Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

« Je ne recherche pas forcément la postérité »

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Avant-match
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Par kitl, jpdarky
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Le Stade Brestois accueille les Racingmen samedi à Francis Le Blé. C'est l'occasion de s'entretenir avec un ancien de la maison Racing : Jean-Marc Furlan. Cet entraîneur atypique développe ici ce qu'il appele sa "philosophie" et revient aussi sur sa période strasbourgeoise qui aura duré deux saisons entre 2007 et 2009.

Parlons pour commencer de votre équipe, le Stade brestois, auteur d’un joli début de saison…

Oui je dois avouer que je ne nous pensais pas capables d’être à pareille fête après deux mois de compétition. Je suis arrivé fin juin, il n’y avait qu’une douzaine de garçons. On a pu constituer une équipe mais tous ces garçons n’ont aucun vécu ensemble, nous n'avons pas encore écrit notre histoire ensemble. On a besoin de se construire et de vivre des choses ensemble, tu ne peux rien bâtir de solide si les garçons ne se soudent pas grâce au vécu en commun. La communauté, c'est la fondation. Je me félicite d’avoir pu rapidement créer un esprit d’équipe, j’ai pu compter sur des éléments d’expérience comme Bruno Grougi, Joan Hartock qui a joué à Lyon, ce qui n’est pas rien. De tout temps, j’ai essayé de bâtir des groupes en m’appuyant sur de grands professionnels, comme Nivet, Guillaume Lacour ou Greg Paisley.

Le match nul 2-2 arraché à Sochaux a pu servir de match référence.

Je n’aime pas trop ce terme de match référence, ce n'est pas un déterminant de ma philosophie, qui est plus holistique, mais je reconnais que ce soir-là les garçons ont fait un match pleing. Je leur ai dit à la mi-temps qu’il fallait espérer, que ce qu’on avait mis en place dans la semaine allait finir par porter ses fruits juste avant que ma femme lance notre habituel "om" primordial de focalisation intrinsèque. On a pu compter sur un grand Neal Maupay, un garçon que j’ai trouvé en grand manque de confiance en arrivant et aujourd’hui meilleur buteur du championnat. Par son sens du but, il me rappelle Alvaro Santos, ce magicien. Sinon, c’est toujours gratifiant de pouvoir renverser une situation, j’ai connu des groupes où on travaillait pendant un an, deux ans, mais nous n’avons jamais réussi à renverser une situation. Je l’ai déjà déclaré plusieurs fois, cette place de leader est de toute façon anecdotique. Mais c’est bieng.

Ce match à venir face au Racing, alors qu’on approche du tiers de la saison, est-il déjà un tournant ?

Je n'aime pas trop ce terme de tournant, ce n'est pas un déterminant de ma philosophie. A force de tourner, comme je dis souvent, on finit par gerber (il rit). Sincèrement, je connais la recette pour bien figurer dans c’te championnat de Ligue 2, mais nous visons avant tout les 44 points. L’important est de parvenir à créer un projet de jeu qui permette à tous les garçons d’évoluer en confiance et de transmettre du plaisir. Ce qui ne nous empêche pas de savourer une victoire 1-0 sur penalty…

Vous avez donc adouci votre discours ? On vous a connu plus « romantique »…

Romantique, romantique, qu’est-ce que cela veut dire ? Je me souviens de l’époque de Libourne, on a fait rêver des tas de gens dans le canton, on a bâti un club, autour d’une cohésion collective, les joueurs et les gens adhéraient à une philosophie, à ma philosophie, c'était un tout. C'était holistique. Mais on ne pratiquait pas un football de rêve, les garçons allaient au charbon et ça nous a permis des belles épopées en Coupe. Pour résumer, je ne suis pas un rêveur béat qui applaudit une défaite enrichissante, ça c’est une description fréquente mais fausse, une étiquette qu'on m'a collée. Vu mon bilan Victoire/Nul/Défaite, ma femme me dit souvent que c'est normal, y'a plus de matière. Mais on ne se nourrit pas de la défaite, on doit apprendre à tirer des enseignements, parceque ce qui ne nous tue pas apprend des trucs aux garçons. Voilà quoi, je suis attaché à certaines valeurs comme le partage, la notion de groupe, le respect de la parole donnée… C'est ma philosophie.

