Le stublog de goeft







Les convives (2/3)

08/03/2012 12:34
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Freddy. Parlons-en. Steve ne l'aimait pas. Mais alors pas du tout. Quelques années auparavant, Steve s'était fait un petit nom dans la presse locale et avait été remarqué par ce grand journal de la capitale qu'il avait toujours rêvé de rejoindre. Mais Freddy avait tout fait capoter, sans même accepter de le rencontrer, et depuis Steve croupissait dans sa sous-préfecture. Une sous-préfecture ! Pendant que cette salope de Barbara était en poste dans la capitale de l'Europe. Steve en était malade.
Mais trêve de souvenirs, Freddy venait d'arriver. Jeff se leva pour l'accueillir.

- Alors, sa va ? Tu a fais bon Voyage ?

Consternant. Jeff faisait des fautes d'orthographe même en parlant.

- Bien sûr, répondit Freddy, un peu surpris par cette affabilité.
- Vient t'asseoir, Mon ami, ici, prends Place.

Steve dut se mordre la langue pour ne pas pouffer de rire. Mon ami. C'est comme ça que Jeff appelait ceux qu'il avait l'intention d'entourlouper. Ça promettait ! Il fronça un sourcil, genre Peter Falk, et sortit son petit carnet de notes.

- Sait nous les Convives aujourd'hui, hein Freddy ? Allez, tu fait se que tu Veut, mais moi je passe à Table ! Alors tu es venu demandé Conseil à ton vieil ami Jeff ?
- Bien sûr. Dès lors que tu as rencontré des difficultés analogues aux miennes lorsque tu étais président du club, je me suis dit que tu pourrais mettre en perspective certaines de mes supputations.
- Mais quel Difficultés, Freddy ? Je ne comprends pas, déclara Jeff en toute innocence.

Quelle mauvaise foi, il ment avec un tel naturel, se dit Steve. Il m'épate, il m'épate.

- Tu as tout de même beaucoup souffert à la tête du club, non ?
- Souffert ? Moi ? Mais pas du Tout, Freddy ! N'importe quoi ! Moi, mon passage au Club, j'ai adoré ! A-do-ré !

Silence.
Freddy était interloqué.
Steve aussi, dans son coffre à tatamis. Mais qu'est-ce que Jeff allait encore inventer ? Il était vraiment difficile à suivre. Ce moment de flottement fut interrompu par la serveuse japonaise (Steve s'était finalement rappelé la nationalité des sushis – il avait vu ça dans un manga pour adultes dans les toilettes hommes, à gauche de son bureau, le plus petit de la rédaction) qui s'était approchée pour prendre la commande. Plutôt mignonne, se dit Steve en repensant à la toque de son voisin.
Jeff commanda des nouilles. Freddy, en connaisseur, choisit longuement une sélection de ses makizushis préférés. La serveuse, qui ne l'avait pas quitté des yeux, s'arrangea pour lui effleurer la main en reprenant le menu. Freddy lui sourit gentiment et elle rosit en battant des cils, faussement timide. Beau gosse, le Freddy. Jeff, de son côté, commençait à se renfrogner, un peu jaloux. Mais la serveuse s'éloigna en poussant un petit soupir de regret.

- Adoré ? Je ne comprends pas, Jeff, tu as pourtant perdu beaucoup d'argent ?
- Mais mon Freddy, les déficits, c'été pour la Galerie ! En réalité, on a gagner des Millions avec le club ! Pour moi, sait vraiment une Grande Réussite. Imagine, quand on ait arrivés, le Club était à la ramasse, kaputt, fini. J'ai réussit à le maintenir en vie Encore deux ans, et on a légalisé plein de Pognon. La blanchisserie, c'est ça le Vrai bizness, Freddy ! En plus, qu'est-ce qu'on a pu rigoler, je te racontes Pas !
- Rigoler ? Mais tous tes ennemis, l'environnement hostile, la mafia locale, la mairie, la presse implacable, tout ça ?
- Ah, mais ça, Freddy, c'était justement le plus Marrant ! Avec Chris on faisait la tournée des bars le samedi et quant on rentré à 3 heures du mat' complètement torchés, on Balançait les plus grosses Conneries possible sur le site Officiel. Ou des faux mails de « l'entourage du club » aux journalistes au milieu de la Nuit ! Haha ! Et les soirées vodka au bureau, après on Jouait à carmaggedon avec les tondeuses sur le Parking. Pas étonnant qu'on est pas réussi à les Vendre ensuite ! Ou bien quand on pissait dans la R5 de Pat, il a jamais deviner que c'était Nous... Aah, Freddy, quelle époque ! Non, je t'assure, j'ai Adoré. Vraiment punk. Maintenant, j'avous, je m'ennuie un Peu. C'est pour sa que j'ai accepter ton Invitation. Tiens, reprends du saqué.

Freddy resta sans voix. Ce n'était pas exactement ce qu'il avait prévu en venant à Londres. Il reprit quand même du saké. Steve, quant à lui, commençait à se demander si Jeff n'avait pas oublié sa présence. Il semblait que oui. Jeff était lancé, euphorique, volubile, apparemment décidé à raconter tous ses exploits au club. Hilare, il racontait des anecdotes d'hélicoptère, d'huis-clos et de projet de stade dessiné par le gamin de sa femme de ménage pakistanaise. Entre-temps le repas avait été servi et Jeff se tut un moment alors qu'il se goinfrait de nouilles. Ayant terminé, il écarta son assiette.

