Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Only a pawn in their game

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Par strohteam
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Il paraît que le Racing a un nouvel actionnaire. Essayons de comprendre ce que ces gens nous veulent. Spoiler : ce n’est pas pour lire la passion dans nos beaux yeux de supporters enamourés.

Depuis l’annonce du rachat du Racing, beaucoup de débats portent sur les raisons qui ont pu pousser Marc Keller à précipiter le club dans un univers encore inimaginable il y a quelques mois. La stupeur cède le pas à un mélange d’introspection et d’acceptation fataliste. La posture « s’esch a so » confine à ce titre au réflexe pavlovien.

On se demande moins ce que ces financiers américains ou londoniens peuvent trouver à notre côté Hans in Schnokeloch et à nos fiers pioupious pénibles quinzièmes de D1, même si récemment un article d'Eurosport esquisse de belles pistes de réflexion. Plus généralement, pourquoi d’un coup ces financiers d’Outre Atlantique viennent-ils déverser des sommes folles aussi bien sur des têtes d'affiche que sur des entités souffreteuses ?

J’ai fouillé dans les archives, et il y a quelques années @deadp00l s’était fendu d’un article prospective qui avait laissé incrédules bon nombre de stubistes mais sonne très curieusement aujourd’hui. Je vous invite à le relire très attentivement.

Toujours un coup d’œil dans le rétro, c’est de mon âge, canonique. On a de la chance, ce coup-ci c’est un poil plus lisible que la dernière fois quand Philippe Ginestet a rencontré un Suisse dans un parking à Genève pour revendre en catastrophe le bébé avec l’eau du bain à un Estonien fugace et à un clown pas drôle du tout, voire carrément relou. Cette fois, on a même des photos des nouveaux proprios, mazette. Peut-être aussi tendance à les sous-estimer un peu à mon avis. Il faut dire que les deux dernières fois on a un peu surestimé leurs prédécesseurs avec leurs promesses de Savicevic ou de Mozart - dans les deux cas c'était de la flûte.

Avec sa tête de con que l’on dirait débarqué tout droit d’un bateau de croisière, Todd Boehly a en effet la dégaine du touriste amerloque tel qu’on adore le détester en Europe continentale. On l’imagine bien déambulant dans un centre-ville avec son cargo short XXL et sa criarde casquette de baseball. Il trouve tout génial, se fait arnaquer au magasin de souvenirs et lâche par réflexe et méconnaissance un pourliche à un serveur de restaurant ayant pourtant été infect avec lui. Certains, sur le stub et ailleurs, ne se sont pas privés d’ironiser sur ce registre et on les comprend, ça défoule.

Voire. Si Boehly ne s’est pas exactement couvert de gloire lors de ses premiers mois à Chelsea, il n’en est pas moins un très gros poisson de la finance transatlantique et n’a certainement pas réussi à amasser un tel bilan uniquement par le biais du hasard. Par ailleurs, son associé - majoritaire - et ancien employeur, Clearlake capital, est d’une stature encore supérieure.

Le vrai patron, Behdad Eghbali, est beaucoup plus discret mais il s’exprime quand même, notamment dans une vidéo où il rationalise l’investissement fait à Chelsea. Il explique le ticket d’entrée dans le football européen est moins cher qu’une franchise nord-américaine pour un marché potentiel bien mieux internationalisé. Il glisse aussi (à 7’20’’):

« Ces choses, en général ne sont pas bien gérées selon nous, elles ne sont pas franchement optimisées. »



Entendre ce genre de choses dans la bouche d’un financier de ce niveau appelle la réflexion.

Eghbali noie le poisson en parlant de data et de commerce, on peut raisonnablement imaginer que ça va au-delà vu les sommes faramineuses engagées à Chelsea. Si l’on regarde le premier métier de Clearlake, on comprend déjà un peu mieux : c’est un fonds qui fait des fusions-acquisitions et le promeut sur son site. Le principe d’une fusion acquisition c’est – très grossièrement - de créer une position dominante en agglomérant les acteurs d’un secteur donné parce que c’est quand on domine une filière qu’on fait les meilleures marges. 1+1 = 3.