Comme à Strasbourg à l’été 2009, vous aviez déclaré…

(Il coupe et continue son développement) Oui si vous préférez je me vois davantage comme un passeur d’émotions, un organisateur d’aventures humaines, un sherpa de la balle au pied qui ouvre la voie du bonheur à coup de piolets s'il le faut, plutôt qu’un romantique du football. Je suis pas une tapette. Philosophiquement parlant bien sûr. Enfeing, sexuellement non plus hein ?! (il rit)
(Il se reprend) Vous faites semble-t-il mention de mon départ de Strasbourg, une région magnifique au cœur de l'Europe, ce qui est curieux, vu qu'ils y vont rarement, en Europe (il rit), une ville qui a trouvé une place particulière dans mon cœur. C’est vrai que les circonstances n’ont pas été belles. J’ai suivi avec beaucoup de peine la descente du club et j’aurais aimé continuer mon combat devant les tribunaux, malheureusement éteint avec la quasi-disparition du club… Sincèrement, je n’ai pas une personnalité qui verse dans l’acharnement mais j’ai été blessé d’avoir été ainsi sali. J’ai passé deux étés très difficiles, j’ai dû tout remettre en question, mes méthodes de travail, ma gestion de mon entourage, tant du point de vue du staff que des gens autour…

D’ailleurs, on n’a pas l’impression que vous vous soyez vraiment livré sur cette période. En tant que supporters du Racing, marqués au fer rouge par les 11 défaites de suite et le match de Montpellier…

(Il coupe et reprend) Bien sûr, bien sûr, on a beaucoup de choses en commun finalement (rires) puisque moi aussi j’ai vécu ces moments comme de profondes blessures. Voir un groupe se désagréger avec l’assentiment de certaines personnes, que les luttes de pouvoir au sein du club finissent par prendre le dessus… Comme toute société humaine, la vie d’un club est faite de crises et de moments de joie intense. Je regrette que les moments de déception aient finalement pris le pas sur les émotions vécues pendant mon passage à Strasbourg qui restera à jamais gravé dans mon cœur, je vous le promets.
(Plus vindicatif) Au Racing, j’ai eu l’impression d’être pris pour un étranger, comme si je n'étais pas de la bonne race. On a jeté l’opprobre sur mes méthodes, sur ma compagne et sur son activité professionnelle (NDLR : préparatrice mentale). On s’est, permettez-moi de parler crûment, foutu de la gueule du job de mon adjoint Manu Pascal, qui s’occupait et s’occupe toujours avec moi à Brest, des statistiques. Comme si le foot actuel pouvait être analysé sans les stats ? Manu est un précurseur de tout ce qu’on appelle le data-journalisme.

Vous avez ensuite rebondi à Nantes où le terrain était miné.

Je ne vous le fait pas dire, je pensais que Strasbourg était vérolé de l’intérieur mais c’était pire là-bas. On avait un groupe de 35 joueurs, des garçons qui ne jouaient jamais et qui tiraient la tronche, des garçons qui jouaient parce qu’ils étaient les seuls spécialistes du poste alors qu’ils étaient moyengs. J’ai tenu un mois mais je savais dès la première semaine que ça ne collerait pas.
En plus la Beaujoire était en lutte contre la direction, les joueurs étaient encore plus inhibés et sifflés à la moindre passe ratée. Comme ils en rataient beaucoup, on ne s'entendait plus penser sur le banc. Cela me faisait vraiment de la peine, moi qui ai vécu les grandes heures du club, en tant qu’adversaire on se prenait souvent des tôles à Marcel-Saupin ou à la Beaujoire, stade moderne à mon époque.

Vous évoquez votre carrière de joueur. Vous le pur Girondin, comment avez-vous vécu le fait d’avoir débuté à Bordeaux et d’être parti avant que le club ne commence à dominer le foot français ?

On avait une belle génération, mais ça n’allait pas assez vite pour le président Bez. Lalanne, Eyquem, on s’est tous fait balayer lorsque le président a fait venir des Trésor, Bracci, plus tard Spetch (sic)… Quand tu vois que même des futurs internationaux comme Bergeroo et Jean-François Domergue n’étaient pas assez bons… Ce n’est pas un regret, j’ai effectué une carrière honorable même en ayant connu des saisons fatigantes nerveusement, comme à Bastia ou Lens. Heureusement la fin à Saint-Seurin m’a donné envie de continuer dans le milieu. Pourtant, parfois, j'ai douté, les clubs où je passais semblaient à chaque fois meilleurs une fois que je partais ou avant que je n'arrive. Mais, heureusement, j'avais ma philosophie, j'étais déjà meilleur en passeur de plaisir qu'en passeur de balle sur le terrain.

