Bebop (ou be-bop, ou bop, jadis re-bop).

06/03/2006 01:31
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Onomatopée dérivée, semble t-il, d'une figure rythmique. Ou traduction vocale (reprise dans le chant scat) d'une fin de phrase caractéristique du « nouveau jazz » au début des années 40 à New York, et qui a fini par désigner l'ensemble de ce style de jazz.
Sous le double signe de l'expérimentation et de la compétition, le bebop fut élaboré, en marge de tout orchestre constitué et autour (à l'initiative) de deux solistes remarquables (Charlie Parker et Dizzy Gillespie), par un groupe de jeunes musiciens noirs qui, ayant acquis une solide expérience professionnelle, se retrouvaient à Harlem, au Monroe's Uptown House et, surtout, au Minton's Playhouse, après leur travail régulier : Charlie Christian, Thelonious Monk, Benny Harris, Kenny Clarke et Joe Guy, entre autre – à qui se joignirent parfois des invités aussi vénérables que Chu Berry, Ben Webster, Don Byas ou Lester Young. Plus sensibles que leurs confrères à l'érosion du style Swing, les participants à ces jam-sessions et rencontres after-hours estimaient que le jazz pratiqué alors avait été exploité jusqu'à l'extrême limite du possible et que les solistes tournaient en rond à l'intérieur des mêmes formules harmoniques, des mêmes types d'arrangements, sur le même background rythmique. La technique, la virtuosité et l'invention des maîtres de l'époque (Armstrong, Tatum, Coleman Hawkins, Lester Young, Benny Goodman, Lionel Hampton, Jo Jones...) touchaient à une perfection telle qu'il semblait impossible de faire mieux dans la même direction. On peut se demander d'ailleurs si l'hypersophistication harmonique des Hawkins (qui recruta avec enthousiasme des jeunes boppers), Tatum, Ellington, comme la liberté mélodique et rythmique d'un Lester Young et d'un Roy Elridge, ou la souple efficacité d'un Jo Jones chez Basie ne préfiguraient pas les bouleversements du bop...
Parallèlement aux rencontres harlémistes, le jazz, dès 1942, prenait une tournure neuve dans les cabarets de la 52e Rue, où se développait le goût des exercices de vélocité, des innovations harmoniques et autres excentricités instrumentales. De plus, nombres de musiciens cherchaient à réagir contre les limitations et contraintes du travail en big band –par trop voué à la danse- et contre l'envahissement de leur art par les rengaines commerciales et les airs à succès : le bebop sera le premier jazz crée en marge, voire contre le show-business. Pour la première fois, des musiciens de jazz participent d'un certains élitisme artistique –les initiés du Minton's utilisaient tempos d'enfer et enchaînements harmoniques hétérodoxes comme autant de chausse-trappes permettant d'éliminer les musiciens techniquement insuffisant...
Autre phénomène qui se conjugue au précédent : le « Petrillo Ban », grève des enregistrements décrétée par le président du Syndicat des musiciens, que l'on rend responsable d'avoir retardé l'éclosion phonographique du bebop, devait favoriser, en fait, la multiplication des petites compagnies de disques spécialisées en jazz qui allaient diffuser les premiers disques-manifestes de cette nouvelle musique. Le bebop n'eut donc pas pour seule cause une implacable nécessité de renouvellement du langage musical. La communauté noire, plus citadine qu'autrefois, ayant acquis un niveau social sensiblement plus élevé, une culture musicale plus scolaire et, avec l'entrée en guerre des Etats-Unis, la dignité militaire, pouvait souhaiter –plus ou moins consciemment- oublier un passé lié au blues, au dixieland et, par-delà, à l'esclavage.
Première vraie révolution de la musique afro-américaine, le bebop diffère des jazz qui l'ont précédé essentiellement par la discontinuité de la ponctuation –qui coexiste, paradoxalement, avec un sentiment de continuité rythmique- et par l'élargissement des bases harmoniques. La section rythmique, qui tend à dissocier ses éléments constitutifs, n'assure plus le battement des quatres temps de façon régulière. Le jeu du batteur se désarticule sur la caisse claire et la grosse caisse, tandis que les cymbales enveloppent ces brisures d'un constant bruissement, le maintient du tempo étant assuré par la grande cymbale. Renonçant à doubler la partie de contrebasse, le pianiste jette des accords, syncopés ou non et plutôt dissonants, pour relancer l'inspiration du soliste. Seul le bassiste continue d'assurer la métrique. Devenue harmoniquement pléonastique, la guitare disparaît souvent des sections rythmiques, qui s'augmentent parfois, en revanche, d'instruments de percussion (conga, bongos...) d'origine cubaine –mais l'amplification permettra bientôt aux guitaristes solistes de rivaliser avec anches ou cuivres. Sur le plan harmoniques, surgissent des gammes de tons et des accords de passage. Les mélodies, au découpage anguleux sont des thèmes-riffs où apparaissent des sauts brusques, des dissonances, des effets de chromatisme. Réécrits et reharmonisés, paraphrasés mélodiquement par les boppers, les standards et thèmes anciens deviennent méconnaissables.
Sans doute parce qu'elle annonçait et entraînait une irréversible évolution du jazz, la naissance du bebop fut jugée négative et même néfaste par quelques critiques qui, s'appuyant sur un fragment d'interview de Charlie Parker (« le bebop n'est pas un enfant du jazz »), n'ont pas craint de nier la « jazzité » de cette nouvelle musique. L'histoire du jazz leur a répondu : rien de ce qui s'est passé depuis dans l'univers musical afro-américain n'a pu ignorer les découvertes et acquis du bebop. Autour de ses chefs de file, Parker et Gillespie nombre de solistes remarquables ont contribué à former une école qui porta souvent le jazz vers ses sommets. Parmi les trompettistes : Fats Navarro, Kenny Dorham, Miles Davis, Red Rodney, Sonny Berman ; J.J. Johnson au trombone ; les saxophonistes Sonny Stitt, Lou Donaldson, Sahib Shihab, Leo Parker, Allen Eager ; les pianistes Monk, Bud Powell, Al Haig, Tadd Dameron, John Lewis, Duke Jordan ; le pianiste et vibraphoniste Milt Jackson ; les batteurs Kenny Clarke, Max Roach, Art Blackey ; les bassistes Ray Brown, Charles Mingus, Al McKibbon, Nelson Boyd. Les principales formations régulières de la période bebop furent le quintette de Charlie Parker et le grand orchestre de Dizzy Gillespie. C'est dans les cabarets de la 52e Rue à New York, au milieu des années 40, que le bebop fut à son apogée. Il lança même une mode : béret basque, lunette à monture épaisse et barbiche...
Au bebop première manière succédèrent, au cours des années 50, le jazz cool et le hard bop. Les années 80 voient un retour du bebop, à la fois comme une sorte de nouvel académisme et au gré d'innombrables avatars revivalistes.

Groovin' high, Hot House (Gillespie-Parker, 1945) ; Things to come (Gillespie, 1948), Salt peanuts (Gillespie-Parker, 1943).
A lire : « Inside Be-Bop » (Leonard Feather, New York, 1949, rééd. « Inside Jazz », 1959).

Dictionnaire du Jazz, aux éditions Bouquins

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