Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

L'AJ Auxerre, trois décennies d'harmonie footballistique

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Souvenir/anecdote
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Par kitl
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Fabien Cool et Younes Kaboul à la Meinau © Karim Chergui

Après Sochaux, le Racing affronte un nouvel adversaire connu du plus grand nombre, l’AJ Auxerre. L’occasion de se pencher sur le club de Guy Roux, à travers 11 thèmes combinant pelouse et coulisses. Au menu : 4-3-3, Pologne et poulet.

1. Premiers exploits : finale de Coupe de France puis accession en Première Division



Pour l’anecdote, l’Association pour la Jeunesse Auxerroise fut fondée par un ecclésiastique, en réaction contre la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905. D’essence catholique, l'association chère à l’abbé Ernest Deschamps se dote rapidement d’une section football. Ainsi le club icaunais figure parmi les fondateurs de la Coupe de France de football en 1917-1918.

Cependant, il faudra plusieurs décennies pour sortir l’AJA de l’anonymat. Alors en Division d’honneur, le club recrute un certain Guy Roux, comme entraîneur-joueur en 1961. Auxerre monte en Division 3 en 1970, puis en Division 2 en 1974. Renforçant patiemment son effectif par des joueurs ayant goûté à la première division – Dominique Cuperly, Maryan Szeja, Serge Mésonès, Lucien Denis ou encore Jean-Marc SchaerGuy Roux bénéficie en 1978 d’un coup de projecteur inattendu. Alléché par la perspective d’être payé pour la figuration et la mise à disposition de son stade, il propose sa candidature à Jean-Jacques Annaud, jeune réalisateur. C’est ainsi que le stade de l’Abbé-Deschamps sert de cadre au film culte Coup de tête, avec Patrick Dewaere et Jean Bouise, l’histoire de l’épopée d’un petit club de village et des turpitudes d’un joueur. La réalité rejoindra la fiction, puisque quelques mois plus tard, l’AJ Auxerre atteint les demi-finales de la Coupe de France !

La France du football, alors obnubilée par la fièvre verte, et singulièrement les suiveurs du Racing Club de Strasbourg, découvrent alors Auxerre. Le club a sorti Lille en quarts de finale et postule à l’accession en première division. Tout frais champions de France, les Strasbourgeois sont convaincus que le doublé est à portée de crampons. En face, Guy Roux a bien noté l’impact des festivités en Alsace, à peine tempérées par la prévoyance de Gilbert Gress. En Bourgogne, le score est de 0 à 0, il suffira aux Alsaciens de l’emporter à la Meinau pour monter à Paris. Mais l’affaire est plus compliquée que prévu : le RCS ouvre le score, encaisse l’égalisation puis croit tenir la qualification suite à un penalty de Piasecki. Hélas, c’est sans compter sur André Truffaut, l’homme d’à-côté, auteur de l’égalisation juste après être entré en jeu ! La déception sera grande pour le Racing et Jacky Duguépéroux, dont ce fut le dernier match professionnel. En finale, Auxerre tiendra la dragée haute au Football Club de Nantes (1-1 après 90 minutes), mais succombera face aux coups de boutoirs d’Eric Pécout (4-1 au final).
La saison d’après sera la bonne pour l’AJA et ses valeureux joueurs : en devançant Avignon, ils gagnent le droit de monter en première division et de passer professionnels.

2. La survie par la formation



Guy Roux décide alors de conserver l’ossature des champions de D2. Quelques renforts arrivent, comme Robert Sab de Lens, l’avant-centre François Félix ou Gérard Lanthier, adversaire malheureux de l’AJA sous les couleurs avignonnaises. Au but, l’emblématique Maryan Szeja arrive en fin de carrière. Le rusé Roux convainc alors Joël Bats de quitter Sochaux et la concurrence d’Albert Rust pour une place de titulaire à Auxerre. Un gamin pointe le bout de son nez : Jean-Marc Ferreri, qui n’est pas encore un cataclysmique commentateur TV mais un jeune espoir choyé par Guy Roux comme son fils. L’AJA réactive également la filière polonaise, on y reviendra…
Les premières saisons d’Auxerre sont délicates. Toujours prévoyant, Guy Roux décide de mettre l’accent sur la formation, moyen de perpétuer le club en première division lorsque les grognards auront tiré leur révérence. Le centre de formation est inauguré en 1982, son premier responsable est Daniel Rolland, ancien joueur du club. Cette année-là, le centre accueille ses premiers pensionnaires, observés par Guy Roux et son « réseau » de copains partout en France. Ils ont entre 14 et 15 ans, ils pour nom Basile Boli, Eric Cantona, Pascal Vahirua, Frédéric Darras, Raphaël Guerreiro, William Prunier, Stéphane MazzoliniGuy Roux raconte qu’il fut facile de convaincre ces gamins de venir à Auxerre, étant donné que les trois centres de formation de référence en France – Sochaux, Lens et Nantes – affichaient déjà complet.

