Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

« Ma conception du stade était unitaire »

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Souvenir/anecdote
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Par echouafni
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Meinau81.jpg

Entretien avec André Dahan, architecte du stade de la Meinau de 1984.

Le stade de la Meinau est installé sur ce qui fut à l’époque une prairie du jardin Haemmerlé devenue, à partir de 1914, le terrain de jeu du Fussball Club Neudorf, rebaptisé Racing Club de Strasbourg en 1919. On ne le souligne pas suffisamment : rarement le stade d’un club de football n’a aussi bien porté son nom, puisque « Meinau » signifie « Mein Aue », c’est-à-dire « Ma prairie ». Joueurs, supporteurs du Racing club de Strasbourg, sachez-le : ce pré bordé par des tribunes situé au Sud de Strasbourg, c’est le nôtre ! La Meinau, c’est notre prairie, notre stade.

Plus largement encore, le bien nommé stade de la Meinau s’est peu à peu érigé, dans la conscience collective de nombre de Strasbourgeois et d’Alsaciens, comme un haut lieu du patrimoine régional ; à tel point qu’on a pu affirmer : « La Meinau est notre bien commun, c’est la deuxième cathédrale de Strasbourg ! » (R. Ries).

Or, la Meinau est sur le point de connaître — une nouvelle fois et cent ans après la première tribune en bois érigée en 1921 — une importante évolution architecturale. Au début de cette année 2021, en effet, un cabinet d'architecte anglais, Populous, a été choisi pour mener à bien un projet de restructuration. L’actuel stade construit en 1979/84 laissera donc la place en 2025, à un nouveau stade, décrit selon les termes employés par Marc Keller, comme « le stade de demain avec l’ambiance d’aujourd’hui ».

Avant que ne commencent les premiers travaux et que la physionomie du stade ne change définitivement, la Stub souhaite porter l’éclairage sur l’ouvrage existant, en publiant aujourd’hui, à titre posthume, un entretien avec André Dahan, architecte de l’actuel stade de la Meinau.

J’ai réalisé cet entretien accompagné de @kitl, il y a un an, le 3 janvier 2020. Quelques mois plus tard, nous apprenions son décès, le 25 juin 2020. La présente publication est donc une forme d’hommage de la Stub à l’architecte du stade de la Meinau et à la personnalité souriante et attachante que nous avons eu le plaisir de rencontrer. L’idée de cet entretien m’était venue lors de la discussion informelle que j’avais pu engager avec ce dernier, à l’issue de la conférence, intitulée « Le stade de la Meinau, ce terrain de jeu devenu patrimoine régional » qui s’était tenue, à la médiathèque André Malraux, le 10 juin 2016 (dans la continuité de l'ouvrage rédigé par la Fédération des Supporters du Racing Club de Strasbourg en 2014 sur l'histoire du stade de la Meinau).
André Dahan était venu assister à la conférence et j’avais pris ses coordonnées. Je l’ai donc recontacté quelques années plus tard, juste à temps donc… ; et @kitl et moi l’avons rencontré (en présence de sa fille Danielle), non pas dans ce que l’on aurait pu se figurer comme étant une « maison d’architecte », mais dans un modeste appartement situé dans l’une des barres d’immeubles sans âme du quartier de l’Esplanade.

Il ressort de ce témoignage qu’André Dahan semblait ne pas du tout avoir conscience du fait que le stade qu’il a avait conçu avait acquis un statut patrimonial et culturel si particulier.
André Dahan ne distinguait en effet aucunement le stade de la Meinau de ses autres réalisations (centres de secours, piscine de la Kibitzenau, Palais de la musique et des congrès, serres et bâtiment de l'Orangerie, etc.) et s’étonnait qu’on puisse lui réserver une place à part.

Après qu'il avait été achevé, on était pourtant venu admirer le stade des différents coins de France et même de l’étranger.

