Saison 2023/2024
Racing Club de Strasbourg

Le banco de Marco

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Par magellan
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Un nouveau roman de gare ? Non, ça parle de la vente du RCS SAS au consortium anglais « BlueCo », par son président historique Marc Keller et par l’ensemble des actionnaires. Le coup est violent. C’est un saut dans l’inconnu pour le Racing, à un moment où le football semble basculer dans une nouvelle ère. Keller a-t-il « fait banco » avec le Racing ?

BlueCo who ?

BlueCo a été créé à Londres début 2022 pour le rachat - entre autres - du club de Chelsea, intervenu fin mai 2022. Le nom du consortium découle selon la presse anglaise de la couleur du maillot du club, qui est aussi le surnom de l’équipe. Rappelons qu’un consortium est une structure très légère constituée pour effectuer des opérations économiques ciblées, voire temporaires, et dépourvue de personnalité morale.

BlueCo comporte sept membres dont un dormant. Ce sont tous des financiers actifs, impliqué chacun dans une petite dizaine d’entreprises. Plusieurs sont ressortissants des Etats-Unis, pays où les sports professionnels se pratiquent en ligues fermées (donc sans montées ni descentes).
- Todd BOEHLY. L’Américain est la figure publique du consortium.
- Mark WALTER. L’Américain Mark Walter, et Todd Boehly, détiennent tous deux l’équipe de baseball des Los Angeles Dodgers (MLB) depuis plus de 10 ans et sont aussi présents dans le basket-ball puisqu’ils contribuent au capital des Los Angeles Lakers (NBA).
- Hanjörg WYSS. Milliardaire également, il dénote des autres membres par son âge nettement plus élevé, sa nationalité suisse, un indiscutable côté philanthrope, et une implication politique via ses soutiens financiers.
- James PADE, homme d’affaire américain membre de Clearlake.
- Jonathan GOLDSTEIN, homme d’affaires et millionnaire anglais qui n’a plus de rôle actif dans la société.
- Behdad EGHBACI et José FELICIANO, last but not least, ces deux hommes, nés en Iran pour le premier et à Porto Rico pour le second, sont tous deux d’anciens négociateurs de Wall Street et sont les co-fondateurs du fond de pension Clearlake, l’un des plus puissants avec ses 70 milliards de fonds gérés. Ils possèdent 60% de BlueCo et en sont donc les véritables propriétaires… Eghbali serait, d’après le Daily Télégraph, un grand fan de foot. Au moins un donc…

Le contexte de la vente :

La globalisation financière du football :

Pendant longtemps, l’argent extérieur apporté aux clubs de foot professionnels, provenait d’un riche investisseur privé ayant un ancrage local, et aussi d’argent public. Actuellement, si ce sont toujours des fortunes privées qui investissent dans le football, elles ont comme nouvelle caractéristique l’absence de tout ancrage local, voire même d’intérêt pour ce sport. Par ailleurs, elles sont généralement appuyées sur des grandes entités purement financières.

Le mouvement avait commencé en Angleterre, avec Mohamed Al-Fayed en 1997 (Fulham) et Roman Abramovitch en 2003 (déjà Chelsea). Les deux Manchester, Arsenal, Liverpool, … ont suivi. Cette ruée, notamment américaine, sur la Premier League s’explique par son abondance en droits télévisuels et la très grande liberté de prendre le contrôle des clubs anglais (ce qui n’est pas le cas au Etats-Unis d’ailleurs).

Cependant, ce temps semble s’estomper, car le gouvernement anglais a décidé la création d’un organisme indépendant dont la mission est de vérifier l’éthique des postulants, leur capacité financière, de limiter les endettements et aussi de prendre en compte les souhaits des supporters. Ce revirement anglais est la suite de toute une série d’évènements, dont le fiasco de la Super League, la protestation des clubs « anglais » après le rachat de Newcastle par un fond saoudien, la déconsidération de Roman Abramovitch suite à la guerre en Ukraine et le mécontentement global des supporters.

