Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

La cigogne et l’aiglon

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Par kitl
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Ce n’est pas une fable, mais l’histoire de deux contemporains du grand disparu de la semaine Henri Michel. Jean-Noël Huck et Roger Jouve ont tour à tour fait profiter le RC Strasbourg et l’OGC Nice de leur talent.

Eté 1971. Le football français se remet à peine de l’affaire Bosquier-Carnus, psychodrame ayant accéléré la passation de pouvoirs entre le quadruple champion en titre stéphanois et son successeur marseillais, emmené par les Bonnel, Skoblar et Gress. Pourtant, c’est d’une autre cité méditerranéenne que surviennent les secousses les plus aguichantes.
Club en pleine déshérence à la fin des années 1960, si on excepte la place de dauphin de 1968, l’Olympique Gymnaste Club de Nice suit depuis deux saisons un traitement survitaminé, administré par un généreux Médecin, maire omnipotent soucieux de l’image de sa ville. Nostalgique des trophées de la décennie 1950, Jacques Médecin entend mener une politique de grandeur par le football et ouvre des lignes de crédit quasiment illimitées. Seule condition à cette vigoureuse reprise en main municipale : un rapprochement entre le Gym et le Cavigal, grand club omnisports niçois, dont sortirent des éléments comme Francis Camerini, Jean-Paul Rostagni ou surtout Robert Herbin… passés professionnels ailleurs qu’à Nice. [1]

L’OGCN passe véritablement la vitesse supérieure en 1971, en se servant allègrement à Saint-Etienne et à Marseille. Le défenseur Camerini et les attaquants Hervé Revelli et Charly Loubet optent pour la puissance émergente, de même que l’Alsacien Jean-Noël Huck et le gardien de but ajaccien Dominique Baratelli, autre ancien du Cavigal. Cela fait cinq internationaux actuels ou en devenir, à une époque où le football hexagonal compte certes pour quantité négligeable, mais tout de même.
Enfant du club bien que Marseillais d’origine, l’inter gaucher Roger Jouve espère enfin démontrer toutes ses qualités, lui qui n’a accompli qu’une soixantaine de matchs en six saisons.

Le Mutzigeois Jean-Noël Huck a le même âge – 22 ans – mais compte déjà six sélections. Lancé par Paul Frantz en septembre 1968, il se fait d’emblée remarquer par sa haute silhouette, ses cheveux longs et son jeu tout en percussion côté droit. Huck prend ainsi une large part à la belle saison 1969-70 du Racing, achevée à la cinquième place. Assisté du cérébral Dieter Schurr, Jean-Noël Huck régale un quatuor d’attaque surpuissant : Leclerc, Kaniber, Molitor, Piat.
Hélas, une intersaison bâclée enverra le tout jeune RPSM en deuxième division. Il fallait faire de la place aux amateurs venus des Pierrots Vauban : conséquence, Strasbourg se déleste de sa défense centrale Lopez-Burcklé (et de Philippe Piat) et courra toute la saison après la solidité de son arrière-garde. Le président Wenger aura beau recruter une vedette, Ivica Osim n’était pas vraiment le renfort idoine pour rééquilibrer une équipe penchant sérieusement vers l’avant.

L’un reste, l’autre arrive



Pour amortir la relégation, Jean-Noël Huck est transféré à Nice – avec Maurice Serrus en monnaie d’échange – où il sera un élément emblématique de cette fameuse décennie. Parfois libero pour les besoins de la cause, plus souvent faux ailier droit, il forme un tandem particulièrement complémentaire avec Roger Jouve : chez Huck, un registre de chevauchées balle au pied et chez l’ancien des Caillols, une technique de gaucher à toute épreuve. Ils jouent le rôle de plaque tournante dans le 4-2-4 traditionnel de Jean Snella, et continuent à organiser le jeu niçois à l’avènement du 4-3-3 après 1974, d’abord protégés par Jean-Pierre Adams puis associés à un autre esthète du ballon, Jean-Marc Guillou.

Adams et Guillou, deux nouvelles recrues de cet OGC Nice toujours plus ambitieux mais jamais récompensés. Le recrutement se fait tant hexagonal qu’international (le Suédois Eriksson ; le Batave van Dijk, partenaire de Cruijff à l’Ajax ; les Yougoslaves Katalinski, Musemic et Bjekovic). Une véritable filière alsacienne se met en place, avec les arrivées de Marco Molitor et Dario Grava en 1973. Enfin, les meilleurs espoirs de la région restent à Nice, ce qui remplit d’aise Jacques Médecin.
Nice bute invariablement, selon un schéma répétitif : un début de saison canon, un fléchissement l’hiver arrivant avant de tout gâcher au printemps. Le Gym est champion d’automne en 1973 et 1976, et l’inconscient collectif niçois gardera un profond sentiment d’amertume de l’arbitrage du sommet Nice - Saint-Etienne (1-1) en mars 1976, en pleine vague verte. Au sifflet ce jour-là, un certain Robert Wurtz.

