Khalid Boutaïb, l'amateur professionnel

La carrière de Khalid Boutaïb a presque tout pour être adaptée à l’écran, l’histoire d’un simple joueur amateur qui enchaîne les obstacles et galère des années avant de débarquer au plus niveau sur le tard. Il faut dire que le natif de Bagnols-sur-Cèze n’était pas destiné à évoluer en L1, ni à enfiler le maillot de la sélection nationale du Maroc. Après des débuts au FC Bagnols-Pont, en DH, il grimpe d’un échelon en 2007 en rejoignant Uzès en CFA2, pour trois saisons. L’attaquant est alors un pur amateur, qui travaille en dehors des heures passées sur le rectangle vert, que ce soit à la mise en rayon de supermarchés, aux espaces verts ou encore à la vente de beignets. Une double vie bien chargée qu’il mène jusqu’en 2011, et une dernière saison en CFA2, à Bagnols. Auteur d’une bonne saison, il retourne à Uzès, désormais en CFA, et s’installe comme un titulaire indiscutable. Le bilan de ce premier exercice en quatrième division est très positif, avec 13 buts inscrits, contribuant ainsi à la montée de son club. Une performance qui ne passe pas inaperçue. A l’été 2012, il signe son premier contrat professionnel en rejoignant Istres, en L2. Mais la belle histoire tourne court rapidement. Choix du directeur sportif du club, il n’est pas vraiment souhaité par le staff de José Pasqualetti, qui ne lui propose qu’un rôle d’attaquant ou de milieu offensif de complément. Aligné comme relayeur, bien loin de son poste de prédilection, durant les matchs amicaux, Boutaïb disparait de l’équipe première après un seul petit match de premier tour de coupe de la ligue.

Rapidement lassé d’être mis de côté sans jamais avoir sa chance (« j’étais considéré comme un quatrième ou cinquième choix, et s’il le fallait, le coach était même prêt à faire jouer l’ailier en tant qu’attaquant de pointe. »), il demande à retourner à Uzès dès le mois de novembre, afin de retrouver du temps de jeu en National. Titulaire dès son arrivée, il dispute l’intégralité de toutes les rencontres de son club (à l’exception de la dernière journée), soient 26 matchs, et inscrit 6 buts, dans un rôle d’attaquant de soutien du buteur Samir Benmeziane. Suffisant pour être recruté par l’ambitieux Luzenac, dont les dirigeants ne cachent pas leurs rêves de grandeur, en mettant d’importants moyens sur l’équipe première.

En Ariège, il forme un trio offensif redoutable avec le passeur Idriss Ech-Chergui et le serial buteur Ande Dona Ndoh, s’imposant comme un élément indispensable du jeu de Christophe Pélissier. Et la saison se passe comme dans un rêve, Luzenac caracole en tête du classement et entrevoit la montée, tandis que les médias, à la recherche d’une belle histoire, braquent leur projecteur sur ce petit village des Pyrénées, qui n’accueille pourtant plus les matchs. La suite, on l’a connait : faute d’avoir su structurer le club et préparer la montée sur la plan administratif, le club se voit refuser l’accession et se lance dans un long combat judiciaire. Une situation très dure à vivre pour les joueurs, dont Khalid Boutaïb qui voit encore s’éloigner le rêve de devenir professionnel : « à un moment, j'ai peut-être douté du fait que je puisse un jour y arriver. On en arrive presque à se demander parfois si le sort ne s'acharne pas parce que t'arrives à Istres, tu signes pro, mais au final tu ne joues pas... Après, il y a Luzenac. Tu fais une saison incroyable, tu montes et finalement, on te refuse l'accès en L2... C'est dur. » Sans solution au mois de septembre, il reçoit alors un coup de fil de Thierry Laurey, alors entraîneur du Gazélec Ajaccio : « c'est quelqu'un qu'on avait eu l'occasion de croiser en National, et le garçon nous avait fait bonne impression. » Alors que le feuilleton du LAP se dirigeait vers une fin tragique, le joueur obtient l’accord de ses dirigeants pour rejoindre la Corse, avec tout de même un pincement au cœur : « je savais que j'allais connaître la L2, mais ça m'a fait chier pour mes coéquipiers qui n'ont pas tous eu la même chance que moi, pour les supporters et les dirigeants qui ont trimé pendant des années pour en arriver là... ».

