De la spiritualité dans le Jazz (JC&Co.)

23/01/2005 05:28
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A la rencontre de Mrs Coltrane

L'Express du 11/10/2004
Alice au pays des Coltrane

par Paola Genone

Depuis 1978, l'épouse du légendaire saxophoniste a quitté la scène pour fonder un ashram. Retirée du monde, mais poursuivant une oeuvre que son fils Ravi, musicien lui aussi, rêvait de lui faire enregistrer. L'Express l'a rencontrée en exclusivité dans son refuge californien, alors que sort ce disque tant attendu: l'album d'une famille qui a écrit quelques-unes des pages les plus visionnaires du jazz


Lorsque Alice Coltrane fait son apparition, une lumière d'aurore et un parfum de musc envahissent l'espace. Autour d'elle, tout s'efface. On a beau être cartésien, la magie qui se dégage de ses yeux, de son regard perçant, semble sonder votre âme. C'est la rencontre avec un être habité. Drapée dans un sari orange et doré rapporté de Madras, elle marche pieds nus, noire comme l'ébène, fine comme une liane, vibrante comme ses instruments, posés à chaque coin de cette pièce: une harpe, un orgue d'église, des tambouras, un oud et, au centre, le grand Steinway à queue offert par John Coltrane en 1964. Personne, à part les intimes, n'avait jamais accédé à ce temple où cette femme a passé les vingt-sept dernières années, retirée du monde. Toute son existence est là, dans cette caverne d'Ali Baba où sont conservés les cadeaux du légendaire saxophoniste, des livres de philosophie et de religion. Quatorze tapis turquoise et vert émeraude, qu'il a fait venir pour elle de Syrie, recouvrent le sol. Des poésies et des partitions signées JC voyagent ici et là sur des feuilles volantes.

L'esprit de Coltrane est partout. Fixé sur une photo géante où il joue les yeux fermés. Evoqué par les pochettes accrochées au mur - le disque d'or de A Love Supreme, le plus grand canon du jazz, l'un des 80 albums les plus vendus au monde, repris aussi par le groupe rock U2 - et l'éclat de ses sax, de ses clarinettes, de ses flûtes... Omniprésent, mais pas étouffant.

Une quête musicale et spirituelle
Le charisme de ce génie est loin d'effacer la personnalité de son épouse. Alice n'a jamais eu besoin de Coltrane pour exister, ni artistiquement ni humainement. «Nous avons voyagé l'un à côté de l'autre, dit-elle, comme deux oiseaux, en volant de nos propres ailes. Je n'étais pas son miroir, il n'était pas le mien. Nous étions deux êtres à part entière, avec la même trajectoire, la même quête.» Avant de s'aimer, d'écrire ensemble quelques-unes des pages les plus révolutionnaires du jazz, John et Alice se forgent leur propre personnalité.

A l'âge de 7 ans, Alice McLeod étudie le piano classique; le dimanche, elle joue de l'orgue dans les églises de Detroit, sa ville natale. Son frère, le bassiste Ernie Farrow, la lance dans la frénésie du be-bop. Elle prend des cours avec Bud Powell et devient l'une des rares femmes acceptées dans un monde d'hommes. Aucun musicien ne fait une objection quand elle déboule dans le groupe de Coltrane, en 1965, et prend la place de l'indiscutable pianiste McCoy Tyner. Lorsque John meurt, deux ans plus tard, Alice poursuit sa carrière, se produisant en leader au côté de stars comme Carlos Santana, Ornette Coleman, Pharoah Sanders, Wayne Shorter et le même McCoy Tyner, peu rancunier.

Sa quête musicale devient de plus en plus marquée par son parcours spirituel, entrepris avec Coltrane. Jusqu'au jour où, en 1978, Alice quitte l'univers musical pour se consacrer à un voyage dans les profondeurs de l'âme. Aujourd'hui, à 67 ans, mystique, végétarienne, fondatrice d'un ashram dont elle est le maître spirituel, elle se nomme Turiya Sangitananda. Mais, attention! Alice et Turiya («transit vers Dieu», en hindi) sont une seule et même personne. Comme John était Ohnedaruth - le nom spirituel qu'il s'était choisi signifie «compassion» en sanskrit. A la fois spirituelle et pragmatique, ne professant aucune religion, sinon celle de la méditation, cette femme a continué à jouer pendant ces années dans la solitude, pour sa communauté ou avec ses enfants, tous musiciens. C'est grâce à l'un d'eux, le saxophoniste Ravi John Coltrane, 39 ans, que L'Express a pu pénétrer dans ce luxueux refuge, entouré d'un grand parc, situé à vingt minutes de Los Angeles. C'est là qu'Alice habite depuis 1972 et que Ravi a grandi, bercé par les disques de son père et les hymnes chantés par sa mère, des mélanges envoûtants de gospel et de cantiques indiens. Ravi, dont le nom signifie «soleil», est là, près d'elle, rayonnant, les yeux rivés sur un CD qu'il fait tournoyer entre ses mains.