Voici la définition de la méthode auxerroise, par Guy Roux : « Former des joueurs, les inclure dans notre équipe, leur donner de la valeur et les transférer. » Très vite, les premiers éléments issus du centre de formation intègrent l’équipe première. Basile Boli joue son premier match en D1 à 16 ans, il devient rapidement titulaire. Eric Cantona prend un peu plus de temps, il est notamment prêté à Martigues en deuxième division.
Les produits des transferts sont affectés à la fois au renforcement de l’équipe et aux infrastructures du centre de formation. Le transfert de Canto à l’OM en 1988 a par exemple financé une salle couverte permettant de jouer en hiver. Guy Roux essaye d’avoir toujours un coup d’avance : en faisant monter les jeunes en couveuse, il leur fait comprendre qu’ils seront un jour amenés à remplacer les pépites parties sous d’autres cieux.

3. Des principes tactiques longtemps immuables



Si les joueurs allaient et venaient, le cadre tactique resta le même durant plusieurs décennies à Auxerre. Jusqu’au début des années 2000, le prototype de l’AJA était basique mais efficace : marquage individuel commandé par un libéro (de Janas à Blanc, en passant par Roche et Verlaat) ; 4-3-3 avec un 6 défensif, un 8 relayeur et un 10 créateur, deux ailiers entourant l’avant-centre ; un jeu de contre-attaque. Durant plus de vingt ans, les joueurs se sont succédé dans ce moule, si bien que l’on peut établir des filiations, voire des dynasties pour chaque poste. Ainsi sur l’aile gauche, Didier Danio succéda à Lanthier parti au PSG en 1984, puis un gamin du Pacifique nommé Pascal Vahirua commença peu à peu à faire son trou, avant que le jeune Bernard Diomède ne lui prenne la place en 1995. Suivront Fadiga et Akalé… Dans les cages, quatre gardiens se sont succédé en 25 ans : Joël Bats (1980-85), Bruno Martini (1985-1995), Lionel Charbonnier (1995-1998) et Fabien Cool (1998-2007). A noter que Charbonnier puis Cool ont très longtemps patienté dans l’ombre du numéro 1 avant de prendre le relais.

Guy Roux demeura longtemps rétif à quelques innovations : les changements de joueur en cours de match par exemple. Il me semble que Roux théorisa la règle non écrite proscrivant de procéder à un remplacement juste avant un coup de pied arrêté défensif. A confirmer…Plus largement, l’icône icaunaise faisait régulièrement confiance à son équipe-type, les remplaçants étant clairement identifiés. Quelles que furent les compétitions – Championnat, Coupe de France ou Coupe d’Europe -, Auxerre évoluait souvent avec le même onze. En résultait une faculté à jouer ensemble, forcément renforcée par les liens développés entre les joueurs au cours de leur formation, mais également une tendance à finir la saison exténués.

Introduites durant la saison managée par Daniel Rolland, certaines nouveautés trouvèrent grâce aux yeux du maître lors de son retour. Le marquage individuel fut progressivement abandonné, tandis que le 4-3-3 s’adapta en 4-2-3-1, la nuance étant très fine.

4. La filière polonaise



Le nombre de joueurs étrangers étant limité à deux dans les années 1980, il fallait prendre le plus grand soin pour les sélectionner. Selon la conception de Guy Roux, les deux étrangers viennent pallier un manque identifié de l’effectif. Dès la décennie 1970, passée en D2, Auxerre attire le gardien Marian Szeja et les attaquants Zbigniew Szlykowicz et Josef Klose (le père de Miroslav). C’est le point de départ de la fameuse filière polonaise à l’AJA. Souvenons-nous des conditions de recrutement : les joueurs des pays de l’Est devaient attendre d’avoir passé les trente ans pour franchir le Rideau de fer, le tout moyennant quelques formalités administratives que Guy Roux finira vite par maîtriser.