Tout récemment encore, la qualité architecturale de l’ouvrage a été soulignée. En effet, l’étude de faisabilité menée en 2017 (Catevents [J. Barrow, J.F. Caux, A. Williams], RCS — Stade de la Meinau — Faisabilité — 2017) indique que le stade conçu par André Dahan est « un équipement remarquablement construit » (p. 91). L’étude en détaille les mérites dans les termes suivants :
Citation:
« Construit au début des années 80, le stade de La Meinau se fonde sur une conception rectiligne très sophistiquée, avec des angles tronqués. » (p. 36). « Le ‘bol’ qui accueille les sièges est de qualité s’agissant des angles de visibilité et des accès » (p. 36). L’étude relève : « une qualité des bétons et de réalisation qui témoigne d’une mise en œuvre soigneuse, qui certes a subi les agressions du temps d’autant plus que le parement n’a bénéficié d’aucune protection type lasure ou peinture ; une étude de sol très adroitement diligentée ; une structure de descente de charges rationnelle et très bien pensée, qui confèrent à l’ensemble une remarquable qualité structurelle que bon nombre d’ouvrages de cette époque peuvent envier. Les bétons, pourtant exposés, ne souffrent a priori d’aucun autre vieillissement que celui du ruissellement d’eau et des poussières contenues dans l’atmosphère, nulle trace d’épaufrure, d’éclatement ou de mise à nu d’armature n’ont été constatées. Lors de sa conception, puis de sa construction, ce projet ne s’est vu appliquer aucune mesure parasismique. […] Les conclusions de [l’étude d’analyse sismique] indiquent en substance que la structure est naturellement résistante à l’impact sismique, qu’un renfort par ‘croix de Saint-André’ dans le plan des tribunes basses suffit à rendre compatible l’ouvrage actuel avec la norme. » (p. 11). L’étude conclut en affirmant qu’« il appartiendra au maître d’ouvrage de définir ce même niveau de qualité pour les travaux à venir. »
(Les spécialistes apprécieront).

L’entretien avec André Dahan révèle, en effet, un esprit visionnaire. Le stade de la Meinau est né de son entière imagination, sans s’appuyer sur aucun exemple préexistant, en ignorant tout des stades « à l'anglaise » auxquels on le compare souvent et en n’ayant vu aucun match du Racing avant d’être amené à en concevoir son stade. Sa préoccupation était celle de l’utilisateur, joueur et spectateur, avec un principe directeur qu’il a martelé à plusieurs reprises au cours de l’entretien : le caractère unitaire de sa réalisation.

« Quel a été votre parcours personnel et professionnel ?

Je suis né à Oran, en Algérie, le 23 juillet 1923, dans une famille française. Lorsque durant la Guerre, les Américains ont débarqué en Afrique du Nord, j’ai arrêté mes études et je me suis engagé en 1943 dans l’armée française : j’ai été affecté au régiment d'artillerie coloniale du Maroc et de la Première armée française commandée par le général de Lattre de Tassigny. J’y étais interprète d’anglais : je traduisais tous les documents américains en français. J’ai participé aux grandes manœuvres en Algérie et en Corse, à la libération de Toulon en août 1944, de la vallée du Rhône, du Sud et du Nord de l’Alsace et, enfin, à l’invasion de l’Allemagne en avril 1945. À la fin de la guerre, je suis retourné à Oran. J’y ai repris des études supérieures et y ai obtenu le diplôme de l'Union algérienne du bâtiment (formation de cadres techniques supérieurs et d’ingénierie des travaux publics et du bâtiment).

C’est lors de mon passage à Strasbourg en février 1945 — à la brasserie « Le Pflumio », place Broglie — que j’ai fait la connaissance d’une très belle jeune fille, une belle Strasbourgeoise, qui m’a rejoint en Algérie en 1946 et avec qui je me suis marié et ai eu trois enfants (Danielle et Yves, nés à Oran, et Philippe, né à Strasbourg).

J’ai été architecte à la Ville d’Oran de janvier 1948 à juillet 1962 où j’ai mené plusieurs réalisations : de voirie (le « boulevard Front de Mer », surplombant les installations portuaires, des ponts), des bâtiments (des centres sportifs, mais aussi des centres d'hébergement ou des centres de recensement) ou des travaux effectués à titre privé (mosquée de quartier, bains maures, villas).

Rapatrié d’Algérie, j’ai intégré en 1962 le service d'architecture de la Ville de Strasbourg. J’ai été affecté à la « section 'grands projets' » dirigée par François Sauer, architecte principal. Outre le stade de la Meinau, j’ai réalisé d’autres constructions sportives comme les centres sportifs de Cronenbourg, de la Canardière, du Red-Star, du Stade « Égalité », ou l’annexe du stade Vauban..., et toutes sortes d’autres réalisations : le Centre d'intervention et de secours ouest, le Palais de la musique et des congrès, etc.