Ce disque, un chef-d'oeuvre intitulé Translinear Light, est la réalisation d'un rêve qui l'obsède depuis des années: entraîner sa mère dans un studio d'enregistrement après plus d'un quart de siècle de silence. «C'était tellement frustrant, explique Ravi, de jouer avec elle, d'entendre ce piano, cet orgue résonner de mille notes, nuances, timbres, rythmes, mélodies sans le partager avec le public, mais aussi avec les musiciens qui l'avaient accompagnée pendant tant d'années! Le bassiste Charlie Haden et le batteur Jack DeJohnette, qui jouent sur ce disque, me suppliaient de la persuader de revenir.»

Ravi a 2 ans lorsque son père meurt. «Je ne pouvais pas imaginer que ma vie ou celle de ma mère se terminent sans avoir laissé une trace de la musique qu'on a jouée ensemble. C'est elle qui m'a élevé; c'est elle ma première pulsion de vie.» Exceptionnellement, Alice et Ravi acceptent de se produire devant nous, filmés par les caméras de France 2*.

Lorsqu'elle attaque Translinear Light, une cascade de notes résonnent dans la pièce comme si elles provenaient d'une harpe. Le sax ténor de Ravi pousse un long gémissement, tremblant, d'une douceur et d'une nostalgie indescriptibles. Ses jambes sont ancrées dans le sol; son souffle se propage au-delà de la pièce. Ravi a ouvert ses ailes. Alice se souvient du jour où elle a composé ce morceau, en 1966: «C'était l'aube. John dormait. J'étais descendue dans le salon pour jouer ce thème doux qui s'était dessiné pendant la nuit dans mon esprit.» La mélodie réveille Coltrane, qui, transporté, lui demande de continuer. Prend-il son sax pour l'accompagner? Alice sourit, et Ravi répond: «Ma mère est très réservée. C'était un moment d'intimité intense qu'elle préfère garder pour elle.» Réservée, mais puissante comme une tornade: ainsi la décrivent tous ceux qui l'ont rencontrée.

Le véritable big bang entre Alice et John a lieu le 18 juillet 1963, sous les lumières du Birdland. Le célèbre club new-yorkais présente deux groupes qui se produiront chaque soir, l'un à la suite de l'autre, pendant une semaine: le big band be-bop du vibraphoniste Terry Gibbs, avec Alice McLeod, et le quartet de John Coltrane. «Je me souviendrai de cette nuit toute ma vie», dit aujourd'hui Terry Gibbs. Les musiciens sont dans les coulisses. Alice traverse le couloir. John arrive du côté opposé. Un instant suspendu. «Lorsque leurs regards se sont croisés, poursuit Gibbs, j'ai vu a love supreme droit devant mes yeux.» Pendant une semaine, John et Alice vont rester assis dans la même loge, les yeux dans les yeux, sans qu'une seule parole soit prononcée. Gibbs décrit la suite: «Quand il jouait, elle se cachait derrière le rideau pour l'écouter. On aurait dit qu'elle buvait ses notes. Puis, dès qu'elle le voyait passer, elle baissait les yeux, comme une petite fille.» Aujourd'hui, le regard d'Alice est encore rêveur lorsqu'on lui demande d'évoquer ces jours: «Il n'y avait pas besoin de mots. Je suis tombée amoureuse de son esprit. Il dégageait une telle paix... Rien ne semblait le perturber. Il était totalement plongé dans ses pensées. John n'avait besoin de personne. C'est ce que j'aimais en lui.»

A Love Supreme, genèse d'un chef-d'oeuvre
Petit à petit, ils se parlent, se rencontrent, se trouvent. Tous les deux ont été influencés par les chants d'église, le gospel et le blues. John est le petit-fils d'un pasteur; Alice est issue d'une famille très religieuse. Tous les deux ont été marqués par la rencontre avec le saxophoniste Yusef Lateef, fin connaisseur des philosophies orientales. Alice a joué, très jeune, dans son groupe. Coltrane le croise en 1957, à l'un des moments les plus tragiques de sa vie: il vient d'être viré de la formation de Miles Davis à cause de sa dépendance à l'héroïne et à l'alcool. Les lectures que lui conseille Lateef l'aident à se libérer de la drogue et à connaître ce qu'il appellera dans les notes de la pochette de A Love Supreme un «éveil spirituel», une «révélation»: «Rendre les autres heureux à travers la musique.»

Au début de leur histoire, John vient surprendre Alice pendant qu'elle est en tournée et, comme Gibbs tient à le préciser, «ils dormaient dans des chambres séparées, car Alice était une véritable lady et John la respectait énormément». L'aube de cet amour est aussi le début d'une nouvelle phase musicale, pour tous les deux. Alice quitte Gibbs et clôt son ère be-bop.

