L'Œil du Tigrou

(NDLR : cet article fait partie d'une série d'articles. Oui d’une série. Il y en a eu d’autres, il y en aura d’autres, sauf si le Tribunal s’emmêle. Pour ce qui est du ton, on nous dit de vous dire que en fait il ne s’agit pas de journalisme, que, en fait, c’est possiblement des billevesées voire même de grosses conneries. Donc, bon, hein.)

Lundi 4 Janvier 2021. Marc Keller se rend au bureau détendu. Son passage chez Philippe Colin sur France Inter, dans l’émission “L’Oeil du Tigre”, s’est passée sans encombres. Maîtrisant ses fiches bristol, ses chères fiches qui l’ont accompagné depuis 2012. Bien sûr, il est un peu inquiet, elles sont écornées, usées, il ne faudrait pas qu’elles se déchirent.

Ce matin, en plaçant dans son attaché-case Delsey la boite à goûter “France ‘98” dans laquelle Sabryna avait soigneusement placé les sandouiches au Nutella sur “Grandes Tranches Nature Bio Sans Sucres Ajoutés” de Jacquet, il a pensé à lui dire (à Sabryna, pas à la boite à goûter) “Madame, au fait, il faudrait les plastifier, j’ai peur qu’elles ne se délitent.”, Sabryna, perplexe : “M’enfin canard, ils seront immangeables, déjä que bon, je n’approuve pas ton goût pour cette nourriture industrielle ultra transformée, ce n’est pas bon pour tes organes internes, ni ta complexion…”, Marc l’interrompt avec douceur, en souriant, ce sourire bienveillant et bon, que d’aucuns qualifient de niais, mais d’aucuns sont des pas gentils, “Mais non, je parlais de mes fiches bristol, tu sais, ma Bible”. Il avait fait le signe des “guillemets” avec l’index et le majeur de ses deux mains placées de part et d’autre de son visage au teint délicieusement mi-hâlé mi-rosé Elle avait promis de le faire. Qu’elle était compréhensive, douce et efficace.

Un petit nuage d’inquiétude voile, l’espace d’un instant, ses yeux noisette, tiens, comme le Nutella; s’il y avait pensé (à la teinte similaire de ses yeux et du Nutella) il aurait sûrement ri, de ce rire cristallin et flûté comme un truc qui serait flûté. Le nuage d’inquiétude mentionné ci-dessus est causé par la pensée qui vient de traverser son esprit honnête et droit comme la flèche de la Cathédrale dont l’asymétrie si particulière est un pied-de-nez aux petits censeurs de joie, ayatollahs de l’ordonnancement esthétique, cette pensée, donc, celle qui lui a traversé l’esprit tout ça, c’est que l’encre bleu turquoise (sa préférée) du Pilot Frixion Ball pointe fine (son préféré) commençait à passer. Il aurait dû demander à Sabryna de les faire dupliquer. Bon, il lui dira ce soir. Ce soir, après une bonne journée de travail radieuse et productive où il pourra se réjouir avec la cellule communication de l’excellente émission de hier soir sur une radio nationale à l’audience large.

Mais Marc Keller se trompe. C’est rare. Il ne s’attend pas à la tempête qui va lui tomber sur le râble.

Cellule de crise

En entrant dans le bureau, Marc Keller avise toute l’équipe de communication, en bras de chemise, plusieurs bouteilles de Carola 0% vides éparpillées sur la table, s’agitant en tous sens. Jean-Kévin, le head-communication-champion est blême :

 - Putain Marc, c’était quoi hier soir ? Tu t’es cru sur Radio France Alsace ? T’avais encore pris tes Lexomil ou quoi ?
 - Heu, mais... D’abord bonjour. (Il laisse une pause, pour donner le temps à Jean-Kévin et aux autres de lui rendre son bonjour. Rien. Houlalala, ils sont très en colère, se dit-il, ils oublient leurs manières, c’est pas chou.) J’ai tout bien fait comme d’habitude, les piliers, l’ambiance de la brousse dans une buvette du futur, tout ça.
 - (se massant les tempes)Putain, Claude-Baptiste, reprends, je peux déjà plus là, j’ai envie de frapper dans les murs.

