The Lord Of The Krim' - Le Seigneur de la Meinau

26/06/2023 01:24
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Chroniques en Terre des Bleus. Livre 1 - La Communauté de la Meinau.
Episode 01.
« Maaaartzeeell’ !! »

« MARTZEL ! »
< Il sursaute >
« Ya Suzanne ! »
« Ils z’arrivent ! »

Marcel déposa méticuleusement la tige de bois, qu’il utilisait pour agencer le charbon, les pommes de pin et le papier journal dans le brasero, sur le reposoir destiné à cet effet. Il quitta le jardin pour regagner la porte-fenêtre de la cuisine. Il traversa celle-ci, gagna le couloir, et se dirigea vers la porte d’entrée principale de la maison. Il saisit et actionna la clenche de la porte, et trouva Philippe, qui venait de refermer le portillon du jardin, et qui commençait à grimper les quelques marches qui le séparaient de l’entrée.

« Mon Marcel ! » s’exclama Philippe, sans accent.
Il reçut en retour un grand sourire silencieux du petit bonhomme rondouillard. Deux bises et une franche accolade conclurent ces joyeuses retrouvailles.
<Fort accent alsacien>
« Rentre à l’intérieur ! »

Philippe franchit le seuil, encouragé par la main dans le dos de Marcel. Il salua Suzanne, qui l’attendait dans le couloir, et lui tendit un magnifique bouquet de lys d’un joli dégradé de rose et de blanc. Philippe se dit alors que le vieil adage qui dit que « qui s’assemble se ressemble » n’avait jamais aussi bien porté son nom : Suzanne et Marcel ne dépassaient, tout deux, pas le mètre soixante, et avaient un embonpoint certain.

« Yoooo ! Il fallait pas Philippe ! Elles sont cholies !»
Suzanne repartit d’un pas décidé vers la cuisine, et s’empressa de faire l’honneur de son plus beau vase au bouquet nouvellement arrivé.
Philippe entra dans le salon sur la droite, et s’assit sur le fauteuil de cuir brun, qu’il devinait électrique. Marcel prit place en face de lui, sur un grand canapé du même ton, et fixa Philippe, avec toujours ce grand sourire.

Philippe, fin et élancé, était vêtu d’une chemise et d’un pantalon de toile assorti. Rasé de près, il avait la dégaine du directeur qu’il était. Né en région parisienne, il avait fréquenté, jeune, les travées du Parc des Princes. Et puis une mutation l’avait envoyé en Alsace, à Strasbourg, où il vivait très confortablement depuis une dizaine d’années. Philippe était un « accepté » : S’il ne parlait pas alsacien, il en comprenait les contours, et sa répartie faisait le reste. Il n’avait pas encore troqué la blanquette de veau pour la flammekueche du dimanche soir, mais il avait découvert, avec effroi, qu’il ne pouvait plus se passer du Stade de la Meinau. Invité un jour par un ami, il s’était pris d’affection pour le club bleu et blanc, et son public. Son « Jetzt geht’s los » balbutiant et sans accent du début était devenu plus franc, au fil des années. Parisien dans la vie, il était devenu strasbourgeois dans son cœur.

Le bruit de la porte métallique du four qui se referme fut suivi d’un délicieux fumet, qui se propagea dans toute la maison.
« Rhubarbe ! » s’exclama Marcel.
Philippe acquiesça de la tête. Marcel se leva, et se dirigea vers le buffet en bois sombre. Il saisit un cadre et le tendit à Philippe. Philippe y vit une photo aux couleurs un peu passées, où l’on devinait Suzanne plus jeune, aux côtés d’un grand gaillard barbu, en complet impeccable. Sous la photo, il lut les mentions :

Canton de Rohansheim - Concours culinaire 1988
Prix d’excellence « Dessert » décerné à Suzanne KLEINFUSS
Le maire de Rohansheim, Théo Dehn.


Philippe sourit. La tarte à la rhubarbe de Suzanne est aux desserts ce que la bombe nucléaire est aux armes : Un outil de destruction massive. Il se souvint en avoir fait l’expérience deux ans auparavant, et se promit de ne plus faire l’erreur de trop manger avant. Les huit centimètres de meringue moelleuse et caramélisée, qu’aucun autre cuisinier n’avait jamais réussi à reproduire malgré moultes essais, recouvraient une tarte « maison » absolument délicieuse.

