons pas organiser une élection maintenant. M. Bush ne va pas réussir.

    Le choix pour l'Amérique, c'est de suivre mon plan en quatre points. Je peux rentrer dans le détail, mais vous pouvez aller voir sur mon site johnkerry.com – ou kerry.com –, ou alors vous avez le plan du président, qui tient en trois mots : "la même chose". Je pense que mon plan est meilleur. Je ne laisserai jamais tomber les troupes, et je ferai la chasse aux terroristes, je les tuerai, où qu'ils soient.

    George Bush.– Je comprends ce que cela veut dire d'être commandant en chef. Si je disais : "Ce n'est pas la bonne guerre, ce n'est pas le bon moment", les troupes me diraient : "Mais comment peut-on suivre ce type ?"Donc le plan dont il parle ne marchera tout simplement pas.

    John Kerry. – Le secrétaire d'Etat Colin Powell a rappelé au président une règle simple : "Si vous cassez quelque chose, il faut le réparer." Vous admettez vos erreurs et vous réparez vos erreurs. C'est la seule chose qu'il faut faire. Les soldats savent que les choses ne sont pas menées comme il faut. Moi, je vais faire ça de la bonne façon, car c'est important pour le monde, pour la guerre contre le terrorisme, pour Israël, pour l'Amérique.

    Moi, j'ai un plan. Et M. Bush n'en a pas. Je n'ai pas dit que je rapatrierai les troupes dans les six mois, mais que, si l'on suit mon plan, et que cela marche, on pourra commencer à réduire le nombre des troupes dans six mois. Et je pense qu'un élément essentiel de la réussite en Irak est de convaincre les Irakiens et le monde arabe que les Etats-Unis n'ont pas des vues à long terme sur la région. (...)

    Il faut donner un message fort. Il faut aussi montrer qu'on est prêt à faire venir le reste du monde pour partager les enjeux. Les Etats-Unis n'ont pas d'intentions à long terme pour rester en Irak. Mon but serait de sortir le maximum de troupes avec le minimum nécessaire pour la formation, la logistique, etc., après guerre pour que la paix soit soutenable. C'est comme cela que nous allons gagner la paix. (...)

    George Bush. –Nous avons dépensé pour la police, les gardes, nous allons avoir 125 000 personnes formées d'ici à la fin de l'année. C'est dur. Parce que l'ennemi est déterminé. Ils essaient de nous vaincre. Mon partenaire dit qu'il va essayer de changer la dynamique sur le terrain. Le premier ministre irakien était là. C'est un homme très courageux. Il a parlé au Congrès. On ne peut pas mettre en question sa crédibilité. (...)

    Sénateur Kerry, que pensez-vous du concept de guerre préventive ?

    John Kerry. – Le président a toujours eu le droit d'engager une guerre préventive. C'était la doctrine clé pendant la guerre froide. (...) Aucun président dans l'histoire n'a cédé ce droit de la guerre préventive afin de protéger les Etats-Unis. Mais si on le fait, il faut prouver au monde qu'on le fait pour des raisons légitimes. Or, nous avons notre secrétaire d'Etat qui a dû s'excuser pour la présentation qu'il a faite aux Nations unies. Nous nous souvenons de la crise cubaine avec Kennedy. Il a envoyé son secrétaire d'Etat à Paris pour rencontrer de Gaulle. Il a parlé des missiles cubains et a montré les photos. De Gaulle lui a dit : "Non, non, non. La parole du président des Etats-Unis me suffit." Combien de leaders mondiaux, aujourd'hui, vont répondre, réagir de cette façon ? L'Iran et la Corée du Nord sont maintenant plus dangereux qu'avant. Je vous dis que, en tant que président, je vais regarder tout ça de près. (...) On a vu ce président se détourner d'un certain nombre de traités, par exemple le protocole de Kyoto. (...)

    George Bush. – Une guerre préventive, c'est protéger le peuple américain. Mon opposant parle du fait que je n'ai pas signé un certain nombre de traités. Je ne

    voulais pas faire partie du tribunal pénal international basé à La Haye. Je ne veux pas que nos troupes, nos diplomates puissent être traînés en justice comme ça. Je comprends qu'on n'a pas été populaire pour cette décision. (...) Mais je ne veux pas être populaire dans le monde si ce n'est pas dans l'intérêt des Etats-Unis.

    M. le Président, pensez-vous que la diplomatie et les sanctions puissent résoudre le problème nucléaire en Corée du Nord et en Iran ?

    George Bush. – Je l'espère. La politique avant que je devienne président était d'entrer en négociation avec la Corée du Nord. Mon gouvernement s'est rendu compte que les accords n'étaient pas honorés par les Coréens du Nord. C'est pourquoi j'ai décidé qu'une meilleure approche serait d'impliquer d'autres nations. Nous nous sommes mis d'accord avec Jiang Zemin pour libérer la péninsule nord-coréenne de la menace nucléaire. La Chine a une grande influence sur la Corée du Nord, beaucoup plus grande que la nôtre. Nous avons inclus la Corée du Sud, le Japon et la Russie. Nous sommes donc cinq à parler à Kim Jong Il. (...)

    Il faut continuer à travailler avec le monde pour convaincre les mollahs iraniens de renoncer à leurs ambitions nucléaires. Nous avons travaillé de très près avec les ministres de France, d'Allemagne et de Grande-Bretagne pour convaincre les mollahs de renoncer à leur programme nucléaire. Nous venons de mettre au point un protocole sur l'inspection. L'Agence internationale de l'énergie atomique est impliquée. Je pense que notre stratégie est la bonne

    John Kerry. – En ce qui concerne l'Iran, les Britanniques, les Allemands et les Français ont tenté, sans les Etats-Unis, de désamorcer la menace nucléaire iranienne. Je pense que les Etats-Unis auraient pu faire mieux. (...) Le président n'a rien fait. En ce qui concerne la Corée du Nord, voilà la vérité : nous avions des inspecteurs en Corée du Nord et des caméras dans les réacteurs. Nous savions où se trouvaient les combustibles nucléaires. Et nous connaissions leurs limites. Colin Powell, notre secrétaire d'Etat a annoncé un jour que nous continuerions le dialogue avec les Nords-Coréens. Le président a dit le contraire publiquement alors que le président sud-coréen était à Washington. Il est rentré très embarrassé parce que cela allait à l'encontre de sa politique.

    Pendant deux ans, cette administration n'a pas parlé à la Corée du Nord. Pendant ce temps, les inspecteurs ont été mis dehors, les caméras de surveillance ont été retirées et aujourd'hui, il y a de quatre à sept armes nucléaires dans les mains de la Corée du Nord. Cela s'est passé sous la présidence de M. Bush. Je pense que l'on ne pouvait pas envoyer de pire message, de message plus confus.

    Je veux faire en sorte que les gens qui nous regardent comprennent bien la différence qu'il y a entre vos deux opinions.

    John Kerry. – Je veux des pourparlers bilatéraux qui mettent toutes les questions sur la table. De l'armistice de 1952, aux questions nucléaires, économiques, des droits humains, du dépôt des armes, et du DMZ -zone démilitarisée-.

    George Bush. – A partir du moment où l'on accepte d'avoir des pourparlers bilatéraux, la discussion à six va se défaire. C'est exactement ce que veut Kim Jong Il. (...) Je voudrais dire que l'on m'accuse de ne pas avoir sanctionné l'Iran, mais nous les avons déjà sanctionnés, nous ne pouvons pas les sanctionner plus. Et nous avons toujours convenu de la nécessité de travailler avec la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne.

    Sénateur Kerry, vous avez fait référence au Darfour, au Soudan. 50 000 personnes sont mortes dans cette région. Plus d'un million sont sans abri. On parle d'un acte de génocide en cours. Mais aucun de vous ou des membres de votre équipe de campagne ne parle d'envoyer des troupes. Pourquoi pas ?

