Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Le Racing et la querelle entre les Anciens et les Modernes

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Par fremetter
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Et si les (petites) querelles aperçues ça et là sur le Stub n'était que le prolongement d'une lutte ancienne entre la conservation et l'innovation ? Petite digression historico-littéro-footballistique d'été.

« Toute la question de la prééminence entre les Anciens et les Modernes étant une fois bien entendue, se réduit à savoir si les arbres qui étaient autrefois dans nos campagnes étaient plus grands que ceux d’aujourd’hui. En cas qu’ils l’aient été, Homère, Platon, Démosthène, ne peuvent être égalés dans ces derniers siècles, mais si nos arbres sont aussi grands que ceux d’autrefois, nous pouvons égaler Homère, Platon et Démosthène. » (Bernard Le Bouyer de Fontenelle, Digression sur les Anciens et les Modernes et autres textes philosophiques, 1688)

Depuis l’annonce du rachat du Racing par BlueCo, la communauté racingstub se déchire entre partisans de cette évolution, avec l’espoir qu’elle permette au Racing « de changer de dimension », et opposants à ce type de prise de contrôle par un investisseur possédant déjà un club phare en Premier League, qui pointent du doigt le risque de satellisation du club dans une galaxie dont le centre ne serait pas en Alsace. Les échanges sont vifs et tranchés, souvent sarcastiques, parfois acrimonieux. Preuve d’un certain niveau de tension, la fermeture par la modération pendant quelques jours du topic « club des optimistes » (initialement créé en janvier 2023 par ceux qui croyaient au maintien alors que le Racing était au fond du trou, avec un premier message mythique), en raison d’échanges musclés entre stubistes. Depuis, plus d’un mois après le rachat, le sujet reste inflammable, le feu couve et chaque post polémique est susceptible de le rallumer… Au point que certains s’émeuvent de cette dispute et craignent qu’une scission ne vienne séparer définitivement deux stubs irréconciliables, les optimistes et les non-optimistes.

Alors, sommes-nous condamnés à vivre notre congrès de Tours ? Notre grand schisme d’Orient ? Et si au contraire cette querelle s’inscrivait dans une longue et glorieuse tradition française, faite de débats, de confrontations d’idées, de controverses ? Ne rejouerait-on pas à notre niveau la lutte entre les Anciens et les Modernes ? En effet, la revendication de modernité traverse toute l’histoire humaine, où elle réapparaît sous des formes sans cesse nouvelles : le besoin de libérer le présent de la sujétion du passé, en vue d’en assurer la singularité, et éventuellement la supériorité, a toujours existé et s’est affirmée de manière plus ou moins forte et polémique. Le football en général, et le Racing en particulier, n’y échappe pas. Voilà une belle occasion pour plonger le temps de quelques paragraphes dans l’histoire des lettres et du football !

Homère ou La Bruyère ?

Cette revendication de modernité a revêtu un caractère particulièrement tendu, et est même devenue une préoccupation dominante, à la fin du XVIIème siècle, quand a éclaté la grande querelle des Anciens et des Modernes, passée quasiment au rang d’affaire d’Etat lorsqu’elle a débordé du seul champ des arts et des lettres. Les tenants des deux camps (les auteurs grecs anciens sont indépassables // le siècle de Louis XIV égale voire surpasse tout ce qui s’est fait avant) à l’égard du présent et du passé, qui ne formaient au départ qu’une seule communauté, se sont alors organisés en groupes de pression qui se sont disputés bruyamment l’espace public, le droit à représenter l’esprit général de l’époque et à en diriger les manifestations dans le sens qu’ils préconisaient, celui de la conservation ou celui de l’innovation.

Il s’agissait en réalité d’un événement prédéterminé : les thèmes dont la querelle s’est nourrie avaient pour la plupart commencé à émerger longtemps auparavant et s’étaient développés au cours des époques précédentes. Ils se sont à un certain moment rapprochés, recoupés, et c’est de leur rencontre qu’est sortie la tonitruante dispute dont les échos se sont fait entendre pendant un siècle.

Cruyff ou MBappé ?

La chose n’est pas nouvelle non plus dans le foot. Les réseaux sociaux aujourd’hui, les blogs, les espaces commentaires des Cahiers du Football ou de So Foot hier, regorgent de prises de positions sur l’existence ou non d’un glorieux âge d’or du football, qui se situerait dans les 70’s – 80’s, avec pour marqueurs de ces temps bénis l’amour du maillot, la fidélité des joueurs à leur club et la présence de joueurs régionaux dans les effectifs. Ces années recèlent une infinité de références positives : le football total des Néerlandais, le romantisme (mal récompensé) des Brésiliens, l’équipe de France du carré magique, le jeu à la nantaise...

Pourtant, en regardant objectivement, c’est aussi la période où les tactiques défensives, axées sur le physique ou la malice s’imposent avec le plus d’efficacité, la période où le vice et les brutalités culminent. Les artistes comme Cruyff, Platini ou Maradona devaient survivre à des tacles de bouchers, et la justice sportive était souvent vaincue par les tricheries.