En Allemagne, les supporters sont plus heureux, en raison de l’application de la règle des « 50% + 1 voix »… Cette règle, qui impose que les parts sociales doivent appartenir au club lui-même, a bénéficié au pouvoir des supporters (l’ensemble formant les « mitglieder »), les investisseurs externes ne pouvant détenir la majorité des voix. C’est ce qui explique que lors de la tentative de création de la Super League, les deux clubs allemands sollicités, le Bayern et Dortmund, n’aient pas répondu favorablement.

En France, La prise de contrôle de clubs professionnels par des sociétés ou des personnes étrangères a commencé avec le rachat du PSG par le Qatar en 2011. Le mouvement s’est ensuite accéléré et aujourd’hui, 10 clubs sur les 18 que comporte la L1, sont sous pavillon étranger : Paris (2011), Monaco (2011), Marseille (2016), Lens (2016), Nice (2019), Lille (2020), Toulouse (2020), Lyon (2022), Le Havre (2022), Strasbourg (2023), dont quatre le sont sous pavillon américain. Lorient a ouvert son capital cette année à hauteur de 40% à un homme d’affaire américain.

Les débuts de la multipropriété :

Le phénomène de multipropriété s’est rajouté récemment à celui de la globalisation financière. L’UEFA réfléchit à assouplir son règlement qui rend actuellement impossible la participation à une même compétition continentale de deux ou plusieurs clubs appartenant à un même propriétaire, ceci pour éviter la concurrence déloyale et l’entente sportive tacite.

Le phénomène n’en est qu’à ses débutes : actuellement le Qatar souhaite acquérir Manchester United en plus du Paris Saint-Germain, le club anglais étant aussi dans la ligne de mire d’Inéos déjà propriétaire de l’OGC Nice. Et cela ne s’arrangera pas avec l’actuel réveil des pays du Golfe, qui créent sur leur territoire et à coup de milliards, des équipes talentueuses qui frapperont tôt ou tard à la porte des compétitions internationales.

Le site « So Foot » résume parfaitement les dangers de la multi-propriété, auxquels il faudrait rajouter la tentation des super-leagues fermées : « En ouvrant la voie à la multipropriété, on altère durablement la concurrence, l’équité et l’équilibre compétitif, on permet à des groupes financiers, à des institutions, à des fonds d’investissement, de prendre possession de plusieurs clubs et de les faire s’affronter conjointement. On officialise des intérêts pécuniaires et mercantiles en imposant une comptabilité globale, basée sur le seul intérêt du résultat, on bloque la libre circulation des joueurs en leur imposant d’évoluer seulement dans les clubs d’une même famille, on altère l’intensité compétitive en permettant aux « clubs satellites » de grandir sportivement par la mise à disposition des joueurs des clubs associés, on biaise les équilibres du marché en laissant des ententes entre les parties, entre les acheteurs et les vendeurs. De plus, il n’est pas garanti que les supporters soient partisans d’une telle démarche, préférant plutôt que le propriétaire ou les actionnaires consacrent l’intégralité des moyens à leur club et non pas un partage équitable entre l’ensemble des membres du groupe ».

La situation du Racing au moment de la vente :

Le Racing est le 22 juin 2023, date de la vente, dans une situation particulière. Il vient d’échapper de peu à la relégation après avoir fini 6ème de la saison précédente. Beaucoup d’éléments - dont les qualités du recrutement et du centre de formation, ainsi que l’agrandissement acté du stade – constituaient un horizon plutôt serein pour beaucoup de supporters, d’autant que le club était en bonne santé financière, de l’avis même de son président.

Néanmoins, Marc Keller pose un autre diagnostic : « Même s’il n’y avait pas d’urgence financière, nous étions conscients que nous avions atteint le plafond de notre modèle, et que si nous voulions continuer à faire avancer le Racing et à le projeter dans une nouvelle dimension, nous devions nécessairement être accompagnés par une structure solide capable de soutenir notre développement et notre ambition ». « L'objectif est de permettre au Racing d'être encore plus ambitieux et compétitif dans un monde du football qui a considérablement changé, notamment avec l'arrivée massive d'investisseurs étrangers dans de nombreux clubs français et l'évolution de la Ligue 1 de 20 à 18 clubs ».