    John Kerry. – D'abord, concernant l'Iran, les Etats-Unis ont voulu imposer des sanctions seuls. Nous aurions dû travailler avec les Britanniques, les Français et les Allemands pour qu'elles soient efficaces. C'est la différence entre le président et moi-même. En ce qui concerne le Darfour et le génocide, il y a des mois de cela, nous avons incité le gouvernement à agir. Il y a plusieurs raisons à ne pas envoyer de troupes maintenant. Tout d'abord, je pense que nous pouvons agir à travers l'Union africaine. Mais cela ne suffit pas. Il faut faire encore plus. Il faut qu'ils aient la capacité d'arrêter les massacres. Nous ne pouvons pas le faire parce que nous sommes déjà au-delà de nos capacités. Interrogez les militaires ! (...)Neuf des dix divisions d'active sont affectées à l'Irak, sur le départ, sur le retour ou en préparation. (...) Mais je vous le dis, si je suis président et que j'implique les soldats américains aux côtés de l'Union africaine, je serai préparé parce que nous ne devons pas permettre un autre Rwanda.

    George Bush. – A propos de l'Iran, ce n'est pas mon administration qui a sanctionné l'Iran, cela s'est produit bien avant que j'arrive à Washington. En ce qui concerne le problème du Darfour, je suis d'accord, il s'agit d'un génocide. Nous avons consacré 200 millions de dollars pour aider les gens qui souffrent et nous allons engager encore plus de fonds dans les mois à venir. Nous sommes très impliqués aux Nations unies sur la politique de sanction du gouvernement de Bachir au Soudan. (...) Je suis d'accord avec mon adversaire. Nous ne devrions pas engager plus de troupes. Il faut que nous travaillions avec l'Union africaine. (...)

    Il apparaît clairement, d'après ce que nous avons entendu, qu'il y a des différences de politique entre vous. Y a-t-il également des questions de caractère qui vous permettraient de dire que le sénateur Kerry n'est pas en mesure d'assumer la fonction de commandant en chef des Etats-Unis ?

    George Bush. – C'est une question lourde. Tout d'abord, j'admire les services que le sénateur Kerry a rendus à notre pays. J'apprécie le fait qu'il soit un père génial, que ses filles aient été si gentilles avec les miennes, dans ce difficile contexte où leurs pères sont en campagne. J'admire le fait qu'il ait été pendant vingt ans au Sénat, quoique je n'admire pas vraiment les résultats. Pendant cette campagne, j'ai écouté très attentivement tout ce qu'il a dit, et le sénateur n'a pas cessé de changer d'avis.

    On ne peut pas diriger si l'on envoie des messages confus. Les messages confus déstabilisent nos troupes, envoient des mauvais signaux à nos alliés et sont mauvais pour le peuple irakien. Je sais comment ce monde fonctionne. (...)

    John Kerry. – Tout d'abord, j'apprécie énormément ce que le président vient juste de faire. Et je pense qu'il est difficile d'assumer cette fonction. Je sais que ses filles l'ont soutenu. Et j'ai un immense respect pour son épouse. Je pense que c'est une personnalité extraordinaire. Mais il y a des différences entre nous. (...) On peut appeler cela un trait de caractère. On peut être sûr de quelque chose et avoir tort. On peut être sûr de ses principes et ensuite s'adapter aux circonstances. Mais le président ne prend pas en compte la réalité sur le terrain. Il ne prend pas en compte la réalité de la recherche sur les cellules souches, sur le réchauffement de la planète entre autres.

    George Bush. – Je suis entièrement d'accord bien sûr. Il faut changer de tactique quand cela s'avère nécessaire. (...) Mais je ne veux pas changer mes convictions profondes. C'est une des choses que j'ai apprises à la Maison Blanche. Il y a une pression énorme sur le président, et on ne peut pas résister à cette pression si l'on change ses convictions.

    John Kerry. – Je n'ai jamais vacillé dans ma vie. Je sais exactement ce que nous devons faire en Irak. Et ma position a toujours été cohérente. Saddam Hussein est une menace, il fallait le désarmer. Il fallait aller aux Nations unies. (...) Il ne fallait pas se jeter tête baissée dans la guerre sans plan pour rétablir la paix.

    Une autre question, sénateur Kerry, si vous êtes élu président. A votre avis, quelle est la menace la plus grave qui pèse sur la sécurité américaine ?

    John Kerry. – La prolifération nucléaire. Il y a plus de 600 tonnes de matières nucléaires non sécurisées dans l'ancienne Union soviétique. (...) Notre président a sécurisé moins de matières nucléaires ces deux dernières années que nous ne l'avions fait les deux années précédant le 11-Septembre. (...) Il faut envoyer un message positif à des pays comme la Corée du Nord. Vous parlez de message confus. Je veux dire au monde que notre but est de contrecarrer la prolifération nucléaire.

    George Bush. – En réalité, nous avons augmenté les fonds pour gérer la menace de la prolifération nucléaire d'à peu près 35 %. Je suis d'accord avec mon adversaire : la menace la plus grave qui pèse sur la sécurité nationale est l'existence d'armes de destruction massive et la prolifération nucléaire. Mon pays s'est engagé avec soixante pays, avec l'initiative de sécurité contre la prolifération. Et cela est efficace. Nous avons convaincu la Libye de désarmer. (...)

    Dernière question, monsieur le président. Sur la Russie et le président Poutine. L'avez-vous mal jugé, ou pensez-vous que ce qu'il fait en modifiant des processus démocratiques au nom de la lutte antiterroriste est bien ?

    George Bush. – Non, je ne pense pas que c'est bien, et je l'ai dit publiquement. Il faut avoir des poids et des contrepoids dans une démocratie. Et j'ai fait savoir très clairement qu'en consolidant le pouvoir dans les mains du gouvernement central, il envoie le message au monde occidental et aux Etats-Unis que, peut-être, il ne croit pas aux contrepouvoirs. Et je le lui ai dit.

    Cela dit, il est aussi un allié solide dans la guerre contre la terreur. Ils ont vécu une situation horrible à Beslan, où les terroristes ont abattu des enfants. C'est à un ennemi de cette nature que l'on a affaire. C'est pour cela qu'il faut être fermes et déterminés pour obtenir justice. C'est exactement ce que comprend aussi Vladimir Poutine. (...) Je serais très heureux de continuer à discuter avec lui dans l'avenir. La Russie est un pays en transition. Vladimir va avoir des décisions difficiles à prendre. (...) Je continuerai à travailler avec lui pendant les quatre années à venir.

    John Kerry. – Je voulais juste dire que j'ai vu de près la transition en Russie et que cela a été pour moi une expérience extraordinaire, car j'y étais juste après la transformation. J'étais probablement l'un des premiers sénateurs, avec Bob Smith du New Hampshire, à visiter les locaux souterrains du KGB et à voir les fichiers avec les noms inscrits dedans... Cela rendait cette transition, que la Russie essayait de mener, très concrète.

    Je regrette ce qui s'est passé ces derniers mois. Et je crois que cela va au-delà de la riposte à la terreur. M. Poutine contrôle à présent toutes les chaînes télévisées. Ses adversaires politiques sont mis en prison. Il est important, bien évidemment, que les Etats-Unis aient une bonne relation de travail avec la Russie. C'est un pays très important pour nous. Nous voulons un partenariat. Mais nous devons aussi défendre la démocratie. (...)

    Ceci nous amène aux discours de clôture. A nouveau, par tirage au sort, sénateur Kerry, vous vous exprimez le premier et vous avez deux minutes.