Claude-Baptiste, associate-social-media-director, se tourne vers Marc, sa cravate en soie rayée rose et orange s’agite de gauche à droite au rythme de son souffle haletant :

 - C’est pas possible, t’as vu les chiffres du panel ? On t’a envoyé le report hier soir, tu l’as lu au moins ?
 - J’étais cre-vette, et Sabryna utilisait l’ordi pour designer le prochain maillot rose Kop Kop’in, j’ai pas osé la déranger. Et puis c’est quoi le panel ?
 - (cramoisi)Mais enfin, le panel clients, enfin, supporters ! Les 20 types qu’on a recruté au McDo pour donner leur avis, tu écoutes en briefing task force media le mercredi ou tu fais tes mots croisés papy ?!
 - (soudain nerveux)On a recruté des gens ? Ca rentre dans le budget ça ? Vous l’avez mis dans le rapport pour la DNCG ?
 - (esquisse un sourire matois)Ca coûte... que... dalle ! Les gonzes sont des fans, ils sont prêts à faire n’importe quoi pour podzob, du moment qu’on leur dit que leur voix compte et que c’est pour l’avenir du Raaaacing, qu’ils sont des influenceurs, ils plongent ces cons là.
 - Ha, Raaacing, c’est bien c’que j’me disais, hier soir, le speaker, Michel Cabillaud là, il faisait rien qu’à dire Rééécing, je croyais qu’il parlait d’un autre club. Hi hi.
 - Woptain, j’vais craquer, Rémy-Michael, continue, faut que j’décompresse là, j’ai envie de m’enfoncer un Jabra dans l’oesophage.

Rémy-Michael, audience-engagement-loyalty-officer, surgit de derrière le paperboard où il malaxait des boules de relaxation en latex en fumant par les oreilles.

 - MARC ! MARC ! Concentre toi ! On est en pleine expansion & image-transforming phase ! Ca fait deux mois qu’on pond report sur report, powerpoint sur brainstorming et rebranding sur conf-calls, et toi tu fais comme si on en était encore à la phase préliminaire “rassemblement des forces vives et gogos gathering”. On passe à la suite, on voit grand, fini le pécores-calining, maintenant c’est nationwide qu’on vise ! On a bien ratissé toutes les kermesses, les messti et les fêtes de la patate. C’est bon, on l’a notre storytelling ancré régional, province, racines et messe du dimanche. Now, on démarre l’expansion globale, on arrête les gentilles histoires pour faire sourire les coiffes alsaciennes et réchauffer le petit coeur des Hansi, c’est bon. Hier soir tu nous a refait ton gendre idéal qui gère en bon père de famille l’affaire familiale avec le bon sens régional bien ancré dans la bouse. C’était pas ça du tout qu’on avait dit !
 - Ben oui, comme d’habitude, en plus j’ai vérifié, je crois que j’ai rempli toutes les cases. Il me manquait juste le “l’ADN du club, mais c’est parce que un des deux autres monsieurs invités me l’a piqué avant que j’ai pu le placer, j’étais vert ! C’est quand même ma réplique signature, il a pas été choupi.
 - Les cases ? Mais de quoi tu parles ? T’as encore baffré trop de Maoam ? T’es en hyperglycémie ou quoi ?!
 - Mais heu… les cases du “Bingo”, tu sais, l’aide-mémoire que les gentils clients impliqués ont fait, avec tous les trucs que je ne dois pas oublier de dire.
 - (perplexe, soudain une lueur méchante luit dans son oeil, le droit)Le “Bingo Marc Keller” ? Tu parles du truc que les fourbes ont mis sur internet pour se foutre de ta gueule ? Mais, mais, je, mais, je, je, MAIS T’ES À LA RAMASSE OU QUOI ? ILS SE FICHENT DE TA POIRE !
 - (sortant une feuille de son attaché-case)Mais non, regarde, c’est super pratique, j’ai trouvé ça vraiment sympa de leur part.