Dans le football européen, les droits TV sont vendus à la découpe : la coupe d’Europe d’un côté, le championnat de l’autre, la coupe, etc. C’est donc plus cher et ça c’est bien pour l’investisseur. En revanche, il y a trop de business units pour se partager le gâteau, littéralement des centaines sur les différentes ligues pros. C’est moins bien, mais ça peut être optimisé, au hasard par de la multipropriété réduisant le nombre de donneurs d’ordre effectifs sur la partie vraiment stratégique du marché. C’est un premier élément de réponse, sans doute pas le seul.

Au passage, Vincent Labrune peut se faire du mouron : il a beau parler de milliard pour ses droits TV, une réalité qui le rattrapera assez vite est que quand une quinzaine de fonds seront propriétaires de clubs de la LFP, ils n’auront pas de mal à trouver la demi-douzaine d’idiots utiles restants pour s’assurer la majorité et faire tourner les choses à leur guise. Par exemple, en abandonnant tout rêve d’aller chatouiller la Premier League sur le terrain des droits internationaux, voire en renonçant sciemment à des places en Ligue des champions au profit du septième du championnat anglais – objectivement bien plus rentable que le troisième de L1. A terme, en donnant le quitus à un genre de super ligue ou en sanctuarisant l’Angleterre comme le championnat majeur. C’est déplaisant, mais c’est rationnel. C’est de l’optimisation.

Mortel transfert


Depuis que @athor m’a montré dans les minutes suivant le coup du sifflet du maintien un funeste tweet révélant la visite de Marc Keller à Cobham, j’ai retourné ce problème d’ « optimisation » dans ma tête à peu près autant que le capitaine Haddock se demandant s’il doit mettre la barbe au-dessus ou en-dessous de la couverture.

Je pense que cette histoire va au-delà de la seule concentration et touche d’autres aspects de l’économie du football, à commencer par son versant le plus inédit par rapport aux autres sports pro : les sommes déraisonnables décaissées chaque année en indemnités de mutation. Si l’on réfléchit global et à moyen terme, c’est la principale piste d’amélioration pour l’économie d’un club comme Chelsea.

Le marché des transferts de joueurs appartient à la vaste famille des systèmes d’échange pyramidaux. Ce type de montage tire sa force dans le fait qu’une grande majorité des acteurs est directement intéressée à sa persistance car positionnés entre la base et le sommet. Etant à la fois acheteurs et revendeurs, ils nourrissent l’espoir d’un bénéfice plus ou moins justifié. Pour cela, il faut que le flux de transactions soit maintenu et globalement inflationniste, quitte à fermer les yeux sur certaines faiblesses structurelles.

C’est bien un marché, car il y a des acheteurs et des vendeurs qui se rencontrent et que son fondement est la confiance. C’est toutefois un système qui reste fondamentalement instable car quelqu’un au bout de la chaine perd de l’argent d’une façon ou d’une autre, généralement en surpayant un produit ou un service mais parfois aussi en perdant tout comme dans le cas extrême de la pyramide de Ponzi à la Madoff. De ce fait, ce type de fonctionnement se retrouve plus souvent dans le champ de l’économie informelle, que celle-ci soit à la frontière de de la légalité – comme certains systèmes de vente directe par endoctrinement – ou bien carrément illicite. Les personnes qui se lancent dans ce type de business le font souvent en connaissance de cause, sont plus sujettes à l’appât du gain que la moyenne et de ce fait plus susceptibles de fermer les yeux sur les failles morales ou structurelles du système.