La sonnette retentit.
« Ah ! » Marcel se dirigea promptement vers l’entrée, et trouva Steeve en face de lui.
Steeve, la petite quarantaine, était un grand gaillard blond, aux cheveux courts et impeccablement coiffés. Il était vêtu d’un maillot bleu, saison 2021-2022, aux couleurs du club de son cœur, qui laissait deviner un ventre certain. Il était lesté à chaque bras d’un pack de 24 cannettes Meteor, dont le poids ne semblait nullement le faire souffrir.
« Tiens mon Marcel ! Quelques munitions ! Je connais le chemin, je te les dépose à la cave ! »
Marcel, après des remerciements répétés, s’écarta pour laisser passer Steeve.
« Il n’est pas encore là, le p’tiot’ ? » lança Steeve.
« Il vient de loin, lui. De Sélestat, ça fait 90 km au moins. » enchaîna Marcel avec son accent caractéristique.

Rohansheim était un petit village du nord du Bas-Rhin, perdu entre Niederbronn-les-Bains et Woerth. On y trouvait une église, une école élémentaire et un petit lotissement, où Marcel et Suzanne avaient construit dans le début des années 70. Leur maison était un petit pavillon typique de cette époque, sans étage, au centre d’un terrain modeste, et entretenu à la perfection. De beaux géraniums ornaient chaque fenêtre. Un nain souriant trônait au milieu d’un parterre de fleurs et tenait une pancarte « Bienvenue », qui invitait à rendre visite ce couple de retraités généreux, et terriblement attachants.

Steeve et Philippe se saluèrent copieusement, et s’installèrent dans le salon. Les 3 amis entamèrent une conversation enjouée, dont les sujets allaient assez rapidement converger vers leur point commun principal. Mais nous y reviendrons...

« Bordel, quelle galère ! » Alex se tenait debout devant la porte d’entrée, sous le regard amusé des 3 compères.
« Pfff. Ce GPS est d’une connerie sans nom. J’ai pris 4 fois la rue d’à côté, qui débouche sur une impasse. » continua Alex.
Gringalet d’une petite trentaine d’années, Alex semblait flotter dans son maillot blanc « ES ». Il avait mis près d’une heure et trente minutes, dans sa petite citadine, pour rejoindre Rohansheim et la petite maison de Marcel.
Philippe envoya une petite ruade à Steeve, et lança un clin d’œil furtif à Marcel.
« Alex, tu as vu ce qui vient de tomber sur le stub y’a 10 minutes ? »
« Huh ? Non, je n’ai rien vu, je roulais. Qu’est-ce qu’il y a ? » Répondit Alex.
« Djiku vient de signer à Rennes ! » annonça Philippe d’une voix grave et triste.
« Putain ! Nooon… Mais c’est pas possible … » désespéra Alex.
Steeve, Marcel rirent de bon cœur. Un sourire se dessina sur le visage de Philippe.
« Tu n’as pas changé mon p’tit ! Bien sur que non, il n’a signé nulle part pour le moment. »
Alex laissa tomber sa tête en avant de soulagement et grommela, contrarié.

Technicien dans une petite boîte d’informatique, Alex vivait avec sa compagne dans une petit village près de Sélestat. Mais la vie d’Alex tournait autour, surtout, du Racing Club de Strasbourg. Non sans une certaine angoisse, d’ailleurs. Quand le Racing perd, Alex ne va pas très bien. Quand il gagne, Alex ne va pas très bien non plus, parce qu’il y a un prochain match, et que le racing risquera de le perdre. Quand il n’y a pas de match, Alex n’est toujours pas très bien. Et en début de mercato, Alex est au summum de l’anxiété.

Marcel, solennel, annonça : « Hop Jetzt ! On ne va pas restés enfermés par ce beau soleil. Allons derrière dans le jardin prendre l’apéro ! »
Un sourire illumina le visage de Steeve. Nous préciserons qu’après être passé au club House du club de foot de son fils, ou il avait été « contraint » de boire une bière, il avait cherché les packs de Meteor de Marcel chez son beau-frère, qui lui avait fait gouter la nouvelle brune d’été au houblon biologique. Il allait droit au-devant de son troisième apéro du dimanche matin, avec la sérénité et la confiance du joueur qui s’était entrainé toute la semaine.

En ce premier dimanche de l’été 2023, quatre anonymes se sont retrouvés dans un petit village pour entretenir et consolider un lien. Leurs vies et leurs disparités font qu’ils n’auraient jamais dû se rencontrer. Un retraité, un cadre, un « Suffer », et un jeunot sont pourtant ensemble, et heureux de se revoir, tous attirés par une mystérieuse force. Ils ne savent pas encore qu’ils sont les maillons principaux d’une aventure unique et extraordinaire, qui va démarrer bientôt : Le seigneur de la Meinau, et ses chroniques en Terre des bleus.

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daikaran

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