Toujours prévoyant, Marc ne se séparait jamais de son aide-mémoire


Les trois jeunes cadres dynamiques de l’équipe de communication sont bouche bée, les bras ballants, abasourdis, en quelque sorte. Jean-Kévin, les mains jointes, doigts écartés, visiblement en pleine séance express de respiration de pleine conscience, technique que lui a appris son “coach de vie” pour contrôler ses accès de violence, ouvre les paupières lentement, tel Norman Bates dans sa cellule, la couverture sur les épaules :

 - Marc, Marc, Marc. Bon, halte au sketch. Avec la team, on a décidé qu’il fallait qu’on fasse quelque chose de fort, il faut que tu te réveilles Marc. Rémy-Michael te l’a rappelé, parce que tu sembles ne pas avoir pris la mesure de la situation. On ne peut pas éternellement stagner dans cette situation médiocre de stabilisation. Les actionnaires doivent s’y retrouver, il nous faut saisir des opportunités de croissance, il faut qu’on leur chie du ROI à deux chiffres… STOP ! Si tu poses une question sur Yvan Roy je te balance ce Storky au travers de la gueule ! Pas bouger, silence, open your mind, be aware ! Claude-Baptiste n’a pas eu le temps de te le dire, mais en plus du panel crétins, y’a les résultats du sentiment survey sur l’audience nationale qui t’a écouté débiter ton eau tiède hier soir. C’est ca-ta-stro-phique ! Les gens te trouvent, je cite, “bien gentil, mais bon”. BIEN GENTIL, MAIS BON ! Tu le notes le “mais bon”, tu le sens passer ? Putain, on veut pas finir comme Guingamp, on n’est pas là pour jouer au club de braves provinciaux humbles et besogneux. Je te parle même pas de la situation du football français, on est au bord du gouffre.
 - Mais, Guingamp, c’est un bon exemple. En plus c’est Noël Le Graet qui l’a construit le club, il a beaucoup travaillé, ils sont restés humbles, c’est admirable.
 - Mais t’es demeuré ou quoi ? Le Graet il en avait rien à caguer des alcooliques de Guingamp, il a fait monter sa bouse à coup d’intrigues de couloir, le mec, son but, c’était d’atteindre le bol de punch à la Ligue et la Fédé. Regarde où il est maintenant… Tu crois qu’il y pense encore au clocher de Guingamp quand il siffle pépouze une quille de Romanée-Conty en se curant l’pif ?
 - Oooooh, tout cela me paraît bien négatif, c’est chouette pour la France qu’un humble serviteur du football comme lui soit aux manettes, grâce à lui on sait que la Fédé est bien gérée en bon…
 - ... tu vas pas dire “père de famille” là ? Fais pas ça, ou j’éventre Storky tout de suite.
 - Ho non, pas Storky!
 - De toute façon, ça fait partie du plan, tu lui suces la roue en jouant le ticket commun pour la Fédé, une fois en place, schlaaaaaaaaaaaak ! Tu le tues, tu leakes les histoires de mains au cul et blagues pas suffisamment “me too”-compatibles à la presse, avec les noms, des photos, surtout celle où ils sont 12 dans un box de parking de la Fédé avec un poney et des cerceaux de hula-hoop, bref tu abats le Tony Montana armoricain et tu prends sa place. Et là, bim ! C’est l’jackpot pour le Racing, tu deviens le maître des horloges et tout se met à tourner “comme par hasard” dans le bon sens pour le club ! Enfin non, je te la concède celle-là, pour les éléments de langage, on placera que c’est l’héritage de ta gestion de bon père de famille qui a emmené le club sur le toit de l’Europe. Hin hin hin, c’est bon ça.
 - Mais, heu… c’est légal ?
 - T’es sérieux là ? C’est quoi cette question ? On doit foutre des putains de paillettes dans la vie des prospects marketing à travers la France et bientôt en Europe ! Tu as vu les clubs qui ont marqué le foot français ? Paris, Marseille, Lyon, tu crois que c’est avec de la confiture de myrtilles, des pamplemousses, de la bonne huile de coude et un dur travail acharné sur les terrains d’entraînement qu’ils ont marché dans la gueule de la compétition ? Ne me dis pas que tu es naïf À CE POINT ? D’ailleurs, faut que t’arrêtes avec ces conneries de “Oui, il y a les clubs qui jouent les 3 premières places, ceux qui jouent l’Europa League, c’est une autre catégorie, nous on est entre la 10ème et la 20ème place, on vise le maintien paisible, et parfois un peu mieux si on a de la chance” que t’as encore débitées hier soir, tu crois qu’on va donner des demi-molles à Nike et MasterCard avec ton wording de loque humaine ?
 - Je sais pas, moi, j’ai encore ma carte SuperMut, Sabryna veut pas me laisser une autre carte, elle dit que je pourrais faire des bêtises. Bon, elle a sûrement raison, parfois, quand je suis un peu fifou, j’ai envie d’acheter plein de fraises Tagada et de Tang orange et tout avaler affalé sur un canapé en bintje-regardant trois Thalassa d’affilée (je les ai tous en VHS, par contre j’ai jamais compris pourquoi les gens ils regardent avec des pommes de terre, mais bon, c’est rigolo). Il vaut mieux que je fasse attention, un budget familial ça se gère en bon… (levant les yeux vers Jean-Kévin, il préfère ne pas finir sa phrase.)
 - C’est insoutenable Marc, ça ne peut plus durer. Alors, voilà, on a engagé une team de warriors de la win corporate, des spin doctors de compète, des mercenaires du branding, très innovants, des cadors en “Transformational Leadership”, ils arrivent d’une minute à l’autre, ils vont te prendre en main. On a explosé le budget, mais choper un stage de chez “Disruptive Innovation Partners SARL”, c’est le top, je l’ai lu dans Men’s Health. Be ready mate, ça va pas être le club Mickey.

