Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

La Meinau de 1984 : questions autour d’une reconstruction

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Souvenir/anecdote
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Par kitl
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Vu de 2021, quelques jours après la présentation du projet de rénovation du stade de la Meinau, le précieux témoignage d'André Dahan permet de constater la survivance de certains débats.

Enclenché à l'été 2017, au moment où la remontée du RC Strasbourg en première division devenait une hypothèse des plus réalistes, le projet de rénovation vient de connaître en ce début d'année un net coup d'accélérateur. Tranchant avec l'inertie lui servant de moteur depuis de longs mois, la direction du club a présenté un certain nombre de visuels, afin de donner une image à un dessein resté longtemps verbal. On connaissait les grandes lignes du projet − reconstruction de la tribune Sud, réfection des autres tribunes, suppression des places populaires et de la fosse, création d'une "fan zone" sur l'actuel parking, etc... −, le voici enfin illustré.

Il est à noter que le président Keller était entouré d'un aréopage d'élus locaux : la présidente de l'Eurométropole de Strasbourg, la collectivité propriétaire du stade, la maire de Strasbourg, le président de la région-dont-il-ne-faut-pas-prononcer-le-nom ou encore un représentant de la toute nouvelle Collectivité Européenne d'Alsace.

Revient alors en mémoire l'inauguration du stade le 17 avril 1984, à la veille du match amical France - RFA, en présence de personnalités d'une autre génération. Marcel Rudloff escorte le jeune Bernard Becker (50 000ème jeune licencié de la LAFA, à la fois gage d'avenir et clin d'œil à la capacité de l'enceinte pour l'Euro à venir), aux côtés du président de la Ligue d'Alsace, Yves Muller et de son adjoint chargé des Sports Robert Grossmann. Lunettes fumées, drapé dans son imperméable fourni par la Stasi, André Bord se tient en retrait. De par sa double casquette d'homme politique et de président du Racing, il est pourtant le principal artisan de cette construction.

A la fin des années 1970, l'enceinte de la rue de l'Extenwoerth affiche sa vétusté en plus d'être trop exiguë. Relégué en 1976, le Racing a comme souvent profité de son séjour à l'étage inférieur pour se remettre dans le droit chemin. Il a retrouvé une équipe et un public.
Comme l'a mentionné André Dahan, la nouvelle Meinau est issue d'un rapport de force entre Pierre Pflimlin, maire de la ville depuis 1959, et André Bord, qui rêve de lui succéder. Président du Conseil général du Bas-Rhin, inamovible « ministre alsacien » de De Gaulle à Giscard (pour des portefeuilles assez marginaux), Bord joue au cours des années 1970 la partition du parrain, d'homme de l’ombre pas encore directement impliqué dans les affaires du club mais mettant son entregent au service du Racing. Il en sera de même pour la reconstruction du stade de la Meinau.

Il est délicat de retrouver avec précision le moment où la rénovation fut actée, vraisemblablement en cours de saison 1978-79, celle du retour de la Coupe d’Europe, de la série d’invincibilité, de la position de leader du championnat et finalement du titre. Selon l’architecte, la piste d’un nouveau stade dans la « ville nouvelle » de Hautepierre fut rapidement écartée, signe que l’identité Racing = Meinau était déjà une réalité…

Relativement sceptique, Pierre Pflimlin ne souhaite pas engager la Ville – ni la CUS, mais c’est alors peu ou prou la même entité – et donne son accord pour l’érection d’une seule tribune. Cela explique la construction relativement rapide de la tribune Ouest : au printemps 1979, les gradins derrière le but situé route de Colmar sont démolis. Si bien que pour le dernier match de la saison à domicile contre le PSG (3-1), les supporters entrés sans billet à la faveur de l’ouverture des grilles se massent sur les échafaudages. La nouvelle tribune est inaugurée dès octobre, lors de la réception de Kristiansand en Coupe des champions.

Avec le recul, on peut se demander pourquoi ce stade dont une tribune avait déjà fait peau neuve fin 1979 allait devoir attendre plus de quatre ans pour être achevé. Sans être rentrés dans le détail avec M. Dahan, on peut toutefois imaginer que l’architecte a façonné l’infrastructure et même commencé la construction de l’enceinte sans que son financement ne soit assuré !

On l’a dit, la Ville de Strasbourg était relativement réticente à financer seule la nouvelle Meinau. Les tirades sur la vocation européenne de la capitale alsacienne et la nécessité de disposer d’infrastructures dignes de ce statut émoustillaient déjà à l’époque mais il en fallait davantage pour convaincre l’avant-dernier président du Conseil de la IVè République. André Bord a donc pris son bâton de pèlerin et toqué à la porte d’autres collectivités. Sur les 117 millions de francs de budget, le département apporte 26 millions, la région 16 millions et l’Etat 22 millions. Reste donc moins de la moitié à la charge de la Ville, ce qui a sans doute incité Pflimlin à dire banco.