Comment est né le projet de construction de l’actuel stade de la Meinau ?

Le stade de la Meinau est la concrétisation de la volonté d’André Bord, président du Racing et par ailleurs ministre. C’est lui qui souhaitait refaire le stade de la Meinau. Il est donc intervenu auprès du maire de la ville, Pierre Pflimlin. Or ce dernier ne voulait absolument pas engager les finances de la ville dans la construction d’un stade. Un jour dans une réunion avec le maire, Pierre Pflimlin m’interpelle et me dit : « Vous ne croyez tout de ma même pas que je vais investir les finances de la ville dans un stade de la Meinau ! ». Le maire était d’accord pour restructurer une seule tribune, uniquement (la tribune Ouest).

Il a donc fallu l’insistance et la forte personnalité d’André Bord pour voir aboutir le projet de la construction d’un nouveau stade. Alors qu’au départ, il s’agissait seulement d’une « restructuration du stade », au final, en réalité, l’opération a consisté en la démolition complète du stade existant, et en la construction en lieu et place d’un tout nouveau stade. Tout a donc été démoli pour être entièrement reconstruit, y compris le terrain. André Bord voulait un stade dédié au football. La piste d’athlétisme qui préexistait a donc été déplacée à l’extérieur du stade, avec les terrains d’entraînement, dans l’espace entre la piscine de la Kibitzenau et le stade, et auxquels on accède par les deux passerelles.

Y a-t-il eu un débat quant au choix de l’emplacement du nouveau stade ?

Le choix de construire le stade sur le lieu actuel est un choix affectif. Au départ, l’intention de Pierre Pflimlin était de construire un stade à Hautepierre, mais André Bord a insisté pour que le stade reste à la Meinau, car à ses yeux, aux yeux des Strasbourgeois et même pour les Français, le football à Strasbourg, c’est le stade de la Meinau. Donc, le stade de la Meinau était un symbole.

Comment le projet du stade la Meinau vous a-t-il été confié ?

Le maire, Pierre Pflimlin, qui avait connu certains déboires avec les cabinets d’architectes privés, a préféré en confier la réalisation au service d’architecture de la ville, après qu’il avait constaté qu’il disposait de toutes les compétences en interne. L’ordre des architectes voulait même faire un procès au maire, car il confiait l’ensemble des projets au service d’architecture de la ville ; nous avons même été l’objet de tracts hostiles. Notre réussite était telle que nous étions sollicités par tous les maires des communes environnantes.

C’est donc François Sauer, architecte DPLG (comprendre « Diplômé Par Le Gouvernement ») de la ville, qui m’a confié le projet du stade de la Meinau. Il m’a laissé une pleine autonomie pour sa conception. Je l’ai conçu et réalisé de A à Z : je l’ai imaginé, j’ai consulté les entreprises et réalisé l’opération comme maître d’œuvre.

Comment décririez-vous le stade de la Meinau ?

J’ai conçu le stade de façon différente de celle qui préexistait à l’époque. Avant chaque côté du terrain comportait une tribune ayant une fonction propre : la tribune sud pour les spectateurs debout, la tribune nord pour les spectateurs assis, etc.

J’ai rompu avec cette logique de spécialisation des tribunes en fonction de leur positionnement par rapport au terrain. Moi j’ai adopté le principe de la périphérie : il fallait que je trouve une solution qui consistait à accorder à chaque spectateur, quel qu’il soit, la même possibilité d’accès à chacun des côtés du terrain. Désormais, avec le nouveau stade, chaque type de spectateur — qu’il soit debout, assis, ou handicapé — devait pouvoir bénéficier d’une place sur l’ensemble du périmètre du terrain de jeu. C’est ainsi que, pour l’ensemble des tribunes, leur partie basse est dédiée aux places debout, leur partie médiane est réservée aux places handicapées et leur partie supérieure aux places assises.