Extension du domaine de la lutte

Marc Keller a tout juste le temps d’avaler une grande gorgée jus de litchi, en portant en tremblant sa bouteille réutilisable Yuhme eco-friendly en sucre de canne recyclé équitable et responsable à sa bouche aux lèvres purpurines, dont la forme parfaite aurait pu être designée par Tadao Ando. Mais un spasme nerveux lui fait lâcher le flacon éthique qui se fracasse sur le lino comme ses espoirs matutinaux de passer une bonne journée, radieuse et épanouissante, qu’il avait un temps caressés (ses espoirs).

Ce mouvement involontaire est provoqué par le fracas de la porte de la salle de réunion défoncée à coup de rangers par un groupe d’hommes. Non, davantage que des hommes; baraqués comme des panzers, costumes paraissant ajustés à même la peau, cheveux ras, barbe faussement négligée - mais virile en diable - ceignant une mâchoire plus carrée que celle d’Oliver Kahn en train de mâcher une enclume.




Celui qui semble être le chef s’avance, l’index pointé, vers le nez de Marc Keller. Ses deux séides se placent de part et d’autre, légèrement en retrait, et fixent Marc Keller intensément de leurs yeux bleu inox. Un bleu qui n’a rien à voir avec le turquoise du stylo du pauvre Marc. De toute façon, pour Marc, rien de ce qu’il vit désormais n’a à voir avec le confort satiné et balisé du monde en fiches bristol dans lequel il évoluait jusque-là depuis son retour au club, en 2011, ou 2012, ou peut-être 1979, il ne sait plus, ses pensées fuient en tous sens, il a peur, tout s’écroule. Une vague impression qu’il risque d’uriner sur place le saisit.