    John Kerry. – Merci beaucoup, Jim. Merci encore à l'Université. Merci, M. le président. Mes chers compatriotes, comme j'ai dit au début de ce débat, le président Bush tout comme moi aimons beaucoup ce pays. Il n'y a aucun doute, je crois, à ce sujet. Mais nous avons des convictions différentes sur les moyens de rendre notre pays plus fort à l'intérieur de ses frontières et de nouveau respecté dans le monde. (...) J'ai défendu mon pays quand j'étais jeune à la guerre, et je défendrai mon pays en tant que président des Etats-Unis.

    Mais j'ai une différence avec ce président. Je crois que nous sommes plus forts lorsque nous allons vers les autres, lorsque nous menons le monde et lorsque nous construisons de solides alliances.

    J'ai un plan pour l'Irak. Je crois que nous pouvons réussir. Je ne parle pas de retirer nos troupes. Je parle de gagner. Et il nous faut un nouveau départ, une nouvelle crédibilité, un président qui peut rassembler des alliés à ses côtés. J'ai aussi un plan pour gagner la guerre contre la terreur, pour financer la sécurité intérieure, pour renforcer nos militaires, réduire nos dépenses, tendre la main au monde et construire des alliances solides.

    Je crois que l'avenir de l'Amérique sera meilleur parce que je crois que l'avenir appartient à la liberté, pas à la peur. Voilà le pays pour lequel je me bats. Et je vous demande de me donner la possibilité de vous rendre fiers. (...) Et que Dieu bénisse l'Amérique.

    M. le Président, deux minutes.

    George Bush. – Merci beaucoup, Jim, sénateur. Si l'Amérique hésite ou fait preuve de faiblesse dans cette décennie, le monde sombrera dans la tragédie. Cela n'arrivera pas tant que je serai président. Pendant les quatre années à venir, nous allons continuer à renforcer notre défense intérieure, à renforcer nos services de renseignements, à réformer nos forces armées. Notre armée sera une armée de métier. Nous continuerons à garder l'initiative. Nous combattrons les terroristes à travers le monde pour ne pas avoir à les affronter chez nous. Nous continuerons à bâtir des alliances. Ce faisant, je ne confierai jamais la responsabilité de la sécurité des Etats-Unis à des dirigeants d'autres pays. Nous continuerons à répandre la liberté. Je crois dans le pouvoir de transformation de la liberté. (...) En restant fermes, résolus et forts, en tenant parole, en soutenant nos troupes, nous pouvons parvenir à la paix que nous voulons tous. Je vous suis reconnaissant de m'avoir écouté ce soir. Je vous demande de voter pour moi. Et que Dieu continue à bénir notre grand pays.

    Traduction assurée par

    Claire Parker et Isabelle de Vendeuvre, interprètes pour l'Institut français de gestion-Langues (IFG) et transcription réalisée par le service sténos du "Monde"
  • L'Express du 04/10/2004
    Chirac
    Les mots pour ne pas le faire

    propos recueillis par Eric Mandonnet

    Le philosophe Yves Michaud s'est plongé dans trente ans de discours du président pour publier un livre sur la parole et l'impuissance.


    Le 30 septembre, Jacques Chirac a fait du Chirac. Il a appelé à «un engagement collectif sans précédent» pour «briser le cercle vicieux de l'exclusion» - «Si nous le voulons, nous le pouvons.» Un discours à faire sourire Yves Michaud, qui publie Chirac dans le texte, la parole et l'impuissance (1). En observant comment le chef de l'Etat s'est servi de l'insécurité à l'approche de l'élection présidentielle de 2002 - utilisant le même langage que celui que Chirac tenait en 1976 - ce professeur de philosophie a eu l'idée de se replonger dans tous les discours officiels du président tenus depuis le début des années 1970, pour étudier le phénomène de la parole politique en démocratie et les spécificités du langage chiraquien. Ainsi est né un réquisitoire très sévère de la part d'un intellectuel qui assure s'être lancé dans son travail sans a priori: «En 1995, j'ai cru à son discours sur la fracture sociale, je fais partie de ceux qui se sont laissé abuser.»

    Quelle a été votre principale surprise en relisant trente ans d'allocutions chiraquiennes?

    Jacques Chirac a la réputation de changer d'avis sur tout: j'ai constaté, au contraire, de fortes cohérences. Il a quelques idées sur lesquelles il varie peu, mais qui sont en elles-mêmes contradictoires, sur l'agriculture et l'écologie, la nation et la diversité culturelle, la Sécurité sociale et le libéralisme. Il n'est pas davantage imprévisible, il réagit toujours de la même manière. Résultat: ses raisonnements ne sont plus adaptés au début du XXIe siècle.

    Quel mot illustre le mieux la singularité de son langage?

    Le verbe «vouloir». Au départ, il faut vouloir, il ne cesse de le répéter. Mais l'éloge de la volonté se transforme chez lui en éloge du volontarisme, parce qu'il manque un contenu, une vraie pensée politique.

    Que vous inspire son champ lexical?

    Il est très réduit. Ce n'est pas en soi un problème: le vocabulaire de Tony Blair n'est pas très riche, mais il a plus de contenu. Ce qui manque fondamentalement à Chirac, c'est une idée de la justice, celle des répartitions et des distributions, une notion indispensable pour conduire et faire accepter des réformes.

    En quoi le discours du président français se distingue-t-il de celui de ses homologues?

    Son discours sur la France investie d'une mission, chargée de l'universalisme, défenseur des droits de l'homme, fait plaisir chez nous, mais rigoler ailleurs. Si Bush disait la même chose au nom des Etats-Unis, nous hurlerions.

    En 2002, le chef de l'Etat prononce un discours remarqué lors du Sommet mondial sur le développement durable, à Johannesburg. Pourquoi son allocution est-elle perçue différemment en France et dans le monde?

    Voilà un discours significatif du décalage incroyable entre ses mots et ses actes, sans que le président soit d'ailleurs de mauvaise foi. Il tient un propos digne du Monde diplomatique sur les dangers guettant la planète, mais, en même temps, la France est en retard pour l'application des normes européennes sur l'écologie. Sur l'agriculture, je le trouve malhonnête: il dit une chose à Johannesburg, mais fait le contraire à Doha, lors des négociations sur le commerce mondial, où il faut défendre mordicus la politique des subventions européennes à l'agriculture. Mais notre mégalomanie est satisfaite de constater que la France joue un rôle dans le monde en parlant fort.

    Comment caractériseriez- vous ses propos en politique étrangère?

    Chirac veut faire de la générosité la loi du monde et faire régner une compassion universelle. En cela, il est très en phase avec son époque. Mais il ne faut pas oublier le réalisme - nos sociétés voudraient être bienveillantes sans rien sacrifier de leur confort - ni la justice. Aussi sa politique internationale est-elle marquée par une contradiction majeure: il agit au nom des droits de l'homme et revendique un droit international sous l'égide de l'ONU. Mais il est en même temps réaliste sur la souveraineté des Etats, avec la Russie de Poutine ou l'Irak de Saddam Hussein. Cela aboutit à une conception de l'ordre mondial qui est potentiellement celui des voyous. A contrario, les critiques perpétuelles qu'il fait du G 8 me troublent: il n'y a là que des démocraties!

    En politique intérieure, vous êtes frappé par la récurrence des thèmes. L'idée d'une réforme de l'Etat se retrouve dans moult discours depuis près de trente ans...

    Il a fait des kilomètres de discours sur le sujet. Il se rend compte que l'Etat bride les énergies et qu'il nous corsète dans sa bureaucratie. Mais il est par culture dirigiste. Il se plaint des statuts, sans jamais y toucher; pis: dès qu'il identifie une nouveauté dans la société, il propose de créer un statut de plus. Il s'élève contre le nombre excessif des lois, mais, dès qu'il perçoit un problème, il demande une nouvelle loi.