A Ajaccio, chez un autre petit poucet, Khalid Boutaïb devient enfin un vrai footballeur professionnel, à 27 ans. Titulaire dès son arrivée, il enchaîne les matchs, comme s’il était vieux briscard de L2 : « quand je rentre sur un terrain, que ce soit en CFA, en National ou en Ligue 2, il y a onze mecs en face et ça ne sert à rien de trop calculer. Je me donne tout le temps à fond, histoire de ne rien regretter. » Cette fraîcheur contribue à l’épopée de son club, tout comme ses 6 buts et ses 2 passes décisives. A la fin de la saison, nouvelle étape pour l’attaquant, avec la montée du GFCA en Ligue 1. Plus petit budget de l’histoire récente de la première division, le club corse détonne par ses infrastructures d’un autre temps et ses joueurs au profil plus proche du joueur amateur que de la star internationale. On a arrêté de compter les reportages sur la barbe et la Kangoo de Rodéric Filippi, l’informaticien Clément Maury et donc, la belle histoire de Khalid Boutaïb, notamment lors d’un match au Vélodrome, lui le membre des Winners. Et là encore, l’attaquant s’adapte sans trop sourciller, malgré un début de saison passé le plus souvent sur le banc. Peu à peu, il intègre le 11 de départ de Thierry Laurey, inscrivant son premier but, plein d’opportunisme, à Reims, le 7 novembre. Cinq autres réalisations vont suivre, participant au fol espoir de voir le Gaz se maintenir dans l’élite. De l’autre côté de la Méditerranée, Hervé Renard, intronisé au début de l’année 2016 à la tête de la sélection nationale du Maroc, suit avec attention ses performances, et le convoque à sa première liste. Un nouveau rêve qui se réalise pour Boutaïb : « c’est un truc de fou, un petit rêve qu’il y avait dans un coin de ma tête. Cela aurait pu s’avérer être inaccessible quand on voit mon parcours. Limite, on n’y croit pas. Même juste figurer dans la présélection était déjà quelque chose de magnifique pour moi, je n’arrive pas encore à bien réaliser quand je vois mon nom au milieu de tous ces joueurs prestigieux. » Entré en jeu contre le Cap Vert en mars dernier, il compte pour le moment deux sélections, mais semble déjà bien installé dans l’équipe.

Malgré un sursaut au cours de saison, le Gazélec Ajaccio ne parvient pas sauver sa tête en L1, et fait face à un changement de cycle, avec le départ de son entraîneur, pour la destination que l’on sait, ainsi que de son ossature. En fin de contrat, Khalid Boutaïb a émis le souhait de rester dans le monde professionnel, en priorité en première division. Mais il faut croire qu’un appel de Thierry Laurey, l’homme qui lui a permis de sortir des divisions amateurs, a fait la différence pour une « belle aventure » au Racing.

Le joueur en détail

Khalid Boutaïb présente la particularité d’avoir un parcours sinueux, avec une longue expérience dans les divisions inférieures. Son style de jeu est donc marqué par cette carrière atypique : «J’ai peut-être moins de facultés de déplacements ou de finition, ces choses que l’on travaille beaucoup dans le centres de formation. Mais d’un autre côté, j’ai cette rage, cette envie de montrer que je ne suis pas là par hasard. Je connais la galère donc je n’ai pas. » Au Gazélec, après avoir un peu tâtonné au niveau de son schéma de jeu, Thierry Laurey a installé un 4-4-2 en losange, au sein duquel le joueur a trouvé sa place. Aligné en pointe, Boutaïb présente toutefois une importante couverture du terrain :


Ce volume de jeu important s’explique par un très nombre de courses sans ballon, que ce soit pour réaliser des appels ou un pressing à la perte du ballon. Ce registre de jeu est illustré par son nombre très important de duels défensifs, 5,4 en moyenne par match, ce qui est considérable pour un attaquant. Avec le ballon, le joueur a plutôt tendance à évoluer sur le côté droit, où il dispute la majorité de ses 9,3 duels offensifs (à 78% de réussite). Du haut de son mètre 90, il est également souvent recherché pour son jeu de tête (13,2 duels aériens). Enfin, outre cette grosse activité dans le jeu, il tente aussi sa chance face au but, avec 1,8 tir tenté par match, dont 44% sont cadrés. Une statistique qu’il entend bien faire progresser, puisqu’il a exprimé son regret d’avoir manqué quelques grosses occasions cette saison, par manque de concentration.

En comparaison avec les deux attaquants du Racing, Khalid Boutaïb semble plus complet, mais surtout car il démontre une très grosse activité sur le terrain, ce qui entraîne tout de même un déchet important. Ses stats défensives sont très appréciables à la perte du ballon, car il permet de gêner la relance adverse.


Citations extraites de France Football et So Foot