 - Bon coco, tu la fermes et tu écoutes car on est là pour sauver ton cul.
 - Pourriez-vous utiliser un langage moins gro…
 - (L’oeil du gorille cille à peine, mais impose aussitôt le silence) J’ai dit: la ferme. Alors voilà, ta team de communicantes nous a contactés parcequ’apparemment il faut que tu passes la seconde et à l'âge adulte de l'entrepreneuriat avec des poils. Je nous présente, moi c’est Dick-Jack, et là, mes deux associés, Buck-Chad et Pradeep. Je t’explique car tu as pas l’air de percuter, t’es un peu lent, mais bon on m’avait dit que les Suisses ils étaient pas très vifs…
 - Je suis pas Suisse je heu… votre regard est oppressant, c’est voulu ?...
 - (Le monstre tapote son cigare pour faire tomber la cendre, qui s’écrase sur la peluche Storky. Quelques poils de polyester disparaissent en grésillant sous les yeux affolés de Marc Keller, qui hésite sans paraître comprendre entre le cigare et Storky) Je reprends. Tout le délire consensuel, inclusif, progressiste, familial éco-durable tout ça, c’est de la merde. Tu te le roules et tu te le mets sur l’oreille ! Les gens mentent, et va pas croire les réseaux sociaux, c’est 20 personnes qui “tweetent” depuis un Starbucks, c’est pas les vrais gens. Arrête de te rouler en boule, t’es un cloporte ou quoi ?

Un sourire mauvais passe sur le regard de Dick-Jack. Comme avec délectation, il poursuit sa démonstration:

 - C’est la crise, c’est la merde, à cause du COVID, de Mediapro, c’est la merde, on va mettre la clef sous la porte ! Quand ta maison brûle tu attends quoi hein ? Hé connard, je te cause ! Quand la maison brûle, tu ne souhaite pas aussitôt que les pompiers rappliquent avec leur gros camion qui fait pimpon, qu’ils se garent en double-file sur une place handicapé s’il le faut et qu’ils aspergent l’incendie en en mettant partout avec leur grosse lance à incendie ?

Marc Keller ferme les yeux très fort. Il tente de chasser de sa tête les images, surtout la vilaine grosse lance.

 - NON l’aM. Fritz! Ne lutte pas ! Au contraire, embrasse ces images ! Oh oui je sais à quoi tu penses et c’est justement ça qu’il faut que tu retrouves !




 - Quand ta maison crame avec ton bébé à l’intérieur, tu te demandes combien de CO2 consomme le camion de pompiers ? Si toute cette eau ce n’est pas du gaspillage et une ponction à Dame Nature ? Tu appelles Megan Rapinoe? Non ! Non ! Ce que tu veux, c’est un pompier viril et musclé qui sent la cendre et la sueur d’homme !
 - Mais je ne risque rien, n’ayez crainte, à Eschau j’ai installé un détecteur de fumée qui marche à l’énergie éolienne et…

Renonçant à toute mesure et préoccupation esthétique, Dick-Jack gifle l’élégant visage de Marc Keller dont la digne expression disparaît un court instant. Puis il poursuit son discours en s’adressant à la cantonade :

 - Ah ouais, y’a du boulot, mais on va le faire, car on n’a pas peur et qu’on est grassement payés ! Oui oui on fait ça pour la thune, pour se payer une grosse bagnole, balek qu’on en a déjà 4, et on va se taper des escorts girls en prenant de la coke ! Dis moi coco, test, piège, un astéroïde de la taille de l’Alsace fonce vers la Terre…
 - Est-il en forme de bretzel-coeur?

Le spin doctor approche son visage à quelques millimètres de celui de Marc Keller, qui essaye de ne pas penser aux effets néfastes de l’haleine chargée de nicotine.

 - Un astéroïde fonce sur la Terre et va tout détruire, tout ! Tu fais quoi Mister président, hein ?

La gifle lui brûle toujours la joue. Marc Keller se pince le nez pour éviter les saignements sur son col blanc. ça part à pas même à 90°C sauf si on met du gros sel dessus tout de suite. Sabryna lui manque tant à ce moment.