Auxerre réalise un coup fumant en enrôlant pour sa première saison dans l’élite le redoutable buteur Andrzej Szarmach, qui inscrira 89 buts en cinq saisons ! Ce transfert réalisé au nez et à la barbe de clubs plus prestigieux doit beaucoup aux relations providentiellement tissées par Jean-Pierre Soisson et son homologue polonais ministre des Sports. Guy Roux incita Soisson à favoriser l’élection du Polonais au sein d’une grande instance sportive internationale... La même année, Henryk Wieczorek vient stabiliser la défense centrale, un rôle que reprendra avec encore plus de bonheur Pawel Janas entre 1982 et 1986. Deux internationaux polonais présents au Mundial 86 intégreront ensuite l’AJA : Waldemar Matysik et Andrzej Zgutczyński, avec un succès inégal.
Pour remplacer Szarmach en 1985, Guy Roux pense également à l’après-Ferreri. Il engage le Hongrois Gyozo Burcsa. Après deux saisons, ce dernier cède sa place au Yougoslave Mlinaric. Plus tard, en 1989, Roux fait appel à un autre Magyar, Kalman Kovacs, pour succéder à Didier Monczuk - qui n'était pas Polonais - au poste capital de numéro 9.
A noter que le club bourguignon a réactivé la filière polonaise à la fin des années 1990. Mais, si l’on excepte Ireneusz Jelen, sans grande réussite.

5. Auxerre, terre de relance



Si les recettes de transferts ont été majoritairement investies dans la pierre, Guy Roux veillait à assurer la pérennité du club en première division, en s’efforçant de maintenir constant le niveau de l’effectif. En 1989, l’AJA a l’occasion de recruter Enzo Scifo, auteur de passages peu convaincants à l’Inter Milan puis aux Girondins de Bordeaux, qui l’ont écarté du groupe. Deux superbes saisons, ainsi qu’un Mondiale 90 réussi permirent au Belge de retrouver la SerieA, au Torino.
En 1990, Guy Roux consent à se séparer de Basile Boli, parti pour être l’emblème de l’OM de Tapie. En échange du colosse, Auxerre récupère Alain Roche, libéro de classe révélé à Bordeaux dont le passage sur le Vieux-Port fut un fiasco complet. En deux saisons, Roche reprend du poil de la bête. Il signera ensuite au PSG, former avec Le Guen, Guérin et Fournier l’ossature des années Denisot.
Enfin, Laurent Blanc fait largement partie de cette catégorie : restant sur deux saisons médiocres (collectivement parlant) à Saint-Etienne, le Cévenol rejoint l’AJA en 1995. S’il ne dispute que cinq matchs sur la phase aller, il conduit Auxerre au doublé Coupe-championnat, marquant en finale contre le Nîmes Olympique, un de ses anciens clubs. Blanc rejoindra le FC Barcelone à l’issue de cette saison, pour un séjour somme toute mitigé. A l’instar d’Enzo Scifo, Blanc dut sacrifier une bonne partie de son salaire, mais n’aura pas à regretter son séjour auxerrois.
Plus récemment, Benoît Pedretti relança à Auxerre une carrière pas loin d’être anéantie par deux saisons traumatisantes à Marseille puis Lyon.

6. Le doublé de 1996



De la même manière que le Racing Club de Strasbourg surprit la France en tenant bon toute la saison 1978-79, l’AJ Auxerre est allée au bout, devançant le Paris Saint-Germain de Canal+ à l’issue d’un finish en boulet de canon. Les Icaunais ont en effet obtenu 20 points sur 24 possibles, une série débutée après un revers…à la Meinau en mars.
Le 4 mai 1996, l’AJA s’offre une deuxième Coupe de France en disposant difficilement de Nîmes 2 buts à 1. Le parcours jusqu’au Parc des Princes fut remarquable : victoire à Gerland, puis au Mans, succès contre le PSG, à Valence, avant de se qualifier aux tirs au but au Vélodrome. Deux ans auparavant, l’AJ Auxerre avait enfin ouvert son palmarès en disposant de Montpellier en finale de la Coupe de France (3-0). Car le club eut longtemps les faveurs du grand public, mais sans jamais soulever de trophée en fin de saison.