    Vous l'accusez d'agiter le «spectre de l'insécurité». Ne tombez-vous pas dans la posture de l'intellectuel qui n'a vu sur ce sujet qu'un problème de sentiment, là où de nombreuses personnes vivent un quotidien insupportable?

    D'abord, il utilise ce thème comme un fonds de commerce, il fait le coup chaque fois: c'est moi ou le chaos. Ensuite, nos sociétés sont plutôt pacifiées par rapport à celles d'Afrique ou d'Amérique du Sud. Notre problème vient plutôt de nos interrogations sur la manière d'éduquer nos enfants. Chirac, lui, s'est contenté d'une orchestration.

    Pourquoi le verbe chiraquien est-il alors si efficace en campagne électorale?

    L'avantage de ces périodes, c'est qu'elles n'appellent pas beaucoup de contenu. Il suffit d'identifier les thèmes sensibles et de faire des annonces, ce que Chirac réussit toujours bien. Ses difficultés commencent lorsqu'il doit donner du corps à ses projets. Prenez l'exemple de l'école. Depuis trente ans, il répète les trois mêmes idées: il faut mettre l'éducation au service de l'emploi, développer les apprentissages fondamentaux et favoriser l'éveil des sensibilités. Soit c'est tellement compliqué que c'est au-dessus des forces d'un président, soit c'est «grand diseux, petit faiseux», comme on dit dans le Nord.


    (1) Chirac dans le texte, la parole et l'impuissance, par Yves Michaud. Stock, 377 p., 19 €.
  • L'Express du 11/10/2004
    La meilleure classe politique du monde... :o)


    La question turque est d'actualité parce qu'elle permet à nos élus de conserver l'illusion d'une influence.


    La classe politique française fait, une fois de plus, l'admiration de la planète tout entière. Sans que personne le lui ait imposé, voilà qu'elle décide, avec une lucidité sans partage et un courage inégalé, de débattre en détail d'une décision qu'elle n'aura à prendre, en fait, au plus tôt, que dans quinze ans. Face à cet enjeu de très long terme, qui n'est à l'ordre du jour des décisions dans aucun autre pays, les hommes politiques de tous nos partis échangent les arguments les plus sophistiqués. Les modèles économiques tournent à plein, les conceptions géopolitiques s'affrontent, les visions de l'avenir se font face, les parlementaires français se disputent l'honneur de voter, quinze ans avant que cela soit nécessaire, sur une question très difficile: faut-il ou non que la Turquie entre dans l'Union européenne?


    Et comme il ne saurait être question de faire l'injure à cette magnifique élite parlementaire de penser qu'elle n'attachera pas une importance égale aux autres sujets qui engagent le long terme, nous pouvons nous attendre à voir nos ténors politiques se disputer, très bientôt, avec autant d'ardeur et de courage, sur ce qu'il convient de faire pour régler le problème des retraites, pour financer notre système de santé, pour assurer la pérennité de notre système éducatif, pour développer notre appareil de recherche, pour trouver un équilibre entre démographie et immigration, pour éviter la raréfaction de l'énergie...


    Naturellement, il n'en sera rien. Sur ces vrais sujets, autrement plus urgents que l'élargissement de l'Union européenne, on ne trouvera personne, ni à gauche ni à droite, pour avoir un avis, et encore moins pour proposer des réformes. En réalité, c'est même parce que nos hommes politiques n'ont pas le courage de traiter de ces vrais sujets qu'ils se réfugient dans des débats imaginaires, dans des disputes fantasmatiques. Ainsi, la question turque n'est-elle aujourd'hui au premier rang de l'actualité de notre pays que parce qu'elle permet à nos élus de conserver l'illusion d'une influence: incapables d'avoir le courage de poser ouvertement les questions dont ils ont la charge, et encore moins de les résoudre, ils préfèrent se concentrer sur l'un des rares sujets sur lesquels ils ont encore le sentiment d'avoir un certain pouvoir, celui du droit d'admettre ou de refuser des membres nouveaux dans un club dont la France est l'un des fondateurs.


    En agissant ainsi, ils se donnent l'illusion d'avoir un peu de prise sur l'avenir, en même temps qu'ils débattent, en creux, d'une des questions dont ils n'osent parler ouvertement: celle de la place de l'islam dans la France aujourd'hui. Et comme il est plus facile de dire non à la Turquie que de régler le problème de l'intégration, en France, des classes défavorisées, on verra nos élus dépenser sur l'un toute l'énergie qu'ils n'osent consacrer à l'autre.


    Sentant cela, les Français se replient de plus en plus sur leur sphère privée, en épargnant plus que jamais et en refusant de consommer. C'est le temps du chacun pour soi, prélude aux grands naufrages.
  • MSN Messenger, la messagerie qui dévore les soirées des ados

    LE MONDE | 08.01.05 | 13h25
    MSN Messenger, la messagerie instantanée de Microsoft, suscite un engouement croissant chez les jeunes. Ils sont aujourd'hui environ 3,5 millions, entre 12 et 25 ans - soit un tiers de cette tranche d'âge - à échanger par écrit, en temps réel, sur ce système de messagerie privée où ne sont admises que les personnes répertoriées par le carnet d'adresses. Entre copains de classe, MSN s'est substitué aux interminables discussions téléphoniques des générations précédentes, mais aussi aux heures passées devant la télévision. Des professeurs s'inquiètent du temps passé sur l'ordinateur, au détriment des devoirs. Des parents craignent l'influence négative du langage pratiqué sur l'orthographe. "Ces nouveaux codes ne soustraient rien à la faculté d'employer les règles officielles", tempère un sociologue.

    Msn messenger : si les parents les moins familiers des nouvelles technologies ont du mal à saisir ce que recouvre précisément ce libellé anglo-saxon, il ne peut plus leur être inconnu. Leurs enfants en sont fous, et, après le collège ou le lycée, le soir et le week-end, devant l'écran de l'ordinateur, y consacrent parfois des heures. Aujourd'hui, 3,5 millions de jeunes entre 12 et 25 ans - un tiers de cette tranche d'âge - utilisent, en France, la messagerie instantanée de Microsoft. Un phénomène massif qui a profondément modifié leurs habitudes extrascolaires et leur mode de sociabilité.

    MSN Messenger est une messagerie privée, réservée à ses amis, qui permet d'échanger ("chatter") avec eux en temps réel. Microsoft n'est pas le seul opérateur de messagerie instantanée (sa part de marché mondial est de 55 %), mais, en France, il en est l'acteur quasi exclusif. Selon Nielsen Netrating, 6,8 millions d'internautes - dont la moitié ont moins de 25 ans - y ont recours, quand Wanadoo, AOL et Yahoo ! Messengers se partagent moins de 1,3 million d'utilisateurs.

    La messagerie privée possède plusieurs atouts. Elle est d'abord gratuite, dès lors que l'on a accès à Internet. Elle est ensuite plus rapide et conviviale que le mail : pas besoin de taper une adresse, d'ouvrir un courrier. Les échanges des "chatteurs" s'enchaînent sur la même page, en temps réel. Pour peu que les acteurs soient équipés d'une webcam - devenue très abordable - et que le débit soit élevé, et la conversation a lieu presque en tête à tête, quels que soient les mers et les kilomètres parcourus.

    Surtout, la messagerie privée est aussi plus confidentielle que le "chat" traditionnel, puisque les indésirables, ceux que l'on n'a pas répertoriés dans les carnets d'adresses, ne peuvent s'immiscer. Et bien plus pratique que les Texto que l'on tape laborieusement sur son téléphone portable. Avec MSN Messenger, on papote avec son amoureuse, son meilleur copain, l'amie de son ami, voire plus si affinités : quinze personnes peuvent en effet participer au "chat" en même temps. Mieux : la messagerie instantanée permet de participer, simultanément, à dix espaces de discussion.