La déception sera encore plus intense deux ans plus tard, en finale de la Coupe de France contre l’AS Nancy-Lorraine de Michel Platini et Olivier Rouyer. Ce match aurait pu marquer l’aboutissement de l’ère Roger Loeuillet, il scande surtout la coupure du robinet municipal. Les cadres l’ont compris : Baratelli rejoint le PSG, Huck le voisin du Paris FC, tout frais promu soutenu par Europe 1 et Jouve met le cap à l’Est, à Strasbourg.
De cette décennie en rouge et noir demeure le sentiment d’un certain gâchis. Qu’a-t-il manqué ? Une profondeur de banc, de la patience, de la réussite ? Au rayon des consolations : l’ossature de l’Equipe de France expérimentale de Stefan Kovacs était souvent niçoise et un joli parcours en Coupe UEFA en 1974, achevé en huitièmes de finale face au 1.FC Köln.

Le triomphe de Jouve, la guigne de Huck



Leurs chemins se séparent en 1978, sans qu’aucun des deux ne fasse de crochet par la glaçante et glaciale Argentine, à l’inverse de Guillou, doyen des 22 à 33 ans.

Roger Jouve apprend l’alsacien avec Novi et Domenech, il apporte surtout son aisance technique et son expérience. Quelques pépins physiques le tiennent éloigné de l’équipe en novembre, quelques semaines après avoir retrouvé la sélection nationale. Victime début mai 1979 d’un terrible choc avec le Marseillais Jean Fernandez, Jouve doit faire une croix sur la fin de saison du Racing, renonçant à l’apothéose de Gerland et à la suite du parcours en Coupe de France.
Le numéro 8 se blessera ensuite lors du déplacement à Kristiansand. Une tenace pubalgie aura raison de sa carrière professionnelle, achevée à seulement 31 ans. Si Roger Jouve ne figure pas parmi les joueurs spontanément mis en avant, il n’en reste pas moins un artisan majeur du titre de champion de France 1979. Son indisponibilité contraint ainsi Gilbert Gress à « bricoler » au milieu de terrain, tant en fin de saison 1978-1979 qu’au cours de la saison suivante.

De son côté, Jean-Noël Huck sera épargné par les soucis de santé mais aura moins de chance au Paris Football Club. Naviguant sans boussole, sous les yeux d’un public venu voir les adversaires – 41.025 spectateurs contre Saint-Etienne et 3.306 devant Bordeaux deux semaines plus tard –, le PFC vit un véritable chemin de croix.
Avec Caron et Beltramini, Huck sera récupéré par le Paris Saint-Germain dans le cadre de négociations interlopes dont le football parisien était friand à l’époque. Après deux saisons sous le maillot Hechter siglé RTL, le Mutzigeois retrouve sa région natale et son ancien comparse Jean-Marc Guillou au FC Mulhouse. Promus en 1982 avec des intentions offensives, fidèles à l’esprit de son entraîneur-joueur, les Pfertzel, Rey, Assad, Ehrlacher et Daniel Sanchez (un autre ancien du Gym) prennent une leçon de réalisme la saison suivante.

La trentaine désormais bien tassée, Jean-Noël Huck effectue une troisième saison au FCM, lequel mène à son tour une politique de vedettariat : Gérard Banide sur le banc, Didier Six, Kees Kist et Gérard Bernardet sur le terrain échouent à faire remonter le club mais s’illustrent en Coupe de France (élimination du PSG, de Bordeaux et bonne résistance contre Nantes).
Sentant la quille approcher, Huck rejoint le Racing Club de Strasbourg en 1984, dans une position hybride mi-adjoint, mi-libero en cas de besoin. Une configuration byzantine dont était friand le Racing des années 80, qui fit de l’ancien Niçois le successeur naturel de Jürgen Sundermann en mars 1985.
Adepte d’un management doux – sans doute hanté par les méthodes martiales du Yougoslave Markovic à Nice –, il sauva le RCS d’une relégation certaine en incorporant de nombreux jeunes : Vincent Cobos, Marc Andrieux, Philippe Schuth, Christophe Niesser... L’élan ne dure pas en dépit d’arrivants prestigieux (Brisson, Larios, Jeliazkov) et l’entraîneur est à son tour remplacé par son adjoint, Francis Piasecki.

A l’instar des Kaelbel, Hausser, Gress ou Specht, Jean-Noël Huck revint à ses premières amours strasbourgeoises à la fin d’une riche carrière. Il retrouva cependant très vite la Côte d’Azur, après une courte expérience guingampaise, où l’attendent ses boutiques de mode.
Le Gym, qui joue également la carte des anciens, l’appelle pour assister Nenad Bjekovic de 1987 à 1989. Adjoint puis manager, il est finalement propulsé sur le banc niçois début 1991 et subit la rétrogradation administrative qui emporta Bordeaux et Brest le même été. De quoi lui assurer une place de choix à la petite sauterie organisée en hommage à Gilbert Gress le 26 juillet 1991, parfait remake d'un traumatisant barrage.

Huck est finalement remplacé par Albert Emon à l’automne 1992. Il tente de lancer la carrière de son fils William, à qui il dégote une place en équipe réserve d’Arsenal. Le rejeton n’ira pas plus haut que le SCO d’Angers en 2004 et reprendra les affaires dans le prêt-à-porter.
On ignore si Jean-Noël Huck a fini par troquer le blazer pour le marcel Foot Volley Club d’Antibes à la manière de Roger Jouve, lui-même VRP chez Puma, éphémère employé de mairie à la fin de l’ère Médecin puis réceptionniste dans un casino à la fin de sa carrière.


[1] Le lecteur désireux d’en apprendre davantage se reportera au passionnant ouvrage OGC Nice : La Fabuleuse décennie 70’ de Bertrand Tremel.

kitl

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