Inversement, le football des Anciens est dénigré par les Modernes sous l’angle de sa lenteur et de sa faible intensité (« ça manque de rythme »). En réalité, le rythme était autre : moins enlevé, certes, mais pas absent. La liberté de mouvement dont dispose alors le porteur du ballon est effectivement frappante : il a le temps et l’espace pour évoluer, et l’on s’étonne que les adversaires restent si passifs, au point de paraître rétrospectivement irresponsables dans leur absence de pressing et leur replacement aléatoire. Aucun entraîneur contemporain ne tolérerait un tel laxisme. Cette indolence apparente résultait bien sûr des caractéristiques physiques des joueurs, qui ne pouvaient, alors, tenir 90 minutes en enfilant autant de kilomètres que leurs homologues actuels. Pour une autre part, ce tempo modéré constituait une convention de jeu tacite. C’est ainsi que l’on s’accordait à jouer, et un N’Golo Kanté téléporté en 1982 serait passé pour un hurluberlu, voire un danger sanitaire.

Par contraste, c’est donc la rapidité du jeu moderne qui mérite d’être pleinement perçue. Les joueurs doivent maîtriser des passes qui auraient eu des allures de tirs il y a trois ou quatre décennies. On lit parfois que le niveau technique a baissé, mais ce n’est pas certain : la technique a littéralement de moins en moins d’espace pour s’exprimer quand il importe de se replacer, de presser, et quand les gestes les plus simples (contrôler, passer) doivent être accomplis avec une rapidité affolante, sous une pression constante.

Il n’est pas exclu que les footballeurs qui nous paraissent les plus maladroits (y compris dans l’entrejeu du Racing !) aient un bagage technique égal ou supérieur à leurs prédécesseurs, mais qu’il reste inexploité dans un contexte où les exigences d’impact dans les duels et de respect des mises en place constituent des fins en soi et contraignent à une efficacité maximale. La performance technique dans le foot moderne, c’est déjà de ne pas perdre le ballon.

Bord ou Boehly ?

Pour toute une génération d’Alsaciens, l’âge d’or du Racing Club de Strasbourg se situe entre les années 60 et 70, avec comme points d’orgue la coupe de 1966 et surtout le titre de 1979, conquis par une équipe très alsacienne cornaquée par le mage hirsute de la Meinau. Cet âge d’or s’achève dans les gaz lacrymogène et l’incendie de la tribune lors de la réception de Nantes à l’automne 1980. Pour la génération suivante, ce sera plutôt la période située entre le coup franc de Keshi contre Rennes et la campagne européenne glorieuse de 1997-1998. La pelouse de la Meinau est alors foulée par des joueurs exceptionnels et talentueux, qui font tomber les Rangers, puis Liverpool, et inquiètent sérieusement l’Inter de Ronaldo. Par-delà les moments enchanteurs, les Anciens clairvoyants n’oublient cependant pas la versatilité du public de cette période, toujours prompt à siffler ses propres joueurs dès la 30ème minute et jamais avare de cris de singe, et encore moins la déconfiture McCormack qui a suivi…

Une nouvelle génération de suiveurs s’est agrégée autour du club au moment de la chute du Racing et sa reconstruction depuis le CFA2, qui a rapproché les supporters des joueurs et créé un esprit unique en France : le fameux ADN du Racing, basé sur un soutien sans faille, des chants, des animations… et un stade à guichets fermés. Cette génération de supporters Modernes a relayé les Anciens. Dans les travées du stade, finis les sifflets et le fantasme de l’attaquant allemand « Bomber », place aux tifos potaches et aux chants infinis, merci, de rien. Racingstub s’est développé dans ce contexte et a largement contribué à relayer et populariser ce nouvel esprit Racing du supporterisme, basé autant sur l’expérience sociale et culturelle que sur le sportif. Il est clair pour les suiveurs de cette époque que les déplacements à Vesoul ou Saint Louis-Neuweg relevaient autant du happening que du challenge sportif, mais ils ont forgé durablement un état d’esprit nouveau, Moderne. C’est cet esprit originel de racingstub qui est encore prolongé par beaucoup, notamment dans le dernier radiostub qui a tant fait parler.

Aujourd’hui, cette génération de la reconstruction cohabite avec des suiveurs qui attendent plus que jouer le maintien en espérant de temps en temps un beau résultat. Ces derniers, récents dans leur attachement au club ou anciens qui espèrent mieux du Racing, ont pris acte du virage pris par le football (investisseurs étrangers, trading, transferts prohibitifs…), l’acceptent et souhaitent que le club s’inscrive dans ce mouvement. L’arrivée de BlueCo est vue comme l’opportunité qui pourra faire entrer Strasbourg dans la Modernité du football globalisé qui est devenu la norme, quitte à laisser derrière ce qui a fait son originalité : propriétaires locaux, modèle économique vertueux, scouting malin, centre de formation efficace.

Alors dans cette querelle, qui des Modernes ou des Anciens l’a emporté ? Personne véritablement : Homère, Platon et Démosthène restent des références, mais ils ont été rejoints au Panthéon des auteurs par Racine, Corneille et Perrault. Et pour le Racing ? Difficile à prédire, les expériences McCormack et Hilali incitent à la prudence, voire à la méfiance. Pour autant, le fait est que BlueCo est le nouveau propriétaire, et nous, simples spectateurs, ne pouvons rien y changer.

Comme beaucoup ici, j’ai à titre personnel une vision plutôt romantique ; j’ai été fier que mon club représente une approche alternative du foot, plus ancrée dans la réalité, moins hors-sol, quitte à avoir pour principale ambition d’exister, de se maintenir et de montrer qu’un autre football est possible. Mais aujourd’hui, je ne peux pas simplement décider de ne plus supporter mon club, je vais donc devoir faire avec. Je vais continuer à suivre le Racing, à m’enthousiasmer après une victoire, à m’inquiéter quand on approche de la zone de relégation, à m’agacer des incohérences du recrutement. Bref, pour le meilleur et pour le pire !

fremetter

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