    Aujourd'hui, à la sortie des collèges, on entend : "On se retrouve sur MSN." Avec la webcam, le terme "se retrouver" n'est pas usurpé. On peut même montrer à ses potes sa chambre, la tête de son frère ou de sa soeur. MSN est idéal pour organiser une sortie au cinéma en bande, faire ses devoirs avec ses amis de classe, ou encore parler de tout et de rien pendant des heures, sans craindre de bloquer le téléphone familial et d'alourdir la facture qui va avec.

    JARDIN SECRET

    Les enseignants ont constaté les premiers que leurs élèves passaient beaucoup de temps sur la Toile - surtout trop tardivement. Les parents, eux, ont mis quelque temps à prendre la mesure du phénomène, tant enfants et adolescents prennent soin de garder secret ce jardin qu'ils considèrent comme strictement privé (dans les témoignages de cette page, tous les prénoms ont d'ailleurs, à leur demande expresse, été changés). Ils s'amusent ou s'inquiètent de cette orthographe barbare aperçue fugitivement sur l'écran d'ordinateur sur lequel "planchent" - si longtemps - leurs enfants. Ou s'étonnent du silence qui règne dans la maison.

    En très peu de temps, ce mode de communication a en effet bouleversé les habitudes des plus jeunes. Téléphone et télévision ont pris une place moins importante dans leur univers. A en croire un sondage Ipsos réalisé pour MSN et l'agence de publicité interactive Nurun auprès d'un (petit) échantillon de 302 jeunes de 15 à 25 ans utilisateurs réguliers d'Internet, le Web "est leur média de prédilection". A la question : "Si vous ne deviez garder que deux médias dans votre vie, lesquels choisiriez-vous ?", ils répondent Internet à 61 %, la télévision à 49 %, le cinéma à 35 %, la radio à 29 %, la presse quotidienne à 17 % et les magazines à 9 %.

    Cette mini-révolution s'est faite en effet en très peu de temps. Lorsque, en 1997, la société américaine ICQ - pour "I seek you", c'est-à-dire "Je te cherche" en anglais -, depuis lors rachetée par AOL, lance le concept de messagerie instantanée, celle-ci est conçue comme un outil professionnel. Microsoft le reprend en 1999. Il y a bien les "émoticônes", ces petits symboles - une petite tête souriante :), une autre rougissante, ou encore un coeur rouge... - censés permettre à leurs utilisateurs de partager leurs émotions. Mais il s'agit plus d'un gadget d'informaticiens pour habiller convivialement des documents de travail que d'un outil conçu pour les jeunes.

    Aux Etats-Unis, les particuliers ne sont pas fans de SMS et de téléphonie mobile. Mais ailleurs, et notamment en France, l'époque est aux Texto, aux nouveaux parlers, aux tribus. Et quoi de mieux qu'une messagerie instantanée et gratuite ? "Très vite, on a vu les jeunes s'approprier Messenger, inventer leur langage", raconte Gregory Salinger, patron de MSN France.

    En juin 2003, MSN lance donc la version 6 de Messenger, cette fois-ci pensée et conçue pour les jeunes. Tout est fait pour leur plaire. De nouvelles "émoticônes" sont créées. Les utilisateurs de MSN peuvent aussi joindre leur photo ou un dessin à côté de leur texte. Et accéder à des jeux. En revanche, pas question d'introduire un correcteur d'orthographe, comme le demandaient certains parents et enseignants.

    La version 7, en cours de lancement, accentue encore cette évolution. Elle permet de se créer facilement son weblog et introduit des animations sonores et mobiles, comme cette bouche vermillon qui claque bruyamment la bise sur votre page d'ordinateur.

    Les 12-25 ans, les 25-35 ans de demain, font l'objet de toutes les attentions de Microsoft. Une anthropologue, Anne Cohen-Kiel, est même chargée depuis 1999 par le groupe d'étudier la vie des internautes pour définir au mieux leurs besoins, et orienter les recherches des ingénieurs en conséquence. La recette n'a pas la même efficacité partout. Les Etats-Unis restent frileux, le Japon franchement rétif. "Le concept est trop intrusif par rapport à la culture ou au code de bonne conduite", explique-t-on chez MSN.

    Le développement des messageries instantanées dépend aussi des facteurs technologiques. La Corée, où le gouvernement a imposé le haut débit à tous les internautes, en est la plus grosse consommatrice. Aux Pays-Bas et en Belgique, également accros à cette technologie, MSN fait un tabac, comme en Espagne, où la déficience des réseaux téléphoniques a assuré le succès des réseaux alternatifs.

    En France, entre mai 2003 et aujourd'hui, le nombre d'utilisateurs de MSN Messenger, tous âges confondus, est passé de 2,7 à 6,8 millions. "Nous sommes entrés dans la vie quotidienne des gens", dit Gregory Salinger.

    Ariane Chemin et Virginie Malingre



    "Trop de taf pour 2m1"

    Voici un extrait d'une conversation-type entre deux jeunes utilisateurs de MSN de 15 ans, dont nous avons respecté l'orthographe, les codes, le vocabulaire, comme s'il s'agissait d'une "capture écran". Le premier des "chatteurs" a choisi pour surnom "Jen peu pu d'cette vie". Le second s'appelle "Velvet vs Big Mac". Chacun écrit à l'autre à la suite du message qu'il vient de recevoir, en temps réel.

    Jen peu pu d'cette vie dit :

    - Hey gars T là

    Velvet vs Big Mac dit :

    - Slt -salut- tu fai koi ?

    Jen peu pu d'cette vie dit :

    - Rien. Et toi ?

    Velvet vs Big Mac dit :

    - Je glande sur MSN. Tu vas bien ?

    Jen peu pu d'cette vie dit :

    - Bien à part que trop la déprime. trop de taf pour 2m1 -demain-

    Velvet vs Big Mac dit :

    - Looooool -Lol est le mot-clé qui signe l'utilisateur d'une messagerie instantanée. A l'origine, il s'agit des initiales de laughing out loud, mort de rire-

    Jen peu pu d'cette vie dit :

    - En + g pas commencé ! ! !

    Velvet vs Big Mac dit :

    - MDR -pour mort de rire-. Il serait temps de t'y mettre. DSL -pour désolé- pour toi.

    Jen peu pu d'cette vie dit :

    - Oué c KLR -galère-. Bon la gente parentale me réclame pour dîner. A +. Je dois te laisser ++ @ 2m1
  • Suite et fin du dossier MSN publié dans Le Monde daté d'aujourd'hui.


    Tout l'imaginaire des 12-25 ans dans les "nicks" (ou pseudos)


    LE MONDE | 08.01.05 | 13h25

    Pour faire partie de la communauté MSN Messenger, il faut un surnom. Les enfants ou les adolescents disent plutôt un pseudo ou un "nick", pour nickname. Lorsque les messageries se sont imposées aux moins de 20 ans, à l'été 2003, les utilisateurs qui entraient dans une liste de contacts conservaient leurs surnoms longtemps. Les plus petits choisissent des mots simples, comme "Allez l'OM", ou "je déteste le prof de maths". Ou gardaient le petit nom donné par les amis. Aujourd'hui, ils en changent comme de chemise. Les filles, plus rompues au journal intime, choisissent souvent un "petit proverbe", une "petite maxime"par jour.

    Avec la nouvelle année sont aussi apparus les "Leo 2005" ou "Samia 2005". En septembre 2004, on a vu beaucoup de "la rentrée c'est nul". "Le pseudo reflète l'état d'esprit du moment", résume Charles-Antoine, 16 ans. Cette semaine, après la rentrée des vacances de Noël, l'état d'esprit des lycéens, c'était, forcément : "Déjà marre des cours".