Todd goes to Chelsea :


Pendant ce temps… nouveau propriétaire avec ses compères du Chelsea FC en ce début de saison 2022-2023, Todd doit de suite faire face à un coup dur : la démission de Marina Granovskaïa, directrice générale du club. Parfois surnommée « la Dame de Fer », Granovskaïa a été une négociatrice redoutable et redoutée sur le marché des transferts pendant ses neuf années de collaboration avec Roman Abramovitch. Todd reprend le fauteuil laissé vacant.

Le jeu de massacre peut alors commencer. Outre la vague de départs spontanés, il met peu de temps à remercier Tüchel, vainqueur de la LC en mai 2022, pour débaucher Graham Potter, lequel est débauché à son tour sept mois plus tard, au bénéfice de la légende du club Franck Lampard. Le chef des kinés d’un staff médical pourtant réputé, Thierry Laurent en poste depuis 17 ans, est débarqué en quelques minutes. L’histoire ne dit pas si les amoureux du club ont du aller rechercher les anciens trophées du club dans les poubelles :-'

600 millions plus tard pour un recrutement raté, dont beaucoup de très longs contrats pour des jeunes joueurs qui n’ont pas encore totalement fait leur preuve, Chelsea finit à une très maigre 12ème place, après avoir quitté la LC en quarts de finale. Avec cet effectif il était difficile à Lampard de faire mieux ; il faut dire aussi qu’il n’était prévu qu’en intérim, un grand nom devant le remplacer. Tiens, Vieira n’était donc pas libre :D

Le banco de Marco :


Qu’a donc vu Marco, que nous n’avons pas distingué ? Son expérience et son savoir-faire dans la gestion d’un club et dans le football en général, sont indéniables. Le Racing est plutôt en bonne santé. Par ailleurs, il a développé pendant onze saisons un modèle de club sain et régional qui a créé l’adhésion populaire et celle des collectivités locales.

Malgré son impossibilité à trouver un partenaire local fort, Marc Keller s’assied par conséquent avec de bonnes cartes en main à la table de jeu, face à BlueCo. En définitive il pose le Racing sur le tapis : Marco tente le banco. Quelles cartes a-t-il dans les mains pour espérer un gain ?

La carte de l’évolution du football :

C’est à coup sûr la carte la plus déterminante dans la prise de décision des petits actionnaires et de Keller, qui ne s’en cache pas. On peut penser que Keller a tablé sur une grande fracture en train de se produire, laquelle laisserait à quai et pour longtemps les clubs qui ne prendraient pas place dans ce train intercontinental (c’est une image…).

La carte de son maintien à la tête du Racing :

Le banco de MK ne réside-t-il pas dans le peu d’intérêt de se séparer d’un homme compétent. Demain ce besoin de compétence sera encore plus essentiel avec la concurrence sportive que se livreront ces nouveaux arrivants entre eux. John Textor va s’en rendre compte. Par ailleurs, Keller constitue une incarnation, locale de surcroit, qui a plus d’importance qu’on ne le pense couramment. .

La carte du rapport juridique entre le Racing et BlueCo :

Le Racing est une société à part entière, une SAS en l’occurrence. C’est donc une personne, morale pour le coup, qui s’inscrit dans le droit commercial et bénéficie de certaines garanties comme toute personne morale, ne serait-ce que pour protéger ses salariés et ses fournisseurs. Le Racing est une société à part entière, filiale de BlueCo (ce n’est pas une succursale ni une marque détenue par la maison mère). Keller a insisté sur ce point qui est certainement sous-estimé.

Le pouvoir de BlueCo est néanmoins énorme sur cet objet fragile et cher à notre cœur (cœur « bleeuui » et pas « blue ») avec notamment la liberté de revendre le club, de dissoudre la société, de quitter la Meinau (selon le bail) ou de déplacer le siège social, « aux Amériques » par exemple (c’était déjà un genre de menaces claironnées par Hilali en son funeste temps).