Ce doublé représente le triomphe de la méthode Guy Roux. L’effectif est un condensé de formation et de post-formation, avec la petite touche « relance » en plus. Pourtant l’été 1995 est marqué par les départs de cadres, tels Martini, Guerreiro, Baticle ou Vahirua. Tout est sous contrôle, puisque Charbonnier, Lamouchi et Diomède sont prêts à prendre le relais.
Outre la traditionnelle formation auxerroise, ce succès porte le sceau de la « post-formation », consistant à recruter en divisions inférieures des talents de demain, forcément peu coûteux. Guy Roux a déniché Philippe Violeau à Niort, Sabri Lamouchi à Alès, Lilian Laslandes à Saint-Seurin, Abdelhafid Tasfaout et Moussa Saib en Algérie ou encore Taribo West au Nigeria. Il sut également relancer les anciens du Brest Armorique Corentin Martins et plus tard Stéphane Guivarc’h. Mais il n’est pas certain que l’aventure serait allée au bout sans la présence rassurante de Laurent Blanc

7.L’AJA, fournisseur d’internationaux



En 1996, trois champions de France figurent parmi les 22 joueurs retenus par Aimé Jacquet pour le Championnat d’Europe anglais. Mais seul Laurent Blanc sera titulaire, Lamouchi et surtout Martins cirant le banc tout au long de la compétition. Lamouchi remplaça Didier Deschamps suspendu en demi-finale contre la République Tchèque, tandis que Corentin Martins n’eut jamais la chance de relayer Zidane pourtant affaibli par un accident de voiture.
Quatre ans auparavant, Michel Platini convoqua également trois Auxerrois pour l’Euro en Suède : le gardien Martini, ainsi que les ailiers Cocard et Vahirua.
Comme joueur, le Lorrain avait côtoyé Jean-Marc Ferreri lors de l’Euro 84 et du Mundial 86. Joël Bats défendait également les couleurs auxerroises au moment de l’Euro 84.

Nouvelle preuve du renouvellement continuel auxerrois, trois outsiders composent le groupe France en 1998. Lionel Charbonnier, Stéphane Guivarc’h et Bernard Diomède comptaient moins de dix sélections avant le Mondial. Aucun des trois ne s’installa durablement en bleu, mais ils sont chacun champion du monde « pour l’éternité ».
Enfin Djibril Cissé s’invita in extremis à la Coupe du Monde 2002, à la faveur de ses nombreux buts avec l’AJA. Son camarade Jean-Alain Boumsong fut le dernier Auxerrois à participer à une compétition internationale à l’occasion de l’Euro 2004.
Selon un classement par périodes des clubs fournisseurs de sélectionnés, l’AJ Auxerre a fourni 37 sélectionnés entre 1976 et 1987 (l’ère de Platini joueur), 82 sélectionnés entre 1987 et 1993 (le troisième contingent derrière l’OM et le PSG), 57 sélectionnés entre 1994 et 2000 (la période Jacquet puis Lemerre triomphant) et enfin 38 entre 2000 et 2004, principalement Djibril Cissé, Jean-Alain Boumsong, Olivier Kapo et Philippe Mexès. Il s’agit bien du total de « capes », et non du nombre de joueurs.

8. Plusieurs épopées en Coupe d’Europe



A la faveur de bons parcours en championnat, l’AJ Auxerre a obtenu dès 1984 une place en Coupe d’Europe. Les premières participations en Coupe de l’UEFA se passent mal, avec trois éliminations au premier tour, Auxerre peinant loin de ses bases. A noter un succès de prestige face au Milan AC en 1985, le jeune Paolo Maldini débutant sa carrière européenne à l’Abbé-Deschamps.
Un déclic a lieu à l’été 1989 : battu 1-0 en Bourgogne par le Dinamo Zagreb de Davor Suker, Auxerre renverse la vapeur en Yougoslavie. Suivra un joli parcours, jusqu’en quart de finale de Coupe UEFA face à la Fiorentina. A présent invité régulier des joutes continentales, l’AJA réussit une Coupe UEFA 1993 de premier ordre, au cœur d’un printemps européen fabuleux pour le foot français (l’effet Maastricht ?). Après avoir sorti Copenhague, le Standard de Liège et l’Ajax, Auxerre bute sur le Borussia Dortmund aux tirs au but, Stéphane Mahé étant le héros malheureux du soir.