- Mais les supporters ? Tu les as tant fait souffrir, demanda Freddy, qui finissait ses sushis.
- Les supporters ? Ils ne supportes rien, Ceux-là ! Ils ne me supportaient pas, ils ne supportaient pas la situation, rien, Quoi ! Ridicules. Mais je les aimaient Bien quand même. D'ailleurs, je ...ehm, j'ai un truc à te Dire, mais..., voilà, je...

Jeff s'empêtrait dans ses hésitations. Il en avait trop dit, ou pas assez. Il se tortillait, gêné, le sourire nerveux. Il se mordit la lèvre, regarda ses pieds, se passa la main dans les cheveux. On aurait dit une femme mariée brûlant d'envie, sans oser faire le pas, de révéler à sa meilleure amie qu'elle était infidèle. Toujours cette troublante part de féminité chez Jeff. Est-ce qu'il hésitait à faire une nouvelle révélation ? Ca y est, Steve avait compris ! Jeff allait faire son coming-out, c'est pour ça qu'il avait invité la presse (Steve, en l'occurrence). Et Steve tenait enfin son scoop ! Il serra très fort son petit crayon en tremblant d'excitation. Et voilà qu'effectivement, Jeff sortait une photo de son portefeuille pour la tendre à Freddy. Certainement celle de son petit ami. Ou même de son mariage gay à Brighton. Steve imaginait déjà son retour triomphal à la rédaction. Son article à la une. La tête que ferait cette conne de Barbara.
Freddy contempla la photo quelques secondes puis la rendit à Jeff. Steve, tétanisé, était pendu à ses lèvres. Impossible de prendre des notes, il venait de casser la pointe de son crayon. Alors, alors ?

- N'importe quoi. Anachronique. Rudi Völler n'a jamais porté le maillot du club. Surtout pas en 2010/2011, et encore moins en bermuda hawaïen avec une écharpe des Ultras. Où veux-tu en venir, Jeff ?

Les convives (1/3)

03/03/2012 12:55
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Steve se sentait vraiment à l'étroit dans ce foutu coffre à tatamis. C'était ça, la « very special secret mission » à l'étranger promise par Jeff ? Pour le dépaysement, c'était plutôt raté. Ça lui rappelait son bureau, le plus petit de la rédaction, celui à droite des toilettes hommes. Même l'odeur n'était pas trop différente, cette espèce de mélange plouc typique de tabac froid, de sueur, de café renversé et de savonnette Monoprix. C'était bien la peine de s'être tapé un voyage en low cost et de s'être trompé de train à Luton. Mais en soulevant légèrement le couvercle, Steve avait une vue imprenable sur l'arrière-salle de la friterie vietnamienne (ou coréenne, Steve n'était pas sûr – tous pareils, ces niakoués) qui serait bientôt le théâtre de la conspiration qu'il avait ourdie avec Jeff. Ourdie. Il aimait bien le mot. Ça faisait grand reporter. Ou commentateur politique. Ou envoyé spécial en Ouzbékistan. En tous cas, ça faisait tout sauf journaliste sportif. Steve n'avait jamais voulu être journaliste sportif.

Évidemment, faire la planque dans un coffre à linge comme un slip kangourou usagé n'était pas forcément très glorieux, mais c'était ça l'adrénaline du journalisme d'investigation, celui avec du sacrifice dedans. De l'abnégation. De l'aventure. Cent fois mieux que de compter les plots à l'entraînement comme cette conne de Barbara. Il vérifia qu'il avait bien éteint son portable, dont la sonnerie aurait pu trahir sa présence, surtout que Pat appelait toujours au mauvais moment. Quelle huître, ce Pat, il ne comprenait jamais rien aux instructions (« C'est comme ça que j'dois dire, hein ? »). Quant à Tom, il ne risquait pas d'appeler, il n'avait même plus de quoi recharger son crédit. Pauvre Tom. Steve ne put s'empêcher un petit sourire malveillant. Héhé.

Mais voilà que la porte s'ouvrit en grinçant et que Jeff entra dans la salle. Il n'avait pas changé depuis l'été dernier, un peu grossi peut-être. Toujours sa chemise à carreaux façon nappe de cuisine. Toujours ce cheveu noir, bouclé, un peu gras, qui rappelait à Steve sa première expérience féminine, ou le dessous de bras de Didier Six, ou la toque en astrakan de son voisin tchétchène, enfin un truc poilu et doux, quoi. Odorant aussi. Mais passons. C'est ce côté attendrissant, sensuel même, qui avait fait pencher la balance en faveur de Jeff lors du rachat du club (et aussi, un peu, l'absence de garantie de passif). Jeff posa ses petits yeux mi-biche, mi-cochon de lait sur le coffre à tatamis et esquissa un discret signe de la main à l'attention de Steve. Tout se déroulait comme prévu, donc. Freddy n'allait pas tarder.

à suivre...
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