Cependant ce pouvoir s’assimile davantage à une bombe atomique, càd une arme de dissuasion et non une arme « concrète ». Quel serait l’intérêt de nuire à une société bien portante et s’inscrivant dans un schéma global ? Par ailleurs, une décision « contre-nature » pour le Racing, se heurterait à l’opposition des supporters, des collectivités locales, de la Ville propriétaire du stade. Boehly et consorts ont déjà éveillé le mécontentement des supporters et des autorités en Angleterre.
C’est sans doute le calcul de Keller. De plus, nous ne connaissons pas toutes les clauses de la vente.

La carte d’une certaine indépendance sportive du Racing :

Cette carte là amène plus de questions que de réponses, tant ce sont les détails d’un contrat de vente longuement négocié – et que nous ne connaissons pas - qui comptent.
On peut par exemple se demander si : - le Racing et Désiré, tant mis en avant, ont le dernier mot pour l’accueil de jeunes prospects de Chelsea ? ou cela relève-t-il d’un intérêt commun ? - le Racing est-il décideur du moment de transférer ses jeunes talents, à Chelsea ou ailleurs ? - la cellule recrutement du Racing sera-t-elle être pilote pour les deux clubs ?

Faites vos jeux…



On pouvait penser avant la vente que Marc Keller réussirait la quadrature du cercle en conservant son autonomie au Racing tout en lui assurant des moyens supplémentaires.
Peut-être l’a-t-il réussie en amarrant de cette manière le Racing au groupe « BlueCo ». Ou pas.

Nous, supporters sommes aussi devant un banco : comment continuer à soutenir notre club de cœur - qui va peut-être se mêler aux premiers rôles de la L1 – dans le cadre d’un Racing moins « alsacien » et d’un football plus inquiétant ?

magellan

Commentaires (10)

Flux RSS 10 messages · Premier message par clutch · Dernier message par takl

  • Bel article décrivant bien l'évolution du football et la place du Racing dans ce contexte.
    Aussi quelques éléments juridiques intéressants.
    Après chacun se fera son idée sur la décision prise par Keller.
  • Très bon article, merci !!
    Du coup, c'est sensé nous rassurer ? :D
  • Excellent article! Objectif et profond. Bravo
  • Très bon article, merci, dans la limite des informations détaillées sur le contrat.
    En revanche, dommage que ne soit pas évoquée la réflexion en cours à l'Assemblée Nationale pour limiter ou interdire la multipropriété...
  • C'est un article très clair.

    Mais : "En France, La prise de contrôle de clubs professionnels par des sociétés ou des personnes étrangères a commencé avec le rachat du PSG par le Qatar en 2011."

    Le Racing acheté en 1997 par une société nord-américaine, et peut-être / probablement d'autres exemples que je n'ai pas en tête, précède le rachat du PSG par QSI, oder ?

    Blourg

    JPDarky
  • Bravo et merci pour l’article.
  • Très bien
  • jpdarky a écrit, le 17/07/2023 10:31 :
    C'est un article très clair.

    Mais : "En France, La prise de contrôle de clubs professionnels par des sociétés ou des personnes étrangères a commencé avec le rachat du PSG par le Qatar en 2011."

    Le Racing acheté en 1997 par une société nord-américaine, et peut-être / probablement d'autres exemples que je n'ai pas en tête, précède le rachat du PSG par QSI, oder ?

    Blourg

    JPDarky


    Ce sont des « pionniers » que j’aurai pu (certainement du pour Mc Cormack) citer, qui, comme avant chaque transformation d’envergure, postulent de manière plus faible et avant que le mouvement soit à maturité. J'ai mis Al-Fayed pour les représenter. Je pense que le tournant a été Abramovitch à Chelsea, avec déjà beaucoup d’argent (3X la fortune d’un Boehly) et une « expatriation » comme dans le nouveau monde du foot, mais présent aux matchs de son club et sachant le gouverner.

    > @lutecien67 : je n'ai vu passer aucune information sur une réflexion en cours à l'AN. Tu peux développer dans un topic stp ?
  • Je mets ça dans "actionnaires"
  • Bon article, bien renseigné et vulgarise bien ces arcanes financières pour ceux qui n'en sont pas des experts. Et un ton assez neutre, qui fait du bien en ce moment.

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