Suivront trois saisons européennes assez incolores, jusqu’à la Ligue des Champions 1997. Auxerre sortira les armes à la main en ¼ de finale, face à…Dortmund, le futur vainqueur. Guy Roux reparlera longtemps du ciseau acrobatique refusé à Lilian Laslandes au match aller…
Auxerre retrouvera le club de la Ruhr en 2002-03, avec le PSV Eindhoven et Arsenal en phase de groupe de la C1. Malgré un succès à Highbury, les Bourguignons seront reversés en Coupe de l’UEFA.
Relevons un quart de finale de Coupe de l’UEFA en 2004-05 pour la dernière saison de Guy Roux sur le banc, Auxerre étant sorti par le CSKA Moscou, futur vainqueur.
Plus récemment, la Ligue des Champions arriva comme un cheveu sur la soupe, en récompense d’une belle saison sous la houlette de Jean Fernandez. Dans un groupe coton, Auxerre ne fera que de la figuration. Un an et demi après avoir disputé ses ultimes rencontres de Coupe d’Europe, l’AJ Auxerre tombe en Ligue 2 au printemps 2012. Le compteur de matchs européens atteint 108, 128 en comptant l’Intertoto, ce qui place Auxerre au sixième rang en France, derrière Lyon, Bordeaux, Marseille, Paris-SG et Monaco.

9. Guy Roux, omniprésent, omnipotent, omniscient



Guy Roux a fait Auxerre. Grâce à lui, l’AJA compte dans le foot français. Mais grâce à cela, Guy Roux est devenu un personnage médiatique. On ne compte plus les anecdotes à son sujet : le bonnet enfilé les premiers frimas venus ; l’installation d’un chauffage d’appoint sous le banc de l’Abbé Deschamps ; la défense des entraîneurs français ou diplômés en France via l’UNECATEF (Tomislav Ivic, Georges Heylens et quelques autres étant dans l’œil du cyclone) ; la réquisition d’une chaise pour suivre le match au stade Vélodrome à hauteur de pelouse et non « enterré ».
Cette starisation culmine avec la création de la marionnette de Guy Roux par les Guignols de l’info. Il devient un personnage récurrent au début des années 1990, incarnant un radin maladif, récupérant tous les déchets possibles pour les réutiliser. Cette marionnette somme toute sympathique distille avec un accent trainant quelques perles de bons sens : « Nous à Auxerre, on est sans le sou » ou « Faut pas gâcher ». Calculant en anciens francs, vêtu d’un éternel survêtement violet Uhlsport, le Guy Roux des Guignols est aussi vieille France et paternaliste que l’original. Il incarne un contre-point de Français moyen face aux marionnettes de Bernard Tapie ou Michel Denisot.

Guy Roux a su manier la carotte et le bâton vis-à-vis des médias. Au-delà du mythe du « petit » faisant la nique aux gros, Auxerre a su acquérir un capital sympathie au fil des années. Le club s’est forgé une image de club sainement géré, restant à l’écart des prémices du foot business incarné par le Matra Racing ou l’OM de Tapie. A cet égard, le natif de Colmar s’est longtemps plaint des diffusions des matchs de l’AJA à domicile sur Canal+, celles-ci occasionnant une relative désaffection de l’Abbé Deschamps et une perte de recettes en billetterie.
Avec l’autre ténor médiatique de l’époque, TF1, les relations sont plus cordiales, et pour cause : Guy Roux devient salarié de la Une, intervenant en plateau les soirs de Coupe d’Europe (en compagnie de Roger Zabel) et couvrant plusieurs Coupes du monde. Cela n’empêchera pas l’entraîneur auxerrois de manifester sa mauvaise humeur vis-à-vis d’un reportage de Téléfoot ciblant, assez injustement il est vrai, son joueur William Prunier.
A l’issue de sa dernière saison auxerroise, Guy Roux répondit favorablement à la sollicitation de la chaîne cryptée : il devient consultant vedette pour les matchs du samedi après-midi à 17h15, tout en maintenant ses chroniques sur Europe 1.