Ainsi, le mercato qui agite deux fois l’an les passionnés de football a beaucoup à voir avec la vente de contenants en plastiques réutilisables, de compléments alimentaires mais aussi de résine de cannabis.

ll y a toutefois une différence fondamentale, c’est que le schéma de rétribution est inversé. D’ordinaire, les pigeons sont nombreux et à la base de la pyramide. Ce sont les petits acheteurs en derniers ressort. Typiquement, c’est Jocelyne ou Bertrand qui revient d’une soirée dans une banlieue pavillonnaire et se retrouve avec un magnifique assortiment de coupe-faim ou de boites plastiques qui vont dormir dans un placard car, par politesse, il ou elle n’a pas voulu résister à la pression survoltée de ses amis revendeurs. C’est aussi Jean-Edouard, du 16ème ou de l'Orangerie, qui contribue plus à la redistribution des revenus envers les quartiers défavorisés par sa consommation de psychotropes que par ses impôts. Les gagnants principaux sont les grossistes qui ont écoulé leur marchandise sans risque de stock invendu, avec de grosses marges et en externalisant la distribution à des free-lance totalement rétribués à la commission.

Dans le football, et aussi surprenant que cela puisse paraître, les dindons de la farce sont relativement peu nombreux et au sommet de la pyramide. Il s‘appellent Real Madrid, PSG ou… Chelsea et injectent tous les ans des centaines de millions d’euros en recrutant les meilleurs joueurs du moment chez des seconds couteaux, lesquels vont chercher des remplaçants chez des clubs de troisième ou quatrième rang comme le Racing. Et derrière, ces derniers vont acheter des Habib Diallo 10 millions d’euros à Metz car ils savent qu’il existe la possibilité de revendre le double et que cela effacera les trois ou quatre choix moins pertinents faits à la même époque. Bon an mal an, le système finit par ruisseler, avec beaucoup de perte au feu et d’agents qui se goinfrent au passage. Un Colmarien avec un bonnet bizarrement exilé dans l’Yonne l’avait déjà parfaitement compris dans les années 1980, c’est tout sauf nouveau.

De ce fait, plus personne ne s’étonne que des entreprises misent parfois jusqu’à 20 ou 30% de leur budget annuel sur des actifs incarnés par des jeunes hommes certes fringants et talentueux mais extrêmement vulnérables. Patrons d’ETI très investis et rationnels, des personnes fortunées qui ont réussi en pesant au trébuchet l’achat de la moindre machine pour leur usine disjonctent totalement une fois lancées dans le monde du football. Ils misent des sommes déraisonnables sur des branleurs plus occupés par leur Insta et qui peuvent se péter le ligament à l’entraînement du lendemain ou prendre un avion qui n’arrivera jamais à Cardiff. C’est une économie de casino, le jeu d’argent est addictif mais ce n’est très probablement pas comme ça que nos nouveaux actionnaires ont réussi à amasser des dizaines de milliards.

Pourquoi ces gros clubs si puissants accepteraient-ils de se faire berner depuis si longtemps ? Pourquoi acheter Eden Hazard aussi cher pour finir par le laisser achever son contrat après plusieurs saison fantomatiques ? Pourquoi Julien Faubert ? D’un point de vue purement financier, c’est difficilement entendable. La seule réponse est l’importance de maintenir des résultats sportifs constants quitte à donner dans la fuite en avant. A ce niveau de statut, il n’est pas possible de louper la qualification en Ligue des champions ou compromettre son image sur le marché asiatique par une ou deux saisons de reconstruction. Impossible de faire du tanking grâce au confort d’une une ligue fermée comme la NBA avec le filet de sécurité de la draft. Liverpool l’a durement compris en loupant le premier virage de la Premier League avant de trimer 15 ans pour revenir. A une moindre échelle, Lyon le vit actuellement. Encore plus bas, c’est cette même logique qui amène le Racing à péter sa grille de salaire pour Morgan Sanson ou à baisser la culotte devant Frédéric Guilbert pour éviter de descendre en D2.

Cela signifie que le développement, la sélection et la maturation des talents sont à des degrés divers sous-traités par beaucoup de clubs pros à leurs concurrents de rang inférieur plutôt qu’à leur propre système de formation. Parce que le stress économique marche mieux que fonctionnement routinier. Parce qu’on ne peut pas sacrifier le court terme au moyen terme. C’est une forme pervertie de darwinisme : le déficit d’exploitation structurel provoque plus de pression à « sortir » des joueurs pour survivre et présenter le budget de la saison suivante à la DNCG qu’une équipe B somme toute assurée de son fonctionnement d’une année sur l’autre et donc moins apte à sortir de la fameuse zone de confort.