Le Conseil général du Bas-Rhin ? Facile, son président était André Bord en personne, jusqu’à 1979 et sa fameuse défaite face à Daniel Hoeffel. La région Alsace ? La décentralisation n’étant pas encore passée par là, elle consistait en une sorte de club de grands élus chapeautés par le préfet. André Bord l’a d’ailleurs présidée de 1973 à 1977. Et l’Etat dans tout cela ? Particulièrement bien introduit dans les cercles gaullistes, André Bord a pâti politiquement de l’alternance de 1981. Ce qui ne l’empêcha pas de défendre le dossier strasbourgeois auprès du gouvernement Mauroy, au déclenchement du plan « grands stades » en vue de l’obtention du Championnat d’Europe 1984, confirmée fin 1981.

La reconstruction des tribunes une à une s’accordait donc avec ce financement par paliers, qui semblerait impensable de nos jours. La tribune Sud sort de terre en 1981, puis la tribune présidentielle de 1951 et les gradins Est côté Krimmeri sont démolis. Il s’avère qu’après un démarrage tambour battant, le rythme de la reconstruction s’essouffle très nettement. C’est paradoxalement l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement socialiste qui donnera une nouvelle dynamique au projet du gaulliste André Bord. Une fois les crédits étatiques débloqués, comme mentionné par @strohteam dans sa chronique de la période, la construction de la seconde moitié pourra repartir de plus belle. Le Racing évolue toutefois dans un demi-stade durant la saison 1982-83.

Il n’a pas été possible de creuser le sujet du phasage détaillé du projet avec M. Dahan mais c’est ce qu’indiquent les quelques résumés vidéos de matchs de la période. La rudesse de l’hiver, le marasme qui s’est emparé du Racing depuis le limogeage de Gilbert Gress et le tour de table financier laborieusement bouclé ont sans doute causé cette temporisation autour de 1982.

Ce stade arrive-t-il trop tard ? Il a été conçu au moment du Racing triomphant de 1979. L’affluence moyenne, baromètre de la dynamique sportive et de la santé financière du club, a évidemment pâti des travaux. Mais il s’agissait d’un moment difficile à passer, avant de découvrir un formidable outil tout neuf, moderne et spacieux, capable d’accueillir confortablement 35.000 spectateurs. Le nombre très important de places debout répondait d’ailleurs au vœu d’André Bord de « massifier » l’affluence.

En 1980-81, l’affluence maximale ne dépasse pas 18.000 spectateurs, la faute au net déclin des résultats d’un club de retour dans la seconde moitié du classement, du moins en début de saison. Le psychodrame autour du limogeage de Gilbert Gress ne fait qu’amplifier ce désamour en dépit du redressement opéré sous Max Hild. Avec la perspective d’une finale de Coupe de France, 26.000 spectateurs garnissent la Meinau (Sud+Ouest et certainement les deux anciennes tribunes restantes) en juin 1981 contre Saint-Etienne.

Le recrutement ambitieux – Lacuesta, Rouyer, Nielsen – de l’été 1981 attire le chaland : l’affluence dépasse les 20.000 spectateurs à trois reprises en début de saison. Mais l’embellie est de courte durée et la situation empire lors de la saison du demi-stade. Seuls 13.000 personnes assistent au premier derby de l’après-guerre face au FC Mulhouse à l’automne 1982.

En définitive, ce ne sont pas les travaux qui ont privé le club de l’appui populaire, mais bien le public qui a déserté la Meinau à mesure qu'elle prenait sa forme définitive. Alors a-t-on vu trop grand avec ce stade, bâti dans la perspective d’une compétition internationale ? Il était difficilement imaginable que le déclin du Racing allait être aussi brutal que son ascension de la fin des années 1970. D’autre part, la tarte à la crème de la dimension européenne de Strasbourg fonctionnait bien à l’époque…

De toute manière, membre du service d’architecture de la Ville de Strasbourg – supprimé par Catherine Trautmann –, André Dahan a considéré le stade comme une commande comme une autre. Ce fut un élément de surprise de constater que la Meinau n’inspirait pas davantage de sentiments à l’architecte que d’autres réalisations, qu’il s’agisse d’une piscine ou d’une caserne de pompiers. Une fois livrée, conformément à la commande, le destin de l’infrastructure lui importait peu. Les vicissitudes du Racing, condamné à s’approprier son stade devant une maigre assistance, lui ont été dès lors étrangères.

Un autre sujet central de notre rencontre réside dans ce fameux concept de stade « à l’anglaise », fréquemment utilisé depuis un article du Moniteur des travaux publics du début des années 1980 jusqu’à la période actuelle pour qualifier le stade de la Meinau. Comme l’avouait avec humour M. Dahan, nul ne semble capable de donner une décision précise de ce qu’est un stade « à l’anglaise ».