    Les "nicks" réagissent en temps réel à la conjoncture et suivent des "petites modes", comme dit Charles-Antoine. Depuis les ravages des tsunamis en Asie, tous les adolescents qui utilisent MSN Messenger ont ajouté à leur "buddy" - pote, en anglais, c'est-à-dire le petit personnage inscrit avant leur pseudo - un petit logo jaune avec deux doigts qui se croisent. Lors de l'intervention américaine en Irak puis des attentats à Madrid, le "no a la guerra" a fleuri sur les listes de contact de MSN. Lors de l'épidémie de SRAS, les buddies étaient masqués.

    "On prend surtout des pseudos états d'âme", dit joliment Lola, 14 ans. Une fille qui a perdu son amoureux s'appelle au moins pour quelques jours"il m'a breaké". Une autre écrit : "Max faut qu'on parle". Parfois, le style est beaucoup plus direct.

    Bien avant l'adolescence, l'humour est souvent noir, le pseudo (faussement) désespéré. Isaure, 12 ans, a choisi "La vie est belle (ironi trè profonde)" ; un autre élève de son collège, 11 ans, "Je m'appelle Joseph et je fais pitié". Chez les ados, l'inspiration vient beaucoup de la musique et du cinéma, et qui varie évidemment suivant les tribus. Dans la même classe de première, un garçon a choisi "Waiting for an angel", d'après Ben Harper, une fille "la petite pop's quelque part dans le monde abstrait".

    Dans les tribus des lycées parisiens, on cite même Lamartine ou Sénèque dans le texte. "Ce qui est incompréhensible, c'est que le monde soit compréhensible", se nomme ce brillant élève de terminale S, et un autre : "Un seul être vous manque et tout est dépeuplé". Mais en général, c'est plutôt : "Ma puce, je suis toute gaise" (contente), ou "hip-hop, ça déchire".

    Ariane Chemin et Virginie Malingre


    Un professeur s'inquiète du temps "gaspillé"


    LE MONDE | 08.01.05 | 13h25

    "Ils sont complètement absorbés, comme on peut l'être par des drogues"

    "Messenger, c'est comme une drogue pour tous les ados" : Armelle, 15 ans, est lycéenne en seconde 5, au lycée Rodin, à Paris, dans le 13e arrondissement. Grosse consommatrice de la messagerie instantanée de Microsoft, elle parle d'elle-même comme si elle était en cure de désintoxication. "Avant, j'avais besoin d'aller sur l'ordinateur dès que je rentrais à la maison. Je pouvais y passer jusqu'à huit heures par jour. C'est un cercle vicieux. On reste là à attendre que quelqu'un se connecte. Presque toute ma classe a une adresse Messenger. Maintenant, je me limite à une ou deux heures, mais je ne peux pas m'en passer", poursuit-elle.

    La prise de conscience de sa dépendance a eu lieu grâce à son professeur principal, Didier Amran. "Ils sont complètement absorbés par Messenger et Internet, comme on peut l'être par d'autres drogues. L'ordinateur va bientôt remplacer la télé", juge ce professeur de sciences physiques de 53 ans. En début d'année, il s'alarme du faible niveau de sa classe. Et fait remplir à tous ses élèves un questionnaire pour comprendre leur mode de fonctionnement. Il leur demande combien de temps ils passent sur leurs devoirs et combien d'heures ils consacrent à leurs activités extrascolaires. En moyenne, ses élèves travaillent six heures par semaine en dehors des cours, contre dix heures pour l'ensemble du lycée. Le chiffre est bas. Mais quelle n'est pas sa surprise quand certains déclarent que leurs activités hors classe les occupent vingt-quatre heures par semaine. "Ils m'ont expliqué qu'ils surfaient sur Internet et chattaient sur Messenger", raconte-t-il.

    "Quand je demandais à mes élèves pourquoi ils ne travaillaient pas plus, ils me répondaient qu'ils n'avaient pas le temps", poursuit-il. Pour leur prouver le contraire, il leur fait remplir à chacun un emploi du temps, dans lequel ils détaillent le contenu de leur journée : réveil, cours, karaté, sortie au cinéma, dîner... "Il leur restait trente heures par semaine en moyenne. Ils étaient ébahis de comprendre qu'ils gaspillaient ces trente heures sans s'en rendre compte."

    "Je ne me rendais pas compte du temps que je passais sur Messenger, confirme Armelle. Je ne faisais plus mes devoirs. Je les faisais en cinq minutes avant d'aller me coucher ou le matin." Son père, Thierry, rectifie : "Elle allait chercher les corrigés sur Internet ou faisait faire son travail par ses copains sur Messenger." "Les élèves pensent que ce n'est plus la peine d'apprendre, puisqu'ils trouvent toute la connaissance sur Internet", déplore M. Amran.

    C'est quand M. Amran le convoque, comme vingt et un autres parents d'élèves de la seconde 5 sur une classe de trente-cinq enfants, que le père d'Armelle prend véritablement conscience des dégâts. Depuis, il a verrouillé l'accès à Internet grâce à un code secret.

    Virginie Malingre
  • Je suis d'accord avec eux, MSN fait des petits jeunes de futurs dégénérés qui ne savent parler qu'en SMS...Affligeant...
    Heureusement que certains forums condamnent cette pratique hein ;)

    Juste un petit truc : si mes souvenirs sont bons, Mirabilis (qui a lancé ICQ) est une boite israélienne et non pas américaine (en plus je crois que c'est vrai :D )
  • Justement holicool, les conclusions de ces articles sont beaucoup plus nuancées quant à la perte de l'orthographe traditionnelle au profit du langage SMS. Ce n'est d'ailleurs pas ça le principal problème, le gaspillage de temps est peut-être plus grave...
  • ... et on en sait quelque chose...
  • holicool a écrit :
    Juste un petit truc : si mes souvenirs sont bons, Mirabilis (qui a lancé ICQ) est une boite israélienne et non pas américaine (en plus je crois que c'est vrai :D )


    Exact, c'est israélien. Mais Mirabilis a été racheté par AOL et peut donc être considéré comme une boîte ricaine :)
  • rachmaninov a écrit :
    Justement holicool, les conclusions de ces articles sont beaucoup plus nuancées quant à la perte de l'orthographe traditionnelle au profit du langage SMS. Ce n'est d'ailleurs pas ça le principal problème, le gaspillage de temps est peut-être plus grave...


    Oui, tu as raison Rachma :) C'est encore plus inquiétant tout cela... Ca promet pour le futur hein... La technologie abétit, moi je vous le dis :)
  • marc a écrit :

    Exact, c'est israélien. Mais Mirabilis a été racheté par AOL et peut donc être considéré comme une boîte ricaine :)


    Ah merci, je n'avais pas rêvé alors :)
    Quand le business rejoint la politique... ;)
  • Citation:

    Tout l'imaginaire des 12-25 ans dans les "nicks" (ou pseudos)
    Chez les ados, l'inspiration vient beaucoup de la musique et du cinéma, et qui varie évidemment suivant les tribus.


    Merde, je suis encore un ado dans l'âme alors? :))
    J'arrête pas de mettre des bouts de chansons comme nick...

    Sinon, je ne peux pas me prononcer sur les conséquences chez les jeunes collégiens ou lycéens, mais il est évident que si j'étais parent mes enfants n'auraient pas à trainer sur msn plus d'une ou deux heures par jour.

    Après, pour ma part, je dois avouer au moins y passer 4h par jour, sans que ça n'ait d'influence sur mes résultats scolaires d'ESC. Le temps, ça se gère, mais msn n'est pas forcément la cause d'une diminution des résultats scolaires... Le temps qu'on y passe substitue celui que les memes gamins auraient de toute façon passé soit au téléphone, soit devant la télé, etc. Car msn est un divertissement comme il en existe des tas, faut pas se leurrer. Plus à la mode car interactif et nouveau. Et je pense pas que communiquer soit une perte de temps, même si on ne discute pas avec Aristote... ça me semble moins pire qu'un enchainement "Hélène et les garçons" puis "Star Ac" puis "une nounou d'enfer", etc. Mais ce phénomène social permet un raccourci qui arrange les profs et le monde éducatif. On remet les enfants en cause, car c'est plus agréable que de se remettre soi-même en cause, ou d'accabler des parents permissifs à outrance et à la masse.