Durant votre traversée du désert, on vous a retrouvé à dispenser vos analyses sur la Coupe du monde 2010 pour le journal Le Monde. Comment un entraîneur éprouvant les pires difficultés à réussir en Ligue 1 obtient une crédibilité pour intervenir dans le « quotidien de référence » ?
Je l’attendais celle-là (rires). Effectivement j’étais sans activité professionnelle à ce moment-là. Comme Cécile (NDLR : Traverse, sa compagne) tenait un blog sur le site du Monde, j’ai proposé de donner mon avis sur la Coupe du monde sud-africaine depuis Paris. Un matin, je suis allé au siège du journal, j’ai discuté avec le responsable de la rubrique « Décryptages », en lui révélant que j’étais un ancien footballeur pro il a failli tomber de sa chaise. Toujours cette image de philosophe du foot, entre guillemets, qui me colle à la peau. D’ailleurs même des médias plus spécialisés et au top de la hype me tiennent comme une référence à la pointe de l'innovation footbalistique, les Cahiers du Foot par exemple. Pour moi, c’est gratifiant, une véritable fierté, ça me donne une légitimité intellectuelle et morale. Ce n’est pas rien les Cahiers, ils ont quand même eu Claude Le Roy comme consultant pendant l’Euro 2004. Et ils vendent des chouettes T-Shirt qui dénoncent l'ordre établi avec décontraction tout en étant fabriqués au Bangladesh, c'est décalé et ironique, j'adore.


Comment expliquez-vous ce décalage entre votre image d’esthète auprès du grand public et votre réputation controversée au sein des clubs où vous êtes passé ? On associe facilement Furlan au beau jeu, ce qui n’a pas empêché un jour votre défenseur Kouassi de fracasser Kévin Gameiro

Le petit Kévin, je l’ai senti encore très en retrait à mon arrivée, même si sa blessure était déjà ancienne. Très franchement, je ne pensais pas qu’il irait si haut, et de mon point de vue il avait plus d’avenir sur un côté. Il tremblait encore devant le but, hein… Je suis satisfait qu'il me doive tout. Mais c’est valorisant pour Strasbourg de le voir où il est aujourd’hui.

Deux citations vous poursuivent toujours à la Meinau : lorsque vous faisiez de Grégory Paisley le « défenseur central le plus technique du championnat » en début de saison 2007-08. Puis votre interpellation de Grosso en conférence de presse après le match face à Lyon.

Ah oui ? Ce soir-là, je crois que c’est Eric (Mouloungui), un charmant garçon d’ailleurs, il tend sa jambe vers Grosso, le frôle et l’Italien part en tonneaux ! J’étais à cinq mètres de l’action, moi qui ai déjà cassé des jambes durant ma carrière de joueur, je puis vous affirmer aujourd’hui que Grosso n’avait rien du tout. J’ai senti ce soir-là devant la presse que la situation était grave, que le Racing était menacé. Malgré tout, j’étais confiant quant au maintieng. Mais c’est à partir de là que certains garçons ont instillé la division dans le vestiaire et que la direction s’est braquée… Le politiquement correct footbalistique et la chape de plomb de ce milieu empêchent de parler de race ouvertement. Regardez ce qu'ils ont fait à Laurent Blanc avec l'histoire des quotas. Ce sont des procès en sorcellerie, je suis en quelque sorte le Giordano Bruno du football, on a voulu me faire payer une approche scientifique de l'analyse footbalistique puisque j'ai parlé de race et de gènes ce jour là. Et je cite Bruno à desseing, il était rital lui aussi !

http://i1369.photobucket.com/albums/ag237/jpdarky/Racingstub/rcso...
La nostalgie n'est plus ce qu'elle était

Et pour Paisley ?

Je maintiens ! Pour une fois, hein (rires partagés). J’avais eu l’idée de reconvertir Greg, arrière latéral, en central afin d’apporter un supplément de technicité à l’équipe. On avait fini par descendre avec Troyes, mais Greg avait révélé une potentialité exceptionnelle, une marge de progression himalayesque. C’était ma première recrue, ma première pierre à Strasbourg. Par la suite, contre vents et marées, il a tenu même si j’ai fini par lui reprendre le brassard que je lui avais confié en D2. Il venait de déverser ses états d’âme dans la presse et j’ai préféré intervenir avant qu’il ne commette de crime contre la cohésion du groupe.
Mais pour revenir au fond, dites-moi ce que Cris ou Squillaci, par exemple, avaient de plus que Greg Paisley techniquement ?

Nous arrivons au terme de notre entretien. Que souhaitez-vous, Jean-Marc Furlan, que le public footballistique conserve de vous ?

Vous savez, je ne recherche pas forcément la postérité. Je ne sais pas si je l'ai déjà dit, mais je vois mon boulot comme celui d’organisateur d’émotions, d'architecte du plaisir. Mon boulot d’entraîneur est de réduire l’incertitude, de faire en sorte qu’il n’y ait pas de place pour la fatalité, de poser les bases de la confiance dans un groupe. Mais au final, ce sont les joueurs qui évoluent, c’est aux garçons de prendre leur part du travail dans cette quête éternelle du collectif.

Nous remercions M. Furlan pour sa disponibilité. Entretien réalisé par téléphone le 31 septembre 2016.

kitl, jpdarky

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