Chaque spectateur devait pouvoir avoir une vision de la totalité du terrain, sans occultation aucune et cela, quel que soit l’endroit où il se trouve et quelle que soit sa catégorie, qu’il soit debout, assis ou même couché ! Oui même couché ! Entre deux places pour spectateurs handicapés, il y a la place pour un handicapé couché, c’était étudié de manière à ce qu’il puisse regarder le match allongé ! Une grande nouveauté était en effet d’avoir conçu un stade pour les personnes handicapées. Ces dernières disposaient de sanitaires dédiés et avaient, de la même manière que les autres spectateurs, accès aux mêmes tribunes que les autres. La préoccupation d’un accès pour les handicapés ne procédait d’aucune réglementation, il s’agissait d’une innovation. Avant les handicapés étaient cantonnés dans un coin.

Par ailleurs, le stade de la Meinau a aussi été conçu pour pouvoir être vidé en dix minutes.
De même l’acoustique a été pensée et traitée de telle de manière à ce qu’il n’y ait pas de résonance : il y a une répartition du bruit de manière à ce qu’il n’y ait pas de gène acoustique.

On parle souvent du stade, mais on oublie que la réalisation du terrain était unique en son genre à l’époque : le terrain fut le premier réalisé de cette façon, à savoir qu’il est traversé par des drains tout du long, lesquels conduisent l’eau dans une fosse où l’eau est décantée pour être ensuite déversée dans le Rhin tortu. La présence du Krimmeri n’a donc pas été un obstacle mais, pour cette raison, un avantage.

À sa construction, le stade a constitué une nouveauté : on est venu de tous les coins de la France (de Paris, y compris M. Hidalgo, du Sud-Ouest) et même d’Allemagne pour le voir. Milan m’avait proposé de réaliser leur stade de football, mais je n’ai pas donné suite à cette proposition.

Aviez-vous visité d’autres stades avant de concevoir le stade de la Meinau ? Le stade est fréquemment présenté, y compris dans les documents de l’époque en 1982, comme un stade dit « à l’anglaise ». Aviez-vous à l’esprit des exemples de stades existants et notamment des stades anglais ?

Je vais vous faire une confession : on m’a présenté un seul stade, celui de Stuttgart, qui n’avait rien d’original et était composé de tribunes hétéroclites, sans même de places assises. C’est le seul que j’ai visité. Le stade de la Meinau est une conception totalement originale. Je ne me suis inspiré d’aucun stade existant. Je ne me suis servi de rien ; je l’ai conçu en faisant ce qui me venait à l’esprit. Je précise que j’étais à la fois architecte et ingénieur des travaux publics : je pouvais imaginer quelque chose et savoir si c’était techniquement réalisable ; c’est la raison pour laquelle les ingénieurs avec qui j’ai travaillé avaient une facilité avec moi, car nous parlions le même langage. Ma double formation m’a peut-être permis d’aller plus loin que si j’avais été uniquement été architecte.

Un stade à l’anglaise est une expression qui ne me dit rien. Je ne sais même pas comment ils sont, les stades à l’anglaise. L’idée d’avoir un stade fermé m’est venue naturellement. Ma conception du stade était unitaire. Comme évoqué précédemment, le point de départ a été la fréquentation, le type de fréquentation : les spectateurs debout, assis, handicapés devaient avoir un accès à tout le périmètre et avoir une vision du terrain de jeu dans sa totalité sans aucun endroit masqué.

À l’origine, je n’avais pas prévu de places debout. Dans mon premier projet, toutes les places étaient assises. Mais comme Pierre Pflimlin ne voulait pas trop investir, malgré les insistances d’André Bord, on a introduit des places debout pour que le coût de l’opération soit moins élevé. Les places debout sont donc la conséquence d’un choix politique. Mais j’ai conservé la possibilité de remplacer les places debout par des places assises.

Quelle place le football a-t-il joué dans votre vie ?

Jeune, j’ai joué au Club athlétique liberté d’Oran (CALO), j’étais arrière-droit. À Strasbourg, j’ai un peu joué avec les pompiers. Si la pratique du football m’a procuré une petite expérience qui a pu m’être utile pour savoir ce dont les joueurs avaient besoin, je dois toutefois avouer que j’ai construit le stade de la Meinau sans aller voir un seul match du Racing (à la fois hilare et un peu gêné)… Il a fallu que Michel Hidalgo, grand admirateur du stade, m’invite en tribune, une fois le stade construit, et fasse diffuser mon image dans le stade, pour que j’assiste à un match à la Meinau. Bien que je ne l’aie que très peu utilisée, une place en tribune d’honneur m’était réservée. »

Second volet « retour d'expérience » à paraître demain.

echouafni

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