    Bref, je pense que c'est surtout un ensemble de facteurs socio-économiques qui jouent aussi, et des parents démissionnaires laissant leurs rejetons faire de plus en plus ce qu'ils veulent. Je sais qu'au lycée, mes parents ne regardaient jamais pour mon taf ou la gestion de mon temps, j'étais libre, mais si je ramenais de sales notes, je m'en souvenais et ça me responsabilisait quand même alors que j'aurais pu passer mes soirées à la Nintendo ou regarder "premiers baisers". Damned. Du coup, voilà, je savais faire gaffe... Et je pense que tout ça est un débat séduisant car très actuel, mais dont le fond n'est pas si pertinent que ça.
  • Je suis pas totalement d'accord father-tom :)

    Tu peux te permettre de relativiser, car tu es déjà d'un "certain âge", non pas que tu sois vieux, mais tu as le recul nécessaire pour dire que MSN ne peut être nuisible si on sait modérer le temps passé dessus.

    Autrement dit, tu n'es pas de la génération "85 et +" (je sais de quoi je parle, j'ai une soeur née par là), génération composée de jeunes gens qui ont passé (ou passent encore) toute leur adolescence entre les playstations, les sms, la Star Ac' et j'en passe.
    Bref, des jeunes qui sont le public cible préferé des départements marketing de toutes les grosse sociétés qui se respectent...

    Car dans leur cas, pfiou, je suis pessimiste quant à la qualité de leur français, ou même leur motivation pour travailler ou bien étudier... :-/
  • Cinq vérités sur le "foot-business, par Frédéric Thiriez
    LE MONDE | 26.02.05


    C'est une affaire entendue, il y a beaucoup trop d'argent dans le football français. 600 millions d'euros par an, quel scandale ! Quand on manque d'hôpitaux, d'écoles et que la misère s'étale dans nos rues... Et tout cela pour enrichir encore des joueurs surpayés, des intermédiaires douteux et alimenter des comptes dans les paradis fiscaux. Et le sport, dans tout ça ?

    Qui, aujourd'hui, dans le déferlement d'enquêtes administratives ou judiciaires de tout poil, ne l'a, à défaut de le dire, pensé très fort ?

    Entendons-nous bien : les magistrats ou hauts fonctionnaires qui sont à la passerelle et les policiers ou enquêteurs qui sont aux machines ne font que le travail que commandent, qui leur conscience, qui leurs consignes. Tous ceux qui, comme moi, réclament un football propre seraient particulièrement malvenus de s'en prendre à eux.

    Pas plus que toute autre activité économique, le football n'est au-dessus des lois ni à l'abri des enquêtes. Et, comme activité sportive, il a même - excusez du peu - un devoir d'exemplarité. Que la lumière soit faite sur le passé, sans crainte mais sans haine, et l'avenir n'en sera que plus clair.

    L'injustice est ailleurs. Elle est dans l'insinuation, la rumeur, le non-dit social, selon lequel l'argent du football est forcément sale, puisqu'il est indu. Le préjugé, mêlé d'ignorance et de nostalgie, méconnaît cinq vérités.

    Ignorance. Non, l'argent ne coule pas à flots dans le football français. Le football professionnel est le premier organisateur de spectacle vivant en France. Il draine chaque année 10 millions de spectateurs dans les stades et plus de 100 millions de téléspectateurs.

    Son "chiffre d'affaires" total est d'environ 800 millions d'euros, moins que celui d'Eurodisney et le quart à peine de celui de l'industrie du cinéma. Et les ressources de nos quarante clubs réunis représentent exactement la moitié de celles des seuls vingt clubs de la Premier League anglaise, tandis qu'aucun club français, même le triple champion de France, ne figure parmi les dix plus gros budgets européens.

    Oui, le succès de l'appel d'offres pour les droits de retransmissions, en décembre 2004, permettra de rattraper une partie de notre retard par rapport à nos voisins, mais une partie seulement, en raison de la nette supériorité de ces derniers en recettes de billetterie, de marketing ou sponsoring et de leur fiscalité largement plus avantageuse.

    Avons-nous à rougir de cette réussite qui donnera au football français une chance de briller enfin dans les compétitions européennes, de développer et de préserver la formation de nos jeunes, de moderniser nos stades et d'améliorer la qualité de nos championnats ?

    La France que nous aimons a-t-elle honte d'elle-même au point de vilipender ses propres succès ? 1998 est-elle si loin que nous ayons déjà oublié que le sport, au même titre que la recherche, les arts, la culture et les hautes technologies, est un des premiers vecteurs du rayonnement français dans le monde ?

    Non, l'argent n'est pas gaspillé. L'objectivité oblige même à reconnaître que nos clubs professionnels sont les mieux classés en Europe au concours de la saine gestion, grâce à une politique de rigueur menée avec constance par la direction nationale de contrôle de gestion de la Ligue depuis dix ans.

    Certes, ils ne font pas de bénéfices. Qu'entendrions-nous, d'ailleurs, s'ils en faisaient ! Mais ils se rapprochent de l'équilibre au 30 juin 2004 (- 30 millions d'euros) et y seront au 30 juin 2005, avant même "le pactole" annoncé des droits télévisés.

    Dans le même temps, l'AS Rome annonce un résultat négatif de 115 millions d'euros, Dortmund de 67 millions, Arsenal de 50 millions. Ouvrons les yeux : aucun club français n'est menacé de dépôt de bilan, aucun arbitre n'est corrompu, la violence et le racisme régressent, le championnat remplit les stades et fait grimper l'Audimat.

    Surtout, le football amateur, avec ses 2 millions de jeunes, ses 20 000 clubs, ses 50 000 matches hebdomadaires, encadrés par 350 000 bénévoles et 27 000 jeunes arbitres, fait des miracles tous les week-ends pour l'intégration, la citoyenneté et la cohésion sociale. Alors, de grâce, halte au maso-poujadisme du "Tous pourris !".

    Oui, le football d'élite est généreux. Et puisqu'il faut encore parler d'argent, parlons-en. La répartition solidaire des droits télévisés, acceptée par les clubs de Ligue 1, fera de la 2e division française la plus riche d'Europe.

    Oui, avec 20 millions d'euros versés chaque année au football amateur et autant aux autres disciplines sportives avec la taxe de 5 % sur les droits audiovisuels, le football professionnel français fait figure d'exemple, sans même évoquer le soutien, toujours acquis, aux causes humanitaires, grandes ou modestes, de la part des clubs, de la Ligue ou des joueurs eux-mêmes.

    Mais si le rappel de quelques vérités ne suffit pas, c'est que le mal est plus profond : il relève non seulement de l'ignorance, mais aussi de la nostalgie.

    La critique récurrente du "foot-business" ne fait qu'exprimer un refus profond du professionnalisme, accusé de trahir l'éthique sportive de la gratuité. La beauté du sport est nécessairement désintéressée. Mais n'en déplaise aux amoureux du temps jadis, cette conception aristocratique de l'olympisme, qui réserverait volontiers la pratique sportive à une élite fortunée, est condamnée par l'histoire depuis plus de soixante-dix ans.

    Il n'est pas plus choquant de rémunérer un athlète qu'il n'est condamnable de rétribuer un artiste. La création artistique, comme la pratique sportive, est certes d'essence non marchande. Mais consacrer l'existence d'un secteur économique dans l'art ne nuit pas plus aux pratiques culturelles de masse que le sport professionnel nuit à la pratique sportive quotidienne. Bien au contraire, l'un et l'autre s'enrichissent mutuellement... au bon sens du terme. Et si l'économie comme la société française s'y retrouvent, en matière de création de richesses, d'emplois et de promotion sociale, qui s'en plaindra ?