Enfin, dernière caractéristique, Guy Roux a su s’adapter et remettre en cause une partie de son fonctionnement. D’abord seul, assurant à la fois la préparation physique, la tactique, le recrutement ou l’entraînement des gardiens, il commença à déléguer, en s’appuyant sur des anciens du club. Ses anciens milieux de terrain Dominique Cuperly puis Alain Fiard sont devenus entraîneurs-adjoint. Plus tard, les anciens ajaïstes Gérald Baticle, Raphaël Guerreiro, Christian Henna ou Johan Radet sont devenus éducateurs chez les jeunes.

10. Le soutien sans faille de la municipalité



Si Guy Roux est le père des succès d’Auxerre, Jean-Pierre Soisson en fut le maire. De la même génération que l’entraîneur au bonnet, M. Soisson fur l’interlocuteur politique privilégié de l’AJA, par sa longévité et l’éventail de ses mandats politiques. Il fut député de l’Yonne entre 1968 et 2012, maire d’Auxerre et président de la région Bourgogne. Il occupa en outre diverses fonctions ministérielles, dont le portefeuille de la Jeunesse et des Sports entre 1978 et 1981. La fin prématurée du giscardisme correspond avec l’émergence de l’AJ Auxerre dans le paysage footballistique français : on a déjà évoqué le rôle de facilitateur joué par Jean-Pierre Soisson lors du transfert de Szarmach. Le ministre donna également un coup de pouce pour la construction du centre de formation de l’AJA.
On peut plaindre d’une certaine manière Jean-Pierre Soisson : comme maire d’Auxerre, il a dû régulièrement subir les jérémiades de Guy Roux, qui pour une augmentation de la subvention, qui pour un agrandissement du stade… Mais chacun put au final bénéficier du travail de l’autre pour entretenir sa propre carrière.

11. L’entregent du « roi du poulet »


Si la figure de Guy Roux a longtemps suffi à incarner l’AJ Auxerre, il ne faut pas omettre le rôle fondamental joué par les deux autres têtes du triumvirat. Jean-Claude Hamel, concessionnaire automobile, fut président du club de 1963 à 2009. A partir de 1978, un troisième larron entra dans la danse : Gérard Bourgoin. Self-made-man dans l’agroalimentaire, son parcours aux frontières du sport, du business et de la politique est à rapprocher de ses contemporains Bernard Tapie ou Jean-Luc Lagardère. Le « roi du poulet » fournit des sponsors devenus mythiques à l’AJ Auxerre comme la Chaillotine ou Duc de Bourgogne. Détenteur d’un brevet de pilote d’avion, il transporte les joueurs aux quatre coins de France, voire d’Europe. Il devient président de la LNF à la suite de Noël Le Graët, au moment où son groupe de poulet en batterie prend l’eau. On retrouve Gérard Bourgoin en 2011, auteur d’un « putsch » soutenu par ses acolytes Jean-Claude Hamel et Guy Roux pour reprendre la présidence de l’AJA. Après quelques années d’éclipse, le club retrouve ses anciens bienfaiteurs, alertes septuagénaires…
Avant de conclure, remarquons le grand écart entre l’image de club rural et modeste que s’est construite l’AJ Auxerre, et l’envers du décor : le club est sponsorisé par un groupe de l’agroalimentaire industriel dirigé par un pilote d’avion amateur qui convoie les joueurs à chaque déplacement.



Epilogue : la fin définitive de la parenthèse enchantée ?


En 2005, Guy Roux annonce sa retraite définitive. En dehors de la parenthèse pathétique à Lens en 2007, qui s’acheva d'ailleurs à la Meinau, il ne cessera d’être présent à l’Abbé Deschamps. Son successeur, Jacques Santini, jettera l’éponge au bout d’un an malgré une belle sixième place en Ligue 1. Jean Fernandez tiendra cinq saisons, en dépit des secousses qui ébranlèrent le club au moment des changements de présidence. La troisième place obtenue en 2010 ressemble à un chant du cygne : réussite maximum pour le duo Jelen-Niculae, défense hermétique et trouvailles du centre de formation (Ndinga, Alain Traoré). En 2011, le natif de Mostaganem quitte l’AJA. Le choix se porte sur Laurent Fournier, qui vient de faire preuve de ressources morales indéniables au RC Strasbourg. Hélas la greffe ne prend pas : alors que le club est relégable, Jean-Guy Wallemme prend les commandes de l’équipe en mars. Il atterrira à la dernière place, synonyme de relégation après trente-deux saisons dans l’élite.