Nous sommes en 1963, Coltrane a 37 ans. La musique jaillit de son sax comme le pétrole d'un puits, les labels se l'arrachent, l'argent coule. Il roule en Jaguar et, après avoir quitté Naima, sa précédente épouse (à laquelle il reproche de ne pas lui avoir donné d'enfants), emménage avec Alice dans un ranch de 3 hectares à Dix Hills, dans le sud de Long Island. C'est au coeur de ce paradis de paix et de musique, de balades à cheval (ils ont une écurie) et d'amour que leur premier enfant voit le jour: Arjuna John Coltrane naît le 26 août 1964. Son prénom est inspiré des écritures sacrées de la Bhagavad-Gita (7e livre du Mahabharata), où le dieu Krishna dit au guerrier Arjuna: «Agis, mais ne désire pas les fruits de ton action.»

Hasard ou coïncidence, Coltrane composera une série de chefs-d'oeuvre correspondant à la conception ou à la naissance de chacun de ses enfants. Crescent, élaboré pendant la première grossesse d'Alice, puis, huit mois avant que Ravi John Narayan ne vienne au monde (narayan signifie «eau en perpétuel mouvement»), le 6 août 1965, A Love Supreme. Il le conçoit chez lui, travaillant jour et nuit. «Il devait être 16 heures, raconte Alice. John était monté dans sa chambre pour méditer. Pendant cinq jours, il y est resté enfermé. On entendait des sons de sax jaillir après des heures de silence. Pas une seule fois je ne l'ai dérangé, sauf pour lui apporter des repas frugaux qu'il ne terminait pas.» Elle n'oubliera jamais l'instant où elle le vit descendre l'escalier et refaire surface: «Ce fut comme voir Moïse descendre de sa montagne. Il était si beau qu'il illuminait la pièce. Tout son être irradiait la joie et la paix.»

Coltrane lui raconta qu'après des jours de méditation la musique avait surgi d'un seul coup. Il l'enregistra avec son quartet, le 9 décembre 1964, en une seule prise. Quelque temps après, McCoy Tyner l'abandonnait, en déclarant que ses arrangements étaient devenus inintelligibles. Alice prenait sa place. Leur musique devenait de plus en plus métaphysique, à la fois extatique et abstraite, inspirée de la répétitivité des minimalistes américains et des raga indiens. Le saxophoniste free Pharoah Sanders rejoignit alors la formation, apportant un son puissant, un timbre déchirant évoquant les cris humains et les toiles de Jackson Pollock. Ensemble, ils enregistreront Live at the Village Vanguard Again. Mais entre-temps, en 1966, au cours d'une tournée, Elvin Jones a quitté le groupe. Roberta Garrison, danseuse et femme du bassiste Jimmy Garrison, raconte aujourd'hui: «Elvin était furibond, car John avait ajouté un autre batteur au groupe, Rashied Ali. Il disait qu'il ne pouvait plus entendre ce que les autres musiciens jouaient.» Selon Roberta, lorsque le ton montait dans les coulisses, John était le seul à rester calme: «Sauf une fois, au Japon, où même Jimmy, le seul qui ne l'a jamais abandonné, a quitté sa contrebasse et est sorti de scène en plein concert. John lui a donné une amende et, quelques semaines plus tard, Jimmy m'a confié que Coltrane était à des années-lumière des autres et qu'il était difficile de le suivre, tellement il avançait à pas de géant. Seule Alice semblait le comprendre.» Par la suite, Elvin Jones comparera Coltrane à Einstein et, en 1991, invitera Ravi à se joindre à son groupe. «Alice me disait: «John sait où il va», conclut Roberta. Ensemble, ils cherchaient la vérité à travers le son. Un son qu'ils qualifiaient d'universel.» A ce moment, le couple s'inspire de toutes sortes de sonorités, des cloches des temples bouddhistes aux kotos japonais, de la musique des derviches aux percussions d'Afrique. Ils fréquentent et partagent des lectures avec un percussionniste africain, Babatunde Olatunji, que John a rencontré en 1961.

Olatunji vient d'un village de pêcheurs yoruba. Le prénom du troisième fils de John et Alice, Oranyan, né le 19 mars 1967, est inspiré d'un dieu yoruba. En avril, ils enregistrent leur dernier disque ensemble, à l'Olatunji Center for African Culture, à New York (l'album porte ce titre), avec Rashied Ali, Pharoah Sanders, Jimmy Garrison et deux musiciens africains. En mai, Coltrane est pris d'une douleur atroce à l'abdomen. Le 17 juillet, il meurt d'un cancer. Il ne saura jamais que son fils aîné, Arjuna, mourra dans un accident de voiture, en 1982. Ni qu'à la suite de ce drame Ravi arrêtera de jouer pendant des années, se sentant «perdu et sans plus aucun repère», comme il le dit. Jamais John ne saura que, grâce à sa musique, Ravi se sortira de ce gouffre: «J'ai découvert réellement la musique de John Coltrane à l'âge de 19 ans, en l'écoutant, l'analysant, la jouant pendant des heures et des heures.» Pour faire le deuil d'un père dont il n'a aucun souvenir. Pour le connaître. Pour se connaître.