    Oui, le professionnalisme est une vertu, et non une tare. Géré comme une entreprise et non plus comme la danseuse d'un mécène ou le gouffre d'une municipalité, le football se rationalise, se responsabilise, devient plus transparent, bref... se professionnalise. C'est, comme l'écrit Patrick Mignon ("L'argent du football", revue Pouvoirs, avril 2002), "le cercle vertueux" de la rationalité économique : la folie des grandeurs, les déficits abyssaux, la dissimulation, la corruption, la tricherie ou la fraude s'accommodent mal du regard scrupuleux d'investisseurs sérieux comme ceux qui gouvernent la plupart de nos clubs aujourd'hui.

    A dire vrai, le véritable enjeu n'est plus franco-français, il est européen. Car la rigueur et la transparence, voulues et pratiquées par nos clubs, ne sont pas de mise chez nos voisins, notamment italiens et espagnols, où le laxisme prévaut avec son lot de déficits, d'aides d'Etat déguisées, de surenchères salariales et de pillage des pays formateurs. Une vraie régulation européenne, assortie d'un contrôle financier centralisé des grands clubs, s'impose.

    Mais non, décidément, cette question, le football ne peut la régler seul.
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    Modifié par jpdarky ·
    jpdarky
    Serieusement, sur l'echelle "Pierre Menes" des articles de merde, enfin ce n'est meme pas un article, ce machin de Begaudeau que je vais vous copy/paste plus bas, ca se situe quelque part entre 9 et 10.

    Il arrive a placer "nazi" en deuxieme position des mots de l'article, et conclue tout simplement que les supporters n'aiments le foot que pour la Victoire et que tout le reste [identite du club en particulier, ca devrait interpeller du monde par ici] c'est pas vrai. Je pense que ce n'est pas la peine de demonter les arguments de l'article, vu qu'il n'y en a pas. Imaginez combien de supporters auraient du rester au Racing apres les 11 defaites d'affilee de Jean-Marie Mendel Furoncle, apres la descente en National, etc.

    Au dela de l'inanite de parler des "supporters" comme une entite homogene; si j'ai bien compris, Begaudeau tire des evenements du PSG de ce debut d'hiver des conclusions approximatives sur le phenomene supporters.

    Quelqu'un se cotise pour lui envoyer le HS de SoFoot sur les supporters ? Non, on s'en fout qu'il reste la ou il est.

    Ha oui, je ne voulais pas necessairement reveler mon opinion sur l'article, opinion nuancee s'il en est, mais au cas ou je n'etais pas clair : je pense que c'est un papier de merde. Beaucoup de talent en tout cas.

    Blourg

    JPDarky

    http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/20120107/html/830648.html

    "Begaudeau dans Le Monde" a écrit :

    7 janvier 2012
    Bêtise du supporteur
    http://www.lemonde.fr/journalelectronique/donnees/protege/2012010...
    Salut nazi, cris de singe à l'adresse d'un joueur noir, élégance Kronenbourg, bastons en meute : il est entendu que le supporteur de foot dispose d'une belle panoplie de conneries. Mais ces comportements sont jugés marginaux, et leurs auteurs vus comme des exceptions - les fameux " deux ou trois excités " immortalisés par l'immortel Thierry Roland -, confirmant la règle selon laquelle les supporteurs sont en grande majorité des gens inoffensifs voire admirables. Alors que dans la fonction même se niche une bêtise qui n'a pas besoin de poussées racistes ou belliqueuses, une bêtise intimement familière de l'auteur de ces lignes : la bêtise du soutien inconditionnel à une équipe.

    Cette inconditionnalité est une si évidente négation de l'intelligence que les intéressés s'empressent de conditionner leur prédilection ; de lui donner un contenu. Les voici évoquant solennellement l'identité du club, en la liant à sa localisation ou au type de football pratiqué. Mais, à l'heure de l'hypermobilité des joueurs et des entraîneurs mercenaires, comment croire en la possibilité de perpétuer une identité régionale ou une identité de jeu ? Lens est un club sympa parce que les gens du Nord sont sympas et le Barça joue en passes courtes, mais sinon ?

    Le supporteur avance alors qu'il y a dans chaque club un élément de stabilité qui est son histoire, dont certains cadres assurent la mémoire. Soit. Mais alors il aurait été logique qu'à l'annonce de la reprise du PSG par des milliardaires du Qatar tous les supporteurs, faute de rendre leur carte d'abonnement, réexaminent au moins la question de leur adhésion. Or, rien. Pas même la fugace bouderie qu'on avait vu poindre dans les gradins des stades de clubs anglais repris par des fonds de pensions américains ou des mafieux russes. Plutôt un tapis rouge et de roses déroulé à M. Al-Khelaïfi, et redéroulé il y a deux semaines à M. Ancelotti. Identité, continuité, tradition, histoire ? Et comment : Leonardo a joué un an sous les couleurs du PSG.

    Au vrai, l'élégant président et son non moins élégant manageur général se comportent comme des salopiauds, et s'il se trouve parmi les fans du PSG quelques individus un peu remontés contre le capitalisme financier, les manoeuvres récentes de leur club fétiche leur fournissent un exemple parfait de surenchère spéculative éhontée : l'entreprise va bien ? l'équipe est première du championnat ? c'est pas encore assez. Virez-moi les ploucs nationaux en place et apportez-moi de l'élite mondiale. Et si possible une star anglaise de la mode.

    De tout cela le supporteur s'offusquerait s'il n'était justement en mode supporteur, en mode inconditionnel, en mode crétin. L'un d'eux, entendu à la télé : " Franchement, Kombouaré il a fait du bon travail, mais Ancelotti c'est un autre niveau ! " En réalité le supporteur se fout de l'identité, du jeu, de la région. Se fout de tout sauf de la victoire du club que l'aléatoire géographique lui a fait élire. Tout ce qui mène à elle est bon à prendre. Ecoutez les stades : emplis de clameurs quand l'équipe hôte mène, silencieux comme un cimetière quand elle est menée. Qu'on se le dise, de Marseille ou d'Amsterdam, le supporteur ne supporte que la victoire ; d'ailleurs en général il supporte très mal la défaite.

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Stammtisch
  • raukoras Et vivement qu'il parle mieux, ça lui permetra de s'éloigner des EDL façon bingo-MK
  • raukoras Oui, c'est très bien qu'il fasse des efforts pour parler français, on voit bien que ce n'est pas facile pour lui
  • athor Il fait des efforts en français, c'est bien
  • sigur 2 minutes à écouter Emegha en conf. Déjà mythique.
  • pliughe Bonne nuit
  • takl bonne nuit
  • takl 2024 devrait accoucher d'un 2025 appaisé et empathique. Tout va bien se passer, le Racing sera en L1, paix amour liberté et fleurs.
  • takl futur antérieur : [lien]
  • takl mais bon on a pas le droit de les exterminer. Y'en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes.
  • takl le monde serait mieux sans "les gens"
  • takl les gens tu leur donne une pelle ils creusent avec le manche
  • pliughe Pff si les gens creusé un peu plus ça nous éviterait de polluer
  • takl BO de la saison : [lien]
  • takl il manque plein de choses dans la dernière phrase, dont des mots, la honte.
  • takl allez dédicace à tous ceux qui ont eu la "cahnce" de mourir avant vu la Racing BlueCo [lien]
  • pliughe Mais oui
  • takl Excellent les Young Gods
  • pliughe L'octogone
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  • pliughe Et pour le fun, genre yen a dans locomoteur et puis l'entraînement

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