Ni Wallemme, ni Bernard Casoni ne sauront impulser une dynamique convenable aux Bourguignons en deuxième division. Auxerre se traine dans le ventre mou, et le pedigree de l’entraîneur actuel Jean-Luc Vannuchi n’est pas de nature à rassurer. Evoluant à présent devant 6000 fidèles, l’AJA connaît actuellement une profonde dépression et doute de sa faculté à retrouver le plus haut niveau. Seule lueur d’espoir, la formation, comme en atteste le succès en Gambardella des U19 la saison passée – mais les jeunes ont du mal à se faire une place dans l’équipe fanion… – ou la réussite à Rennes de Paul-Georges Ntep, ancien pensionnaire du centre. Mais à l’image du football français, Auxerre ressemble aujourd’hui à un sous-traitant pour le marché anglais, qui vient se servir en produits prometteurs (Arsenal a chipé Sagna, Diaby et Yaya Sanogo, les deux derniers n’ayant que quelques matchs professionnels dans les jambes).

Pénible neuvième du championnat de Ligue 2, l’AJA retrouve Strasbourg, le club qui fut son parrain il y a trente-cinq ans, qui plus est dans la même compétition. Même si une qualification des siens répondrait cette fois à la logique, Auxerre repartirait bien pour trente ans de bonheur.


Sources :
- Entre nous, Guy Roux avec Dominique Grimault, Plon, 2006.
- Le documentaire Enraciné, diffusé à l’automne 2013 sur Canal+Sport.
- Retrouvez également les nombreuses fiches d’anciens joueurs de l’AJ Auxerre sur le Stub, alimentées par le site histoaja.free.fr, malheureusement disparu.

kitl

Commentaires (12)

Flux RSS 12 messages · Premier message par athor · Dernier message par Julboz

  • Présentation hyper complète, bravo !
  • Ce n'est pas une présentation, c'est une encyclopédie concentrée. Du très beau travail.
  • Article érudit et complet. On ne pourra pas dire qu'on ne sait pas sur quoi on va tomber.
    Gros boulot de synthèse et de rédaction. Merci pour ça (+)
  • Excellent article, très très bien documenté!
    Tu continues la tradition de racingstub.com de produire des articles géniaux lorsqu'on affronte Auxerre :)
  • "article de qualité" comme on dirait ailleurs.
  • Les déboires de l'AJA sont dus à la gestion du club par un escadron de vieux débris ; les joueurs se renouvellent, pas les dirigeants qui ont également évincé G Roux, seul dirigeant capable d'attirer des sponsors et des joueurs de bob niveau.
  • Comme l'article précédent sur Sochaux,quel plaisir de lire celui-ci
    Vivement le retour dans le monde pro pour continuer à se délecter de ces formidables articles
    Jeune homme!Bravo
  • Travail Thésard auquel on pourrait attribuer les félicitations du Jury; merci à kitl de contribuer à l'excellence de ce site , devenu grâce à ses prédécesseurs une référence en la matière, en souhaitant que le Club se montre à la hauteur des ses suiveurs!
  • epoustouflant le travail effectué
    Étant un supporter ajaiste depuis leur montes en D1 je dis respect pour la personne qui a fait cet article
  • Franchement article parfait , rien à dire , très complet franchement merci kitl continue comme sa !!
  • excellent article
  • Article très intéressant et très complet !

    J'ai appris par exemple que Maldini avait commencé sa carrière européenne par une défaite à l'abbé, je ne le savait pas malgré mon amour pour Auxerre..

    En tout cas bien que j'espère la qualification pour l'AJA, je souhaite le meilleur à votre club et un retour rapide dans le monde pro ! Des clubs comme ceux-là incarnent des valeurs et une vision du foot qui semblent disparaitre aujourd'hui..

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