Ce système de sous-traitance a donc une certaine efficacité par rapport à l’internalisation, mais il coûte cher - très cher - à nos gros poissons au sommet de la pyramide. Si l’on se penche dessus d’un œil extérieur, au hasard d’outre-Atlantique, il y a forcément moyen de faire mieux. C’est dans ce cadre qu’il faut aussi, selon moi, situer les stratégies de multipropriété, inspirées du système des ligues mineures. Racheter un club du championnat portugais ou français coûte le prix d’un très bon joueur. Si l’on peut intervenir plus bas dans la chaine alimentaire sur le marché des transferts et faire le développement en couveuse, l’investissement peut être consenti.

Imaginons qu’un crack sorte du Racing, on pourra le faire bouger facilement sans avoir à verser d’indemnité de transfert… ou alors à soi-même. A terme, si un oligopole se constitue, on peut de manière générale tuer ce système pyramidal de transferts qui est effectivement un non-sens du point de vue du développement d’une ligue pro. Verser de l’argent pour rompre des contrats aux fins de mutation n’a aucune valeur ajoutée. Dans les sports américains, c’est très rare et les joueurs passent d’une franchise à l’autre en conservant leur contrat, ce qui permet par ailleurs de comprimer leurs prétentions salariales en dehors des grandes superstars. Le joueur de NBA du bout du banc est prêt à tout pour garder sa place dans les 15 du roster. Il y a au moins cinq gugusses aussi forts que lui qui attendent sur le parking, ou en G-League.

Clairement, l’élément de langage consistant à vendre le Racing comme un club « frère » de Chelsea est creux et confine à l’antiphrase. C’est une intégration verticale, il y a forcément un junior et un senior partner. Dans une telle logique, Strasbourg gardera juste assez d’autonomie pour subir la pression du résultat, mais il se conformera in fine aux intérêts stratégiques du groupe auquel il appartient, donc ceux de Chelsea.


Todd Boehly est tout sauf un idiot, ses partenaires le sont encore moins et ils ne viennent pas pour l’amour du Riesling ou des nappes à carreaux. Ils ont acheté une farm team pour à terme devoir dépenser moins qu’ils ne l’ont fait à leur arrivée sur un marché en partie absurde. Ce qui les intéresse, c’est la possibilité d’inscrire des joueurs en développement ou à la relance dans un système suffisamment compétitif pour leur éviter au maximum d’avoir recours au marché des transferts pur et dur. Pour les supporters du Racing il ne faut pas se laisser abuser par les belles paroles rassurantes. Nous ne sommes au final plus qu’un pion dans leur jeu.

strohteam

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  • steph1978 Après sur la finale je ne vois ce Real se rater contre Dortmund
  • steph1978 Il est peut-être quand même HJ, c'est limite. Mais effectivement il a sifflé trop vite.
  • rcsbur67 En même temps avec l'arbitrage Casa Blanca, évidemment qu'il sont archo favoris
  • takl désolé d'avoir spoilé
  • takl j'anticipe d'une mais c'est à peu près ça
  • chrisneudorf Tuchel a sorti tous ses top attaquants, même Kane
  • takl Le Real a gagné 15 finales de C1 sur 18 jouées. Misez Real.
  • azzu encore une fois ça montre que l'arbitrage français n'est pas si différent des autres
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  • azzu mais bordel ce "hors jeu" là... j'ai les nerfs c'est toujours pareil avec les espagnols
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  • alainh68 Maintenant 1 pti prono pour la finale , Dortmund ou le Réal ?
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  • steph1978 En tout cas dans l'état d'esprit le PSG a de quoi prendre des notes..
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  • lamazonienbleu Oui dommage d'avoir sorti les attaquants
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  • lamazonienbleu Ben moi aussi... J'aime vraiment pas le Real !
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