«Mon passé et mon présent sont reliés»
A la mort de John, Alice se noie dans le travail et compose un disque sublime, A Monastic Trio, sorte de transcendance de cette douleur sans fin, qu'elle partage avec Pharoah Sanders, Jimmy Garrison et les deux batteurs Ben Riley et Rashied Ali. Elle l'enregistre chez elle, à New York, dans le studio que John avait commencé à créer et qu'elle termine d'aménager. C'est là, puis en Californie, qu'elle produira des oeuvres inédites de Coltrane. Elle enregistrera aussi une série d'albums visionnaires en leader, parfois si psychédéliques - par les sonorités de son orgue Wurlitzer - que des groupes rock comme Radiohead ouvriront leurs concerts, trente années plus tard, par des compositions d'Alice, tel Blue Nile.

De sa maison d'Oxford, Jonny Greenwood, guitariste de Radiohead, raconte: «On écoute Alice Coltrane en boucle. Dans notre disque Kid A, nous avons repris ses arrangements, utilisant une harpe à la place des guitares. Et, dans l'album Amnesiac, nous avons superposé la version de A Love Supreme faite en 1971 par Alice Coltrane avec son gourou sur la chanson Dollars and Cents.» Alice ne sait pas qui est Radiohead. Pourtant, les membres du groupe savent qui est Swami Satchidananda, son premier gourou, rencontré après la mort de Coltrane. C'est avec lui qu'Alice entreprend le premier de ses voyages en Inde. Elle consacre à cet événement le disque Journey in Satchidananda (1970): «Swami était le seul être, après John, à exprimer un amour universel», dit-elle. Dans son World Galaxy (1971), elle enregistre avec lui cette fameuse version de A Love Supreme, mélange kitsch, mais touchant, d'une narration de son gourou sur des arrangements symphoniques de cordes à la Stravinsky et de mélodies à la Madame Butterfly.

Trente ans plus tard, on rencontre Ravi Coltrane dans l'ashram de sa mère, le Vedanta Center. On l'avait vu quelques jours auparavant en concert à Chicago, improvisant à partir de permutations mathématiques de notes. Là, on le retrouve, habillé de blanc, au milieu des montagnes de Santa Monica, dans un canyon sacré où vivaient les Indiens Chumash. Ravi gravit les marches de l'ashram, un bâtiment perdu au milieu des forêts et des ruisseaux. Les femmes sont assises sur la droite, les hommes sur la gauche, tous en position du lotus. Seule Turiya Sangitananda se distingue, installée au fond de la salle, derrière son orgue. Elle attaque un mantra (chant de prière) sur une gamme pentatonique indienne, que l'auditoire transforme rapidement en un gospel libératoire. Ravi, assis à côté d'Oranyan - qui joue du sax, en duo avec Alice, dans un morceau de Translinear Light - scande chaque mot en sanskrit. En sortant, il remarque notre air étonné: «J'ai grandi au milieu des images de divinités indiennes - Ganesh, Shiva - et des portraits de Satya Sai Baba, l'actuel gourou de ma mère. J'ai appris les mantras et les hymnes, sans que personne m'y oblige. Mais ce n'est pas ma vie. Je respecte la différence et j'aime leurs chants.»

Translinear Light commence par un chant traditionnel (Sita Ram) et se conclut sur un choeur de voix enregistrées dans l'ashram (Satya Sai Isha). Pour Alice, ces morceaux étaient essentiels: «Ce disque montre que mon passé et mon présent sont reliés. Je n'ai jamais oublié les orgues d'église, le be-bop et le reste. Mais je voulais évoluer, utiliser le son comme un vecteur pour aller plus loin. La musique est un excellent instrument de méditation. Notre esprit est perpétuellement occupé, traversé de vagues de pensées, sollicité par les bruits, les mots, les angoisses, les désirs. Lorsque nous nous concentrons, que nous focalisons notre attention sur un morceau, comme sur un mandala, notre esprit se calme, devient silencieux, laissant la place au vide. Le vide fait peur, je sais. Il peut générer la panique. Mais il faut en passer par là pour commencer à voir, pour tracer cette ligne droite qui mène à l'essentiel, à la lumière: à la connaissance de nous-mêmes et de ce qui nous entoure.»

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