On peut toutefois se hasarder à distinguer deux dimensions. La première tient au style des tribunes, idéalement au nombre de quatre, assez verticales, indépendantes et non reliées. En France, le stade Bollaert ou l’ancien Geoffroy-Guichard peuvent revendiquer cette filiation british avec l’antique Highbury ou Villa Park. Mais nul besoin d’arborer une horloge au fronton d’une tribune pour la seconde dimension, tenant moins au style qu’à l’usage que l’on fait du stade. Un stade « à l’anglaise » serait une enceinte spécifiquement dévolue à la pratique du football, le contraire d’un stade multifonctions. Il ne comporterait ni piste d’athlétisme, ni vélodrome.

Le public serait forcément proche du terrain, à rebours de la pratique observée sur « le continent ». La France était friande de ses vélodromes – Marseille, Bordeaux, Lyon, Reims… – même s’il n’y a jamais eu qu’un seul Tour de France par an. Même l’Allemagne qu’on invoque comme l’éden ancestral de la culture football a planté des stades évasés et totalement ouverts pour sa Coupe du monde 1974, peu avant le démarrage de la reconstruction de la Meinau.

Au-delà de ce concept fumeux, la préoccupation majeure d’André Dahan aura été de garantir une visibilité parfaite aux quatre coins du terrain, quelle que soit la tribune et quel que soit le « statut » du spectateur (assis, debout ou handicapé). Ce critère a sans doute contribué à la modernité de la Meinau de 1984 : il n’y a en effet ni pilier, ni pylône, ni poteau obstruant la vue en direction du terrain - des grilles certes à l'origine.
L’acoustique du toit tellement vantée aujourd’hui a été pensée en termes de résonance, afin justement d’éviter que cela résonne comme dans une cathédrale mal insonorisée. Enfin des critères « écologiques » avant l’heure comme le système de drainage de la pelouse avaient été imaginés, sans avoir à ajouter de gadget aéronautique…

Peu disert sur ses sources d’inspiration – nous avons tenté de lui faire admettre une filiation avec le Parc des Princes, sans succès –, André Dahan a évoqué sans plus de précision des visiteurs de France et d’Europe, mais là encore, le stade de la Mosson à Montpellier ne lui disait rien.

Au rayon des regrets, nous n’avons pas évoqué les petits aménagements à l’intérieur du stade suggérés par Robert Félix, l’intendant historique du RCS, relatés dans cet article. Mais j’ai été particulièrement ravi de trouver un écho à l’évocation de la figure d’Emile Dahan, passé par le Racing au début des années 1950. L’architecte connaissait cet homonyme, arrière-droit comme lui et natif de Mascara en Algérie…

Au total, il nous est apparu en sortant de cette touchante rencontre que la dimension patrimoniale acquise par le stade de la Meinau au gré des ans, des centaines de matchs, des litres de sueur évacués et de bière ingurgités était relativement étrangère à son concepteur. Ce qui rend un lieu accueillant, et singulièrement un stade, c’est bien la façon dont les hommes se l’approprient.

Avec l’objectivité dont sont coutumiers les Alsaciens, la Meinau apparaît aujourd’hui comme « le » stade de football par excellence. Ce qui n’était pas gagné aux yeux des 1850 pékins ayant assisté à Strasbourg - La Roche-sur-Yon en octobre 1986. Et ce n’était pas forcément garanti pour son bâtisseur, auteur d’un one-shot frisant la perfection.

kitl

Commentaires (4)

Flux RSS 4 messages · Premier message par president · Dernier message par jerko

  • Merci pour ces deux articles très intéressants.

    Citation:
    Ce critère a sans doute contribué à la modernité de la Meinau de 1984 : il n’y a en effet ni pilier, ni pylône, ni poteau obstruant la vue en direction du terrain - des grilles certes à l'origine.


    C'est globalement vrai avec malgré quelques petits poteaux en tribune sud pour supporter les loges. C'est très marginal.

    Mais j'ai en fait l'amer expérience lors d'un match contre Marseille vers les années 2004...
  • L'analyse pointant les constantes est en effet très convaincante. Notamment le fait que le football professionnel est incapable d'autofinancer ses infrastructures et donc que tous les travaux d'envergure passent par un montage associant les diverses collectivités publiques... et le fragile consensus que cela suppose.
  • @president : merci à toi, comme je tentais de me mettre dans la peau d'un observateur du chantier, je n'ai pas pensé aux modifications postérieures, comme les loges bâties en 1988 sous Hechter.

    D'ailleurs André Dahan n'avait pas tellement d'avis sur les loges ni même la transformation des secteurs debout en places assises en 2000.
  • "Tranchant avec l'inertie lui servant de moteur depuis de longs mois, la direction du club a présenté un certain nombre de visuels, afin de donner une image à un dessein resté longtemps verbal."

    Sympa pour les gens qui travaillent autour de ce projet depuis plus de 3 ans, au racing comme dans les services de l'eurometropole

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