 -  Un astéroïde, c’est plutôt impressionnant, donc déjà je ferais preuve de prudence et d’humilité. Je pense qu’il faut, sans présumer de ses forces, se mettre autour de la table et…
 - NON! NON! Tu appelles Bruce Willis et tu lui files une grosse bombe pour le dégommer ! Tu te demandes pas si la violence est bien légitime et si la forme phallique des navettes spatiales est un autre symbole du patriarcat ! C’est pas un billet d’humeur de Virginie Despentes qui va te le détruire l’astéroïde ! Faut que tu comprennes le Zeitgeist mon petit Kellerounet ! Les gens ils ne veulent pas d’un monde d’après avec du quinoa ! Ils veulent, ils fantasment de pouvoir reprendre leur vie d’avant, leur bagnole et faire des kilomètres pour rien, juste pour rouler, faire hurler le moteur. Ils veulent boire, fumer sans qu’on leur dise de mettre leur masque, ils veulent manger gras! Ils veulent se défoncer avec la came du prof Raoult-là, look de viking, moto, bagues tête de mort ! Eh coco, d’ailleurs, tu crois que c’est qui qui en fait le sauveur de la Patrie de l’ami Raoult? Bah ouais, c’est nous! Les conseillers de comm’ ? Avant Raoult c’était le premier de la classe et il aidait les vieux à traverser la rue !




 - Donc si tu veux être président des CFF…
 - FFF...

Une nouvelle gifle interrompt Marc Keller. Impitoyable, il poursuit:

 - Bah pour ton SNCF là c’est pareil, les gens veulent un président qui a des couilles, qui transpire, qui fume et qui va sauver la mise ! Là tu es Pierre Pfimlin et les paras vont sauter sur Paris, là il faut que tu sois De Gaulle tu saisis ? Con-sangsuesuce c’est fini ! Tu coupes la parole, tu mets la main au cul à la secrétaire et tu tweetes “[i]y en a marre de ces tchétchéno-je sais pas qui viennent foutre la merde ! Papa rentre à la maison et c’est fessée avec la boucle de la ceinture si on n’écoute pas”
 - Mais ce sont des Violences Éducatives Ordinaires!!!
 - Le foot français va crever et tu vas le sauver avec un hochet Montessori ? Mad Max il se déplace en fixie ou en trottinette électrique ?
 - Je l’ai pas vu, c’est trop violent et le sable ça me rappelle Mimizan, j’avais eu des mycoses…
 - Oooh ! Stop ! Tu veux être président de ton truc de ballon là ou tu veux gérer une épicerie auto-géré inclusive qui va fermer au bout de 2 mois pour faire place à un truc qui fait de la THUNE genre un McDo ?

Comme possédé, Dick-Jack fait de grands gestes avec les bras, manquant à chaque instant de frapper son interlocuteur. Soudain, son regard se pose sur la maquette du stade.

 - AHHH ! On va commencer par ça. La Meinau, “l’autre cathédrale de l’Alsace” comme tu disais…

Marc Keller croit déceler un peu d’admiration, et se rengorge:

 - J’ai trouvé la formule tout seul, par rapport au fait qu’il y a déjà la cathédrale de Str…
 - Une cathédrale, c’est bien un lieu où on prie et où on allume des cierges en espérant un miracle ? Où des dinosaures viennent gentiment demander qu’on s’occupe de leur salut ?! C’est pas un peu mièèèèvre mon bon petit Marc ?

Il insiste sur le mot mièvre, et ce faisant brise la maquette d’un seul mouvement de sa main taillée comme un pied de Carsten Jancker.

 - (Marc Keller devient livide)MAIS EUH NOOOON J’ai réalisé moi-même cette maquette avec des allumettes recyclées, des bouchons de Carola et de la colle qui ne sent pas trop fort sinon je tourne de l’oeil !
 - C’était quoi ? Une maison de poupée ? Le stade Barbabapa ? De la merde, de la merde ! Oublie les familles, oublie les Kop’in, si les femmes viennent au stade qui va faire le ménage hein ?
 - Chez nous on répartit les tâches en utilisant un tableau hebd...
 - IL FAUT un STADE ! Un colisée en béton brut, dont la hauteur est une offense aux dieux ! Pas du grès rose friable de tantouze, du ROC ! Un truc grandiose quitte à faire de l’ombre à tout le quartier ! On emmerde les comités de quartier ! Et là dedans, les hurlements des fauves et des gladiateurs ! C’est une arène pour la boucherie qu’il faut, où des gladiateurs viennent s’arracher les tripes sous les vociférations d’un public ivre et puant ! Pense Russel Crowe, pense Ken le Survivant, c’est ça le nouveau stade ! Des barbelés sur les poteaux ! Le nom du stade c’est AAAAARGH ! Un cri, qui vient des tripes, un cri de rage, de douleur! Tu saisis Blanche Neige ?
 - (Marc Keller tremble comme une feuille, des larmes perlent au bord de ses paupières dont l’ourlet parfait aurait rendu dingue Ingres)Mais, heuuu… cessez de me donner des sobriquets ridicules, je m'appelle Marc Keller, Marc Keller ! On ne parle pas comme ça aux gens, c’est disrespectueux, c’est, c’est, c’est MOCHE ! Regardez, sur mon antisèche bingo, c’est marqué “*appelle son interlocuteur par son prénom”...
 - (Le spin doctor imite Sean Penn)JE SUIS SAM, OUIIN OUIIN ![/i] File moi ce torchon, on m’avait briefé sur ce machin, regarde c’que j’en fais de ton bréviaire de raté !

Joignant le geste à la parole, il déchire le papier et s’applique à en enfoncer les morceaux dans la gorge de la peluche Storky, tout en hurlant de rire comme un dément.

 - NOOOOOOOOOOOOOON !!!!, s’exclame Marc Keller.
 - Arrête de pleurer, lavette, regarde, on t’en a préparé un tout beau, tout rouge, avec ce qu’il faut dire pour pas passer pour, pour, enfin tu vois, pour pas passer pour ce que t’as pas envie de passer pour.

Dick-Jack agite devant le visage séraphique de Marc Keller, déforné par une terreur primale, une feuille plastifiée A4, d’un rouge agressif et pas woke du tout.




Marc Keller, bien que terrifié par cette accumulation d’horreurs, par cette vulgarité intolérable, sort la tête d’entre ses genoux, et tente, dans le but d’amadouer le barbare qui le houspille depuis ce qui lui semble être une éternité, un timide "Je peux l'avoir sur une fiche bristol ?”. Sans même répondre, le chef de l’équipe “Disruptive Innovation Partners se contente d’un énorme crachat entre les chaussures du pauvre Marc Keller.

Survival of the fittest

A ce moment, il laisse la place à Pradeep. Celui-ci reprend sans perdre un instant:

 - Le truc c’est qu’on est limité en temps, vu que ton élection c’est en mars ! On va devoir short-cut le fulltime process pour aller plus vite. Tu dois devenir un mâle alpha et fissa ! Même pour Raoult (ouais c’était nous aussi!) ça nous a pris plusieurs années. Heureusement on est le top de l’approche disruptive. On est passés par la
MARCO, ce ramassis de babas bigots, et on leur a “emprunté” (il fait le signe des guillemets) leur matos (et les trois soudards partent dans un grand rire diabolique). Du bon matos y a pas à chier! Ca fait de la peine de voir ce qu’ils en font. Bref, on a reschedulé le scope de la machine FRANCO. Pour la purification fondamentale, on a remplacé l’eau tiède par des miasmes de Zlatan Ibrahimovic qu’on a mélangé à de la taurine le tout saupoudré de poils pubiens Steven Seagal. Ca nous a coûté une blinde, mais c’est magique ce truc. D’ailleurs, je mets la facture pro forma à quel nom ?
 - Marc : Mais ce n’est pas Vegan! C’est de l’exploitation anim…
 - Bien, les mecs tenez-le on va balancer la sauce. Attache ta ceinture Alice et prépare-toi pour le pays des merveilles.


Pour la version complète et sonorisée du traitement FRANCO subi par Marc Keller, suivez ce lien : CE LIEN. On vous prévient, les images sont terribles. On vous a prévenus.

IL EST LIBRE MARC! (y en a même qui disent qu’ils l’ont vu voler)

 Jean-Kévin.- Alors? Toujours pas de signe d’amélioration ?
 Remy-Michael.- Ca va un peu mieux, il picore de nouveau et lèche un peu le bloc de sel. Il a aussi demandé à ce qu’on lui mette un miroir pour s’amuser.
 Jean-Kevin.- …




 Rémy-Michael.- Bah quoi ? C’est un progrès, non ?
 Jean-Kévin.- Le président se prend pour un canari et tu appelles ça un progrès !!!!!
 Claude-Baptiste.- Ce sont les perroquets gris du Gabon qui se reconnaissent dans les miroirs, je ne crois pas que les canaris…
 Rémy-Michael et Jean-Kévin tournant de concert la tête vers Claude-Baptiste.- ...
 Rémy-Michael, faisant mine de n’avoir rien entendu.- Ecoute, moi j’ai cru qu’il allait y rester dans cette machine FRANCO, et en plus je te rappelle que ce n’est pas toi qui a dû éponger le vomi !
 Claude-Baptiste.- C’est vrai, quand il a commencé à saigner des yeux et des oreilles je nous voyais déjà tricards… Fini la grande vie ! Plus d’abo CTS remboursé et fini les soirées grillades au Flunch. J’ai encore le prêt de mon E-Bike à rembourser.

Les affreux de la Disruptive Innovation Partners reviennent dans la salle.

 Dick-Jack.- Alors Titi ne siffle plus? (rire sardonique)
 Jean-Kévin.- Putain vous nous l’avez esquinté et vous vous marrez !!!! Ca ne va pas se passer comme ça, je vous préviens !
 Buck-Chad (intimidant).- Ecoute petit caca, le contrat vous l’avez lu, vous l’avez signé, si votre ballerine en porcelaine se brise pendant l’intervention, nous n’en sommes pas responsables. Vous vouliez qu’on en fasse un tueur, on vous a dit que dans des délais si courts, c’était ric-rac, mais vous n’avez rien voulu entendre, la FFF machin bidule etc. Maintenant c’est à vous de changer les journaux dans la cage, tu saisis ?
 Claude-Baptiste.- Mais il va rester comme ça pour toujours?
 Pradeep.- S’il passe la nuit, ce qu’on ne garantit évidemment pas, ça devrait rentrer dans le rang. Y’aura parfois des rechutes, donc vous feriez bien de garder un sac de graines sur vous et d’éviter la proximité des chats pendant quelques semaines...
 Dick-Jack.- S’il se retape, on a bien une idée, mais je vous préviens, c’est encore plus dingue que la méthode FRANCO ! Et plus cher gnark gnark gnark.
 Jean-Kévin.- Non mais vous délirez ou quoi ?
 Buck-Chad.- C’est ça, ou alors vous poursuivez avec votre ADN du club, vos Kop’in, votre petit bonhomme en mousse et vos moules à Baeckeoffe… Donc ciao et bonne chance pour la FFF !
 Rémy-Michael.- …
 Jean-Kévin.- …
 Claude-Baptiste.- ...
 Jean-Kévin.- Bon c’est quoi votre plan?
 Dick-Jack.- S’il nous claque pas entre les pattes, enfin les ailes plutôt (rire sardonique) on en vous parle au brunch coke et escorts de demain.
 Pradeep.- Puis regardez, c’est pas si grave, il a pas l’air si mal sur son perchoir là ! À demain les filles !

À ces mots, les trois consultants de l’enfer claquent des talons et quittent la salle en entonnant le classique “Loin de chez nous”.

La suite au